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XXI. Écrit sur la plinthe d’un bas-relief antique

– À Mademoiselle Louise B. -

La musique est dans tout. Un hymne sort du monde.

Rumeur de la galère aux flancs lavés par l’onde,

Bruits des villes, pitié de la sœur pour la sœur,

Passion des amants jeunes et beaux, douceur

Des vieux époux usés ensemble par la vie,

Fanfare de la plaine émaillée et ravie,

Mots échangés le soir sur les seuils fraternels,

Sombre tressaillement des chênes éternels,

Vous êtes l’harmonie et la musique même!

Vous êtes les soupirs qui font le chant suprême!

Pour notre âme, les jours, la vie et les saisons,

Les songes de nos cœurs, les plis des horizons,

L’aube et ses pleurs, le soir et ses grands incendies,

Flottent dans un réseau de vagues mélodies;

Une voix dans les champs nous parle, une autre voix

Dit à l’homme autre chose et chante dans les bois.

Par moment, un troupeau bêle, une cloche tinte.

Quand par l’ombre, la nuit, la colline est atteinte,

De toutes parts on voit danser et resplendir,

Dans le ciel étoilé du zénith au nadir,

Dans la voix des oiseaux, dans le cri des cigales,

Le groupe éblouissant des notes inégales.

Toujours avec notre âme un doux bruit s’accoupla;

La nature nous dit: Chante! et c’est pour cela

Qu’un statuaire ancien sculpta sur cette pierre

Un pâtre sur sa flûte abaissant sa paupière.

Juin 1833.

XXII .

La clarté du dehors ne distrait pas mon âme.

La plaine chante et rit comme une jeune femme;

Le nid palpite dans les houx;

Partout la gaîté luit dans les bouches ouvertes;

Mai, couché dans la mousse au fond des grottes vertes,

Fait aux amoureux les yeux doux.

Dans les champs de luzerne et dans les champs de fèves,

Les vagues papillons errent pareils aux rêves;

Le blé vert sort des sillons bruns;

Et les abeilles d’or courent à la pervenche,

Au thym, au liseron, qui tend son urne blanche

À ces buveuses de parfums.

La nue étale au ciel ses pourpres et ses cuivres;

Les arbres, tout gonflés de printemps, semblent ivres;

Les branches, dans leurs doux ébats,

Se jettent les oiseaux du bout de leurs raquettes;

Le bourdon galonné fait aux roses coquettes

Des propositions tout bas.

Moi, je laisse voler les senteurs et les baumes,

Je laisse chuchoter les fleurs, ces doux fantômes,

Et l’aube dire: Vous vivrez!

Je regarde en moi-même, et, seul, oubliant l’heure,

L’œil plein des visions de l’ombre intérieure,

Je songe aux morts, ces délivrés!

Encore un peu de temps, encore, ô mer superbe,

Quelques reflux; j’aurai ma tombe aussi dans l’herbe,

Blanche au milieu du frais gazon,

À l’ombre de quelque arbre où le lierre s’attache;

On y lira: – Passant, cette pierre te cache

La ruine d’une prison.

Ingouville, mai 1843.

XXIII. Le revenant

Mères en deuil, vos cris là-haut sont entendus.

Dieu, qui tient dans sa main tous les oiseaux perdus,

Parfois au même nid rend la même colombe.

Ô mères, le berceau communique à la tombe.

L’éternité contient plus d’un divin secret.

La mère dont je vais vous parler demeurait

À Blois; je l’ai connue en un temps plus prospère;

Et sa maison touchait à celle de mon père.

Elle avait tous les biens que Dieu donne ou permet.

On l’avait mariée à l’homme qu’elle aimait.

Elle eut un fils; ce fut une ineffable joie.

Ce premier-né couchait dans un berceau de soie;

Sa mère l’allaitait; il faisait un doux bruit

À côté du chevet nuptial; et, la nuit,

La mère ouvrait son âme aux chimères sans nombre,

Pauvre mère, et ses yeux resplendissaient dans l’ombre,

Quand, sans souffle, sans voix, renonçant au sommeil,

Penchée, elle écoutait dormir l’enfant vermeil.

Dès l’aube, elle chantait, ravie et toute fière.

Elle se renversait sur sa chaise en arrière,

Son fichu laissant voir son sein gonflé de lait,

Et souriait au faible enfant, et l’appelait

Ange, trésor, amour; et mille folles choses.

Oh! comme elle baisait ces beaux petits pieds roses!

Comme elle leur parlait! l’enfant, charmant et nu,

Riait, et, par ses mains sous les bras soutenu,

Joyeux, de ses genoux montait jusqu’à sa bouche.

Tremblant comme le daim qu’une feuille effarouche,

Il grandit. Pour l’enfant, grandir, c’est chanceler.

Il se mit à marcher, il se mit à parler,

Il eut trois ans; doux âge, où déjà la parole,

Comme le jeune oiseau, bat de l’aile et s’envole.

Et la mère disait: «Mon fils!» et reprenait:

«Voyez comme il est grand! il apprend; il connaît

Ses lettres. C’est un diable! Il veut que je l’habille

En homme; il ne veut plus de ses robes de fille;

C’est déjà très méchant, ces petits hommes-là!

C’est égal, il lit bien; il ira loin; il a

De l’esprit; je lui fais épeler l’Évangile.» -

Et ses yeux adoraient cette tête fragile,

Et, femme heureuse, et mère au regard triomphant,

Elle sentait son cœur battre dans son enfant.

Un jour, – nous avons tous de ces dates funèbres! -

Le croup, monstre hideux, épervier des ténèbres,

Sur la blanche maison brusquement s’abattit,

Horrible, et, se ruant sur le pauvre petit,

Le saisit à la gorge; ô noire maladie!

De l’air par qui l’on vit sinistre perfidie!

Qui n’a vu se débattre, hélas! ces doux enfants

Qu’étreint le croup féroce en ses doigts étouffants!

Ils luttent; l’ombre emplit lentement leurs yeux d’ange,

Et de leur bouche froide il sort un râle étrange,

Et si mystérieux, qu’il semble qu’on entend,

Dans leur poitrine, où meurt le souffle haletant,

L’affreux coq du tombeau chanter son aube obscure.

Tel qu’un fruit qui du givre a senti la piqûre,

L’enfant mourut. La mort entra comme un voleur

Et le prit. – Une mère; un père, la douleur,

Le noir cercueil, le front qui se heurte aux murailles,

Les lugubres sanglots qui sortent des entrailles,

Oh! la parole expire où commence le cri;

Silence aux mots humains!

La mère au cœur meurtri,

Pendant qu’à ses côtés pleurait le père sombre,

Resta trois mois sinistre, immobile dans l’ombre,

L’œil fixe, murmurant on ne sait quoi d’obscur,

Et regardant toujours le même angle du mur.

Elle ne mangeait pas; sa vie était sa fièvre;

Elle ne répondait à personne; sa lèvre

Tremblait; on l’entendait, avec un morne effroi,

Qui disait à voix basse à quelqu’un: – Rends-le-moi! -

Et le médecin dit au père: – Il faut distraire

Ce cœur triste, et donner à l’enfant mort un frère. -

Le temps passa; les jours, les semaines, les mois.

Elle se sentit mère une seconde fois.

Devant le berceau froid de son ange éphémère,

Se rappelant l’accent dont il disait: – Ma mère, -

Elle songeait, muette, assise sur son lit.

Le jour où, tout à coup, dans son flanc tressaillit

L’être inconnu promis à notre aube mortelle,

Elle pâlit. – Quel est cet étranger? dit-elle.

Puis elle cria, sombre et tombant à genoux:

– Non, non, je ne veux pas! non! tu serais jaloux!

Ô mon doux endormi, toi que la terre glace,

Tu dirais: «On m’oublie; un autre a pris ma place;

«Ma mère l’aime, et rit; elle le trouve beau,

«Elle l’embrasse, et, moi, je suis dans mon tombeau!»

Non, non! -

Ainsi pleurait cette douleur profonde.

Le jour vint; elle mit un autre enfant au monde,

Et le père joyeux cria: – C’est un garçon.

Mais le père était seul joyeux dans la maison;