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Et qu’il vous donne l’or, et qu’il n’a pas de pain.

Oh! dans la longue salle aux tables de sapin,

Enfants, faites silence à la lueur des lampes!

Voyez, la morne angoisse a fait blêmir ses tempes:

Songez qu’il saigne, hélas! sous ses pauvres habits.

L’herbe que mord la dent cruelle des brebis,

C’est lui; vous riez, vous, et vous lui rongez l’âme.

Songez qu’il agonise, amer, sans air, sans flamme;

Que sa colère dit: Plaignez-moi; que ses pleurs

Ne peuvent pas couler devant vos yeux railleurs!

Aux heures du travail votre ennui le dévore,

Aux heures du plaisir vous le rongez encore;

Sa pensée, arrachée et froissée, est à vous,

Et, pareille au papier qu’on distribue à tous,

Page blanche d’abord, devient lentement noire.

Vous feuilletez son cœur, vous videz sa mémoire;

Vos mains, jetant chacune un bruit, un trouble, un mot,

Et raturant l’idée en lui dès qu’elle éclôt,

Toutes en même temps dans son esprit écrivent.

Si des rêves, parfois, jusqu’à son front arrivent,

Vous répandez votre encre à flots sur cet azur;

Vos plumes, tas d’oiseaux hideux au vol obscur,

De leurs mille becs noirs lui fouillent la cervelle.

Le nuage d’ennui passe et se renouvelle.

Dormir, il ne le peut; penser, il ne le peut.

Chaque enfant est un fil dont son cœur sent le nœud.

Oui, s’il veut songer, fuir, oublier, franchir l’ombre,

Laisser voler son âme aux chimères sans nombre,

Ces écoliers joueurs, vifs, légers, doux, aimants,

Pèsent sur lui, de l’aube au soir, à tous moments,

Et le font retomber des voûtes immortelles;

Et tous ces papillons sont le plomb de ses ailes.

Saint et grave martyr changeant de chevalet;

Crucifié par vous, bourreaux charmants, il est

Votre souffre-douleurs et votre souffre-joies;

Ses nuits sont vos hochets et ses jours sont vos proies,

Il porte sur son front votre essaim orageux;

Il a toujours vos bruits, vos rires et vos jeux,

Tourbillonnant sur lui comme une âpre tempête.

Hélas! il est le deuil dont vous êtes la fête;

Hélas! il est le cri dont vous êtes le chant.

Et, qui sait? sans rien dire, austère, et se cachant

De sa bonne action comme d’une mauvaise,

Ce pauvre être qui rêve accoudé sur sa chaise,

Mal nourri, mal vêtu, qu’un mendiant plaindrait,

Peut-être a des parents qu’il soutient en secret,

Et fait de ses labeurs, de sa faim, de ses veilles,

Des siècles dont sa voix vous traduit les merveilles,

Et de cette sueur qui coule sur sa chair,

Des rubans au printemps, un peu de feu l’hiver,

Pour quelque jeune sœur ou quelque vieille mère;

Changeant en goutte d’eau la sombre larme amère;

De sorte que, vivant à son ombre sans bruit,

Une colombe vient la boire dans la nuit!

Songez que pour cette œuvre, enfants, il se dévoue,

Brûle ses yeux, meurtrit son cœur, tourne la roue,

Traîne la chaîne! hélas, pour lui, pour son destin,

Pour ses espoirs perdus à l’horizon lointain,

Pour ses vœux, pour son âme aux fers, pour sa prunelle,

Votre cage d’un jour est prison éternelle!

Songez que c’est sur lui que marchent tous vos pas!

Songez qu’il ne rit pas, songez qu’il ne vit pas!

L’avenir, cet avril plein de fleurs, vous convie;

Vous vous envolerez demain en pleine vie;

Vous sortirez de l’ombre, il restera. Pour lui,

Demain sera muet et sourd comme aujourd’hui;

Demain, même en juillet, sera toujours décembre,

Toujours l’étroit préau, toujours la pauvre chambre,

Toujours le ciel glacé, gris, blafard, pluvieux;

Et, quand vous serez grands, enfants, il sera vieux.

Et, si quelque heureux vent ne souffle et ne l’emporte,

Toujours il sera là, seul sous la sombre porte,

Gardant les beaux enfants sous ce mur redouté,

Ayant tout de leur peine et rien de leur gaîté.

Oh! que votre pensée aime, console, encense

Ce sublime forçat du bagne d’innocence!

Pesez ce qu’il prodigue avec ce qu’il reçoit.

Oh! qu’il se transfigure à vos yeux, et qu’il soit

Celui qui vous grandit, celui qui vous élève,

Qui donne à vos raisons les deux tranchants du glaive,

Art et science, afin qu’en marchant au tombeau,

Vous viviez pour le vrai, vous luttiez pour le beau!

Oh! qu’il vous soit sacré dans cette tâche auguste

De conduire à l’utile, au sage, au grand, au juste,

Vos âmes en tumulte à qui le ciel sourit!

Quand les cœurs sont troupeau, le berger est esprit.

Et, pendant qu’il est là, triste, et que dans la classe

Un chuchotement vague endort son âme lasse,

Oh! des poëtes purs entr’ouverts sur vos bancs,

Qu’il sorte, dans le bruit confus des soirs tombants,

Qu’il sorte de Platon, qu’il sorte d’Euripide,

Et de Virgile, cygne errant du vers limpide,

Et d’Eschyle, lion du drame monstrueux,

Et d’Horace, et d’Homère à demi dans les cieux,

Qu’il sorte, pour sa tête aux saints travaux baissée,

Pour l’humble défricheur de la jeune pensée,

Qu’il sorte, pour ce front qui se penche et se fend

Sur ce sillon humain qu’on appelle l’enfant,

De tous ces livres pleins de hautes harmonies,

La bénédiction sereine des génies!

Juin 1843.

XVII. Chose vue un jour de printemps

Entendant des sanglots, je poussai cette porte.

Les quatre enfants pleuraient et la mère était morte.

Tout dans ce lieu lugubre effrayait le regard.

Sur le grabat gisait le cadavre hagard;

C’était déjà la tombe et déjà le fantôme.

Pas de feu; le plafond laissait passer le chaume.

Les quatre enfants songeaient comme quatre vieillards.

On voyait, comme une aube à travers des brouillards,

Aux lèvres de la morte un sinistre sourire;

Et l’aîné, qui n’avait que six ans, semblait dire:

«Regardez donc cette ombre où le sort nous a mis!»

Un crime en cette chambre avait été commis.

Ce crime, le voici: – Sous le ciel qui rayonne,

Une femme est candide, intelligente, bonne;

Dieu, qui la suit d’en haut d’un regard attendri,

La fit pour être heureuse. Humble, elle a pour mari

Un ouvrier; tous deux, sans aigreur, sans envie,

Tirent d’un pas égal le licou de la vie.

Le choléra lui prend son mari; la voilà

Veuve avec la misère et quatre enfants qu’elle a.

Alors, elle se met au labeur comme un homme.

Elle est active, propre, attentive, économe;

Pas de drap à son lit, pas d’âtre à son foyer;

Elle ne se plaint pas, sert qui veut l’employer,

Ravaude de vieux bas, fait des nattes de paille,

Tricote, file, coud, passe les nuits, travaille

Pour nourrir ses enfants; elle est honnête enfin.

Un jour, on va chez elle, elle est morte de faim.

Oui, les buissons étaient remplis de rouges-gorges,

Les lourds marteaux sonnaient dans la lueur des forges,

Les masques abondaient dans les bals, et partout

Les baisers soulevaient la dentelle du loup;

Tout vivait; les marchands comptaient de grosses sommes;

On entendait rouler les chars, rire les hommes;

Les wagons ébranlaient les plaines; le steamer

Secouait son panache au-dessus de la mer;

Et, dans cette rumeur de joie et de lumière,

Cette femme étant seule au fond de sa chaumière,

La faim, goule effarée aux hurlements plaintifs,

Maigre et féroce, était entrée à pas furtifs,

Sans bruit, et l’avait prise à la gorge, et tuée.

La faim, c’est le regard de la prostituée,

C’est le bâton ferré du bandit, c’est la main

Du pâle enfant volant un pain sur le chemin,

C’est la fièvre du pauvre oublié, c’est le râle

Du grabat naufragé dans l’ombre sépulcrale.