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Son poing puissant sous son menton;

Et l’homme dit: Je suis Shakspeare.

Et l’homme dit: Je suis Newton.

L’homme dit: Je suis Ptolémée;

Et dans sa grande main fermée

Il tient le globe de la nuit.

L’homme dit: Je suis Zoroastre;

Et son sourcil abrite un astre,

Et sous son crâne un ciel bleuit!

VI

Oui, grâce aux penseurs, à ces sages,

À ces fous qui disent: Je vois!

Les ténèbres sont des visages,

Le silence s’emplit de voix!

L’homme, comme âme, en Dieu palpite,

Et comme être, se précipite

Dans le progrès audacieux;

Le muet renonce à se taire;

Tout luit; la noirceur de la terre

S’éclaire à la blancheur des cieux.

Ils tirent de la créature

Dieu par l’esprit et le scalpel;

Le grand caché de la nature

Vient hors de l’antre à leur appel;

À leur voix, l’ombre symbolique

Parle, le mystère s’explique

La nuit est pleine d’yeux de lynx;

Sortant de force, le problème

Ouvre les ténèbres lui-même,

Et l’énigme éventre le sphinx.

Oui, grâce à ces hommes suprêmes,

Grâce à ces poëtes vainqueurs,

Construisant des autels poëmes

Et prenant pour pierres les cœurs,

Comme un fleuve d’âme commune,

Du blanc pilône à l’âpre rune,

Du brahme au flamine romain,

De l’hiérophante au druide,

Une sorte de Dieu fluide

Coule aux veines du genre humain.

VII

Le noir cromlech, épars dans l’herbe,

Est sur le mont silencieux;

L’archipel est sur l’eau superbe;

Les pléiades sont dans les cieux;

Ô mont! ô mer! voûte sereine!

L’herbe, la mouette, l’âme humaine,

Que l’hiver désole ou poursuit,

Interrogent, sombres proscrites;

Ces trois phrases dans l’ombre écrites

Sur les trois pages de la nuit.

– Ô vieux cromlech de la Bretagne,

Qu’on évite comme un récif,

Qu’écris-tu donc sur la montagne?

– Nuit! répond le cromlech pensif.

– Archipel où la vague fume,

Quel mot jettes-tu dans la brume?

– Mort! dit la roche à l’alcyon.

– Pléiades qui percez nos voiles,

Qu’est-ce que disent vos étoiles?

– Dieu! dit la constellation.

C’est, ô noirs témoins de l’espace,

Dans trois langues le même mot!

Tout ce qui s’obscurcit, vit, passe,

S’effeuille et meurt, tombe là-haut.

Nous faisons tous la même course.

Être abîme, c’est être source.

Le crêpe de la nuit en deuil,

La pierre de la tombe obscure,

Le rayon de l’étoile pure

Sont les paupières du même œil!

L’unité reste, l’aspect change;

Pour becqueter le fruit vermeil,

Les oiseaux volent à l’orange

Et les comètes au soleil;

Tout est l’atome et tout est l’astre;

La paille porte, humble pilastre,

L’épi d’où naissent les cités;

La fauvette à la tête blonde

Dans la goutte d’eau boit un monde…

Immensités! immensités!

Seul, la nuit, sur sa plate-forme,

Herschell poursuit l’être central

À travers la lentille énorme,

Cristallin de l’œil sidéral;

Il voit en haut Dieu dans les mondes,

Tandis que, des hydres profondes

Scrutant les monstrueux combats,

Le microscope formidable,

Plein de l’horreur de l’insondable,

Regarde l’infini d’en bas!

VIII

Dieu, triple feu, triple harmonie,

Amour, puissance, volonté,

Prunelle énorme d’insomnie,

De flamboiement et de bonté,

Vu dans toute l’épaisseur noire,

Montrant ses trois faces de gloire

À l’âme, à l’être, au firmament,

Effarant les yeux et les bouches,

Emplit les profondeurs farouches

D’un immense éblouissement.

Tous ces mages, l’un qui réclame,

L’autre qui voulut ou couva,

Ont un rayon qui de leur âme

Va jusqu’à l’œil de Jéhovah;

Sur leur trône leur esprit songe;

Une lueur qui d’en haut plonge,

Qui descend du ciel sur les monts

Et de Dieu sur l’homme qui souffre,

Rattache au triangle du gouffre

L’escarboucle des Salomons.

IX

Ils parlent à la solitude,

Et la solitude comprend;

Ils parlent à la multitude,

Et font écumer ce torrent;

Ils font vibrer les édifices;

Ils inspirent les sacrifices

Et les inébranlables fois;

Sombres, ils ont en eux, pour muse,

La palpitation confuse

De tous les êtres à la fois.

Comment naît un peuple? Mystère!

À de certains moments, tout bruit

A disparu; toute la terre

Semble une plaine de la nuit;

Toute lueur s’est éclipsée;

Pas de verbe, pas de pensée,

Rien dans l’ombre et rien dans le ciel,

Pas un œil n’ouvre ses paupières… -

Le désert blême est plein de pierres,

Ézéchiel! Ézéchiel!

Mais un vent sort des cieux sans bornes,

Grondant comme les grandes eaux,

Et souffle sur ces pierres mornes,

Et de ces pierres fait des os;

Ces os frémissent, tas sonore;

Et le vent souffle, et souffle encore

Sur ce triste amas agité,

Et de ces os il fait des hommes,

Et nous nous levons et nous sommes,

Et ce vent, c’est la liberté!

Ainsi s’accomplit la genèse

Du grand rien d’où naît le grand tout.

Dieu pensif dit: Je suis bien aise

Que ce qui gisait soit debout.

Le néant dit: J’étais souffrance;

La douleur dit: Je suis la France!

Ô formidable vision!

Ainsi tombe le noir suaire;

Le désert devient ossuaire,

Et l’ossuaire nation.

X

Tout est la mort, l’horreur, la guerre;

L’homme par l’ombre est éclipsé;

L’Ouragan par toute la terre

Court comme un enfant insensé.

Il brise à l’hiver les feuillages,

L’éclair aux cimes, l’onde aux plages,

À la tempête le rayon;

Car c’est l’ouragan qui gouverne

Toute cette étrange caverne

Que nous nommons Création.

L’ouragan, qui broie et torture,

S’alimente, monstre croissant,

De tout ce que l’âpre nature

A d’horrible et de menaçant;

La lave en feu le désaltère;

Il va de Quito, blanc cratère

Qu’entoure un éternel glaçon,

Jusqu’à l’Hékla, mont, gouffre et geôle,

Bout de la mamelle du pôle

Que tette ce noir nourrisson!

L’ouragan est la force aveugle,

L’agitateur du grand linceul;

Il rugit, hurle, siffle, beugle,

Étant toute l’hydre à lui seul;

Il flétrit ce qui veut éclore;

Il dit au printemps, à l’aurore,

À la paix, à l’amour: Va-t’en!

Il est rage et foudre; il se nomme

Barbarie et crime pour l’homme,

Nuit pour les cieux, pour Dieu Satan.

C’est le souffle de la matière,

De toute la nature craint;

L’Esprit, ouragan de lumière,

Le poursuit, le saisit, l’étreint;

L’Esprit terrasse, abat, dissipe

Le principe par le principe;

Il combat, en criant: Allons!

Les chaos par les harmonies,

Les éléments par les génies,

Par les aigles les aquilons!

Ils sont là, hauts de cent coudées,

Christ en tête, Homère au milieu,

Tous les combattants des idées,

Tous les gladiateurs de Dieu;

Chaque fois qu’agitant le glaive,

Une forme du mal se lève

Comme un forçat dans son préau,

Dieu, dans leur phalange complète,

Désigne quelque grand athlète

De la stature du fléau.

Surgis, Volta! dompte en ton aire