Chantent l’être et montent à Dieu;
L’une adore et luit, l’autre tremble;
Toutes sont les griffons de feu;
Toutes sont le cri des abîmes,
L’appel d’en bas, la voix des cimes,
Le frisson de notre lambeau,
L’hymne instinctif ou volontaire,
L’explication du mystère
Et l’ouverture du tombeau!
À nous qui ne vivons qu’une heure,
Elles font voir les profondeurs,
Et la misère intérieure,
Ciel, à côté de vos grandeurs!
L’homme, esprit captif, les écoute,
Pendant qu’en son cerveau le doute,
Bête aveugle aux lueurs d’en haut,
Pour y prendre l’âme indignée,
Suspend sa toile d’araignée
Au crâne, plafond du cachot.
Elles consolent, aiment, pleurent,
Et, mariant l’idée aux sens,
Ceux qui restent à ceux qui meurent,
Les grains de cendre aux grains d’encens,
Mêlant le sable aux pyramides,
Rendent en même temps humides,
Rappelant à l’un que tout fuit,
À l’autre sa splendeur première,
L’œil de l’astre dans la lumière,
Et l’œil du monstre dans la nuit!
Oui, c’est un prêtre que Socrate!
Oui, c’est un prêtre que Caton!
Quand Juvénal fuit Rome ingrate,
Nul sceptre ne vaut son bâton;
Ce sont des prêtres, les Tyrtées,
Les Solons aux lois respectées,
Les Platons et les Raphaëls!
Fronts d’inspirés, d’esprits, d’arbitres!
Plus resplendissants que les mitres
Dans l’auréole des Noëls!
Vous voyez, fils de la nature,
Apparaître à votre flambeau
Des faces de lumière pure,
Larves du vrai, spectres du beau;
Le mystère, en Grèce, en Chaldée,
Penseurs, grave à vos fronts l’idée
Et l’hiéroglyphe à vos murs;
Et les Indes et les Égyptes
Dans les ténèbres de vos cryptes
S’enfoncent en porches obscurs!
Quand les cigognes du Caÿstre
S’envolent aux souffles des soirs;
Quand la lune apparaît sinistre
Derrière les grands dômes noirs;
Quand la trombe aux vagues s’appuie;
Quand l’orage, l’horreur, la pluie,
Que tordent les bises d’hiver,
Répandent avec des huées
Toutes les larmes des nuées
Sur tous les sanglots de la mer;
Quand dans les tombeaux les vents jouent
Avec les os des rois défunts;
Quand les hautes herbes secouent
Leur chevelure de parfums;
Quand sur nos deuils et sur nos fêtes
Toutes les cloches des tempêtes
Sonnent au suprême beffroi;
Quand l’aube étale ses opales,
C’est pour ces contemplateurs pâles
Penchés dans l’éternel effroi!
Ils savent ce que le soir calme
Pense des morts qui vont partir;
Et ce que préfère la palme,
Du conquérant ou du martyr;
Ils entendent ce que murmure
La voile, la gerbe, l’armure,
Ce que dit, dans le mois joyeux
Des longs jours et des fleurs écloses,
La petite bouche des roses
À l’oreille immense des cieux.
Les vents, les flots, les cris sauvages,
L’azur, l’horreur du bois jauni,
Sont les formidables breuvages
De ces altérés d’infini;
Ils ajoutent, rêveurs austères,
À leur âme tous les mystères,
Toute la matière à leurs sens;
Ils s’enivrent de l’étendue;
L’ombre est une coupe tendue
Où boivent ces sombres passants.
Comme ils regardent, ces messies!
Oh! comme ils songent effarés!
Dans les ténèbres épaissies
Quels spectateurs démesurés!
Oh! que de têtes stupéfaites!
Poëtes, apôtres, prophètes,
Méditant, parlant, écrivant,
Sous des suaires, sous des voiles,
Les plis des robes pleins d’étoiles,
Les barbes au gouffre du vent!
Savent-ils ce qu’ils font eux-mêmes,
Ces acteurs du drame profond?
Savent-ils leur propre problème?
Ils sont. Savent-ils ce qu’ils sont?
Ils sortent du grand vestiaire
Où, pour s’habiller de matière,
Parfois l’ange même est venu.
Graves, tristes, joyeux, fantasques,
Ne sont-ils pas les sombres masques
De quelque prodige inconnu?
La joie ou la douleur les farde;
Ils projettent confusément,
Plus loin que la terre blafarde,
Leurs ombres sur le firmament;
Leurs gestes étonnent l’abîme;
Pendant qu’aux hommes, tourbe infime,
Ils parlent le langage humain,
Dans des profondeurs qu’on ignore,
Ils font surgir l’ombre ou l’aurore,
Chaque fois qu’ils lèvent la main.
Ils ont leur rôle; ils ont leur forme;
Ils vont, vêtus d’humanité,
Jouant la comédie énorme
De l’homme et de l’éternité;
Ils tiennent la torche ou la coupe;
Nous tremblerions si dans leur groupe,
Nous, troupeau, nous pénétrions!
Les astres d’or et la nuit sombre
Se font des questions dans l’ombre
Sur ces splendides histrions.
Ah! ce qu’ils font est l’œuvre auguste.
Ces histrions sont les héros!
Ils sont le vrai, le saint, le juste,
Apparaissant à nos barreaux.
Nous sentons, dans la nuit mortelle,
La cage en même temps que l’aile;
Ils nous font espérer un peu;
Ils sont lumière et nourriture;
Ils donnent aux cœurs la pâture,
Ils émiettent aux âmes Dieu!
Devant notre race asservie
Le ciel se tait, et rien n’en sort.
Est-ce le rideau de la vie?
Est-ce le voile de la mort?
Ténèbres! l’âme en vain s’élance,
L’Inconnu garde le silence,
Et l’homme, qui se sent banni,
Ne sait s’il redoute ou s’il aime
Cette lividité suprême
De l’énigme et de l’infini.
Eux, ils parlent à ce mystère!
Ils interrogent l’éternel,
Ils appellent le solitaire,
Ils montent, ils frappent au ciel,
Disent: Es-tu là? dans la tombe,
Volent, pareils à la colombe
Offrant le rameau qu’elle tient,
Et leur voix est grave, humble ou tendre,
Et par moments on croit entendre
Le pas sourd de quelqu’un qui vient.
Nous vivons, debout à l’entrée
De la mort, gouffre illimité,
Nus, tremblants, la chair pénétrée
Du frisson de l’énormité;
Nos morts sont dans cette marée;
Nous entendons, foule égarée
Dont le vent souffle le flambeau,
Sans voir de voiles ni de rames,
Le bruit que font ces vagues d’âmes
Sous la falaise du tombeau.
Nous regardons la noire écume,
L’aspect hideux, le fond bruni;
Nous regardons la nuit, la brume,
L’onde du sépulcre infini;
Comme un oiseau de mer effleure
La haute rive où gronde et pleure
L’océan plein de Jéhovah,
De temps en temps, blanc et sublime,
Par-dessus le mur de l’abîme
Un ange paraît et s’en va.
Quelquefois une plume tombe
De l’aile où l’ange se berçait;
Retourne-t-elle dans la tombe?
Que devient-elle? On ne le sait.
Se mêle-t-elle à notre fange?
Et qu’a donc crié cet archange?
A-t-il dit non? a-t-il dit oui?
Et la foule cherche, accourue,
En bas la plume disparue,
En haut l’archange évanoui!
Puis, après qu’ont fui comme un rêve
Bien des cœurs morts, bien des yeux clos,
Après qu’on a vu sur la grève
Passer des flots, des flots, des flots,
Dans quelque grotte fatidique,
Sous un doigt de feu qui l’indique,
On trouve un homme surhumain
Traçant des lettres enflammées
Sur un livre plein de fumées,
La plume de l’ange à la main!
Il songe, il calcule, il soupire,