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L’amour violerait deux fois le noir secret,

Et quand, ce qu’un dieu fit, un père le ferait?

IV

Que ce livre, du moins, obscur message, arrive,

Murmure, à ce silence, et, flot, à cette rive!

Qu’il y tombe, sanglot, soupir, larme d’amour!

Qu’il entre en ce sépulcre où sont entrés un jour

Le baiser, la jeunesse, et l’aube, et la rosée,

Et le rire adoré de la fraîche épousée,

Et la joie, et mon cœur, qui n’est pas ressorti!

Qu’il soit le cri d’espoir qui n’a jamais menti,

Le chant du deuil, la voix du pâle adieu qui pleure,

Le rêve dont on sent l’aile qui nous effleure!

Qu’elle dise: Quelqu’un est là; j’entends du bruit!

Qu’il soit comme le pas de mon âme en sa nuit!

Ce livre, légion tournoyante et sans nombre

D’oiseaux blancs dans l’aurore et d’oiseaux noirs dans l’ombre,

Ce vol de souvenirs fuyant à l’horizon,

Cet essaim que je lâche au seuil de ma prison,

Je vous le confie, air, souffles, nuée, espace!

Que ce fauve océan qui me parle à voix basse,

Lui soit clément, l’épargne et le laisse passer!

Et que le vent ait soin de n’en rien disperser,

Et jusqu’au froid caveau fidèlement apporte

Ce don mystérieux de l’absent à la morte!

Ô Dieu! puisqu’en effet, dans ces sombres feuillets,

Dans ces strophes qu’au fond de vos cieux je cueillais,

Dans ces chants murmurés comme un épithalame

Pendant que vous tourniez les pages de mon âme,

Puisque j’ai, dans ce livre, enregistré mes jours,

Mes maux, mes deuils, mes cris dans les problèmes sourds,

Mes amours, mes travaux, ma vie heure par heure;

Puisque vous ne voulez pas encor que je meure,

Et qu’il faut bien pourtant que j’aille lui parler;

Puisque je sens le vent de l’infini souffler

Sur ce livre qu’emplit l’orage et le mystère;

Puisque j’ai versé là toutes vos ombres, terre,

Humanité, douleur, dont je suis le passant;

Puisque de mon esprit, de mon cœur, de mon sang,

J’ai fait l’âcre parfum de ces versets funèbres,

Va-t’en, livre, à l’azur, à travers les ténèbres!

Fuis vers la brume où tout à pas lents est conduit!

Oui, qu’il vole à la fosse, à la tombe, à la nuit,

Comme une feuille d’arbre ou comme une âme d’homme!

Qu’il roule au gouffre où va tout ce que la voix nomme!

Qu’il tombe au plus profond du sépulcre hagard,

À côté d’elle, ô mort! et que, là, le regard,

Près de l’ange qui dort, lumineux et sublime,

Le voie épanoui, sombre fleur de l’abîme!

V

Ô doux commencements d’azur qui me trompiez!

Ô bonheurs! je vous ai durement expiés;

J’ai le droit aujourd’hui d’être, quand la nuit tombe,

Un de ceux qui se font écouter de la tombe,

Et qui font, en parlant aux morts blêmes et seuls,

Remuer lentement les plis noirs des linceuls,

Et dont la parole, âpre ou tendre, émeut les pierres,

Les grains dans les sillons, les ombres dans les bières,

La vague et la nuée, et devient une voix

De la nature, ainsi que la rumeur des bois.

Car voilà, n’est-ce pas, tombeaux? bien des années,

Que je marche au milieu des croix infortunées,

Échevelé parmi les ifs et les cyprès,

L’âme au bord de la nuit, et m’approchant tout près;

Et que je vais, courbé sur le cercueil austère,

Questionnant le plomb, les clous, le ver de terre

Qui pour moi sort des yeux de la tête de mort,

Le squelette qui rit, le squelette qui mord,

Les mains aux doigts noueux, les crânes, les poussières,

Et les os des genoux qui savent des prières!

Hélas! j’ai fouillé tout. J’ai voulu voir le fond,

Pourquoi le mal en nous avec le bien se fond,

J’ai voulu le savoir. J’ai dit: Que faut-il croire?

J’ai creusé la lumière, et l’aurore, et la gloire,

L’enfant joyeux, la vierge et sa chaste frayeur,

Et l’amour, et la vie, et l’âme, – fossoyeur.

Qu’ai-je appris? J’ai, pensif, tout saisi sans rien prendre;

J’ai vu beaucoup de nuit et fait beaucoup de cendre.

Qui sommes-nous? que veut dire ce mot: Toujours?

J’ai tout enseveli, songes, espoirs, amours,

Dans la fosse que j’ai creusée en ma poitrine.

Qui donc a la science? où donc est la doctrine?

Oh! que ne suis-je encor le rêveur d’autrefois,

Qui s’égarait dans l’herbe, et les prés, et les bois,

Qui marchait souriant, le soir, quand le ciel brille,

Tenant la main petite et blanche de sa fille,

Et qui, joyeux, laissant luire le firmament,

Laissant l’enfant parler, se sentait lentement

Emplir de cet azur et de cette innocence!

Entre Dieu qui flamboie et l’ange qui l’encense,

J’ai vécu, j’ai lutté, sans crainte, sans remord.

Puis ma porte soudain s’ouvrit devant la mort,

Cette visite brusque et terrible de l’ombre.

Tu passes en laissant le vide et le décombre,

Ô spectre! tu saisis mon ange et tu frappas.

Un tombeau fut dès lors le but de tous mes pas.

VI

Je ne puis plus reprendre aujourd’hui dans la plaine

Mon sentier d’autrefois qui descend vers la Seine;

Je ne puis plus aller où j’allais; je ne puis,

Pareil à la laveuse assise au bord du puits,

Que m’accouder au mur de l’éternel abîme;

Paris m’est éclipsé par l’énorme Solime;

La haute Notre-Dame à présent, qui me luit,

C’est l’ombre ayant deux tours, le silence et la nuit,

Et laissant des clartés trouer ses fatals voiles;

Et je vois sur mon front un panthéon d’étoiles;

Si j’appelle Rouen, Villequier, Caudebec,

Toute l’ombre me crie: Horeb, Cédron, Balbeck!

Et, si je pars, m’arrête à la première lieue,

Et me dit: Tourne-toi vers l’immensité bleue!

Et me dit: Les chemins où tu marchais sont clos.

Penche-toi sur les nuits, sur les vents, sur les flots!

À quoi penses-tu donc? que fais-tu, solitaire?

Crois-tu donc sous tes pieds avoir encor la terre?

Où vas-tu de la sorte et machinalement?

Ô songeur! penche-toi sur l’être et l’élément!

Écoute la rumeur des âmes dans les ondes!

Contemple, s’il te faut de la cendre, les mondes;

Cherche au moins la poussière immense, si tu veux

Mêler de la poussière à tes sombres cheveux,

Et regarde, en dehors de ton propre martyre,

Le grand néant, si c’est le néant qui t’attire!

Sois tout à ces soleils où tu remonteras!

Laisse là ton vil coin de terre. Tends les bras,

Ô proscrit de l’azur, vers les astres patries!

Revois-y refleurir tes aurores flétries;

Deviens le grand œil fixe ouvert sur le grand tout.

Penche-toi sur l’énigme où l’être se dissout,

Sur tout ce qui naît, vit, marche, s’éteint, succombe,

Sur tout le genre humain et sur toute la tombe!

Mais mon cœur toujours saigne et du même côté.

C’est en vain que les cieux, les nuits, l’éternité,

Veulent distraire une âme et calmer un atome.

Tout l’éblouissement des lumières du dôme

M’ôte-t-il une larme? Ah! l’étendue a beau

Me parler, me montrer l’universel tombeau,

Les soirs sereins, les bois rêveurs, la lune amie;

J’écoute, et je reviens à la douce endormie.

VII

Des fleurs! oh! si j’avais des fleurs! si je pouvais

Aller semer des lys sur ces deux froids chevets!

Si je pouvais couvrir de fleurs mon ange pâle!

Les fleurs sont l’or, l’azur, l’émeraude, l’opale!

Le cercueil au milieu des fleurs veut se coucher;