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Les Fluides, noir phlégéton!

Viens, Franklin! voici le Tonnerre.

Le Flot gronde; parais, Fulton!

Rousseau! prends corps à corps la Haine.

L’Esclavage agite sa chaîne;

Ô Voltaire! aide au paria!

La Grève rit, Tyburn flamboie,

L’affreux chien Montfaucon aboie,

On meurt… – Debout, Beccaria!

Il n’est rien que l’homme ne tente.

La foudre craint cet oiseleur.

Dans la blessure palpitante

Il dit: Silence! à la douleur.

Sa vergue peut-être est une aile;

Partout où parvient sa prunelle,

L’âme emporte ses pieds de plomb;

L’étoile, dans sa solitude,

Regarde avec inquiétude

Blanchir la voile de Colomb.

Près de la science l’art flotte,

Les yeux sur le double horizon;

La poésie est un pilote;

Orphée accompagne Jason.

Un jour, une barque perdue

Vit à la fois dans l’étendue

Un oiseau dans l’air spacieux,

Un rameau dans l’eau solitaire;

Alors, Gama cria: La terre!

Et Camoëns cria: Les cieux!

Ainsi s’entassent les conquêtes.

Les songeurs sont les inventeurs.

Parlez, dites ce que vous êtes,

Forces, ondes, aimants, moteurs!

Tout est stupéfait dans l’abîme,

L’ombre, de nous voir sur la cime,

Les monstres, qu’on les ait bravés

Dans les cavernes étonnées,

Les perles, d’être devinées,

Et les mondes d’être trouvés!

Dans l’ombre immense du Caucase,

Depuis des siècles, en rêvant,

Conduit par les hommes d’extase,

Le genre humain marche en avant;

Il marche sur la terre; il passe,

Il va, dans la nuit, dans l’espace,

Dans l’infini, dans le borné,

Dans l’azur, dans l’onde irritée,

À la lueur de Prométhée,

Le libérateur enchaîné!

XI

Oh! vous êtes les seuls pontifes,

Penseurs, lutteurs des grands espoirs,

Dompteurs des fauves hippogriffes,

Cavaliers des pégases noirs!

Âmes devant Dieu toutes nues,

Voyants des choses inconnues,

Vous savez la religion!

Quand votre esprit veut fuir dans l’ombre,

La nuée aux croupes sans nombre

Lui dit: Me voici, Légion!

Et, quand vous sortez du problème,

Célébrateurs, révélateurs!

Quand, rentrant dans la foule blême,

Vous redescendez des hauteurs,

Hommes que le jour divin gagne,

Ayant mêlé sur la montagne

Où montent vos chants et nos vœux,

Votre front au front de l’aurore,

Ô géants! vous avez encore

De ses rayons dans les cheveux!

Allez tous à la découverte!

Entrez au nuage grondant!

Et rapportez à l’herbe verte,

Et rapportez au sable ardent,

Rapportez, quel que soit l’abîme,

À l’Enfer, que Satan opprime,

Au Tartare, où saigne Ixion,

Aux cœurs bons, à l’âme méchante,

À tout ce qui rit, mord ou chante,

La grande bénédiction!

Oh! tous à la fois, aigles, âmes,

Esprits, oiseaux, essors, raisons,

Pour prendre en vos serres les flammes,

Pour connaître les horizons,

À travers l’ombre et les tempêtes,

Ayant au-dessus de vos têtes

Mondes et soleils, au-dessous

Inde, Égypte, Grèce et Judée,

De la montagne et de l’idée,

Envolez-vous! envolez-vous!

N’est-ce pas que c’est ineffable

De se sentir immensité,

D’éclairer ce qu’on croyait fable

À ce qu’on trouve vérité,

De voir le fond du grand cratère,

De sentir en soi du mystère

Entrer tout le frisson obscur,

D’aller aux astres, étincelle,

Et de se dire: Je suis l’aile!

Et de se dire: J’ai l’azur!

Allez, prêtres! allez, génies!

Cherchez la note humaine, allez,

Dans les suprêmes symphonies

Des grands abîmes étoilés!

En attendant l’heure dorée,

L’extase de la mort sacrée,

Loin de nous, troupeaux soucieux,

Loin des lois que nous établîmes,

Allez goûter, vivants sublimes,

L’évanouissement des cieux!

Janvier 1856.

XXIV. En frappant à une porte

J’ai perdu mon père et ma mère,

Mon premier né, bien jeune, hélas!

Et pour moi la nature entière

Sonne le glas.

Je dormais entre mes deux frères;

Enfants, nous étions trois oiseaux;

Hélas! le sort change en deux bières

Leurs deux berceaux.

Je t’ai perdue, ô fille chère,

Toi qui remplis, ô mon orgueil,

Tout mon destin de la lumière

De ton cercueil!

J’ai su monter, j’ai su descendre.

J’ai vu l’aube et l’ombre en mes cieux.

J’ai connu la pourpre, et la cendre

Qui me va mieux.

J’ai connu les ardeurs profondes,

J’ai connu les sombres amours;

J’ai vu fuir les ailes, les ondes,

Les vents, les jours.

J’ai sur ma tête des orfraies;

J’ai sur tous mes travaux l’affront,

Aux pieds la poudre, au cœur des plaies,

L’épine au front.

J’ai des pleurs mon œil qui pense,

Des trous à ma robe en lambeau;

Je n’ai rien à la conscience;

Ouvre, tombeau.

Marine-Terrace, 4 septembre 1855.

XXV. Nomen, numen, lumen

Quand il eut terminé, quand les soleils épars,

Éblouis, du chaos montant de toutes parts,

Se furent tous rangés à leur place profonde,

Il sentit le besoin de se nommer au monde;

Et l’être formidable et serein se leva;

Il se dressa sur l’ombre et cria: JÉHOVAH!

Et dans l’immensité ces sept lettres tombèrent;

Et ce sont, dans les cieux que nos yeux réverbèrent,

Au-dessus de nos fronts tremblants sous leur rayon,

Les sept astres géants du noir septentrion.

Minuit, au dolmen du Faldouet, mars 1855.

XXVI. Ce que dit la bouche d’ombre

L’homme en songeant descend au gouffre universel.

J’errais près du dolmen qui domine Rozel,

À l’endroit où le cap se prolonge en presqu’île.

Le spectre m’attendait; l’être sombre et tranquille

Me prit par les cheveux dans sa main qui grandit,

M’emporta sur le haut du rocher, et me dit:

*

Sache que tout connaît sa loi, son but, sa route;

Que, de l’astre au ciron, l’immensité s’écoute;

Que tout a conscience en la création;

Et l’oreille pourrait avoir sa vision,

Car les choses et l’être ont un grand dialogue.

Tout parle; l’air qui passe et l’alcyon qui vogue,

Le brin d’herbe, la fleur, le germe, l’élément.

T’imaginais-tu donc l’univers autrement?

Crois-tu que Dieu, par qui la forme sort du nombre,

Aurait fait à jamais sonner la forêt sombre,

L’orage, le torrent roulant de noirs limons,

Le rocher dans les flots, la bête dans les monts,

La mouche, le buisson, la ronce où croît la mûre,

Et qu’il n’aurait rien mis dans l’éternel murmure?

Crois-tu que l’eau du fleuve et les arbres des bois,

S’ils n’avaient rien à dire, élèveraient la voix?

Prends-tu le vent des mers pour un joueur de flûte?

Crois-tu que l’océan, qui se gonfle et qui lutte,

Serait content d’ouvrir sa gueule jour et nuit

Pour souffler dans le vide une vapeur de bruit,

Et qu’il voudrait rugir, sous l’ouragan qui vole,

Si son rugissement n’était une parole?

Crois-tu que le tombeau, d’herbe et de nuit vêtu,

Ne soit rien qu’un silence? et te figures-tu

Que la création profonde, qui compose

Sa rumeur des frissons du lys et de la rose,

De la foudre, des flots, des souffles du ciel bleu,

Ne sait ce qu’elle dit quand elle parle à Dieu?

Crois-tu qu’elle ne soit qu’une langue épaissie?

Crois-tu que la nature énorme balbutie,