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IV. Écrit au bas d’un crucifix

Vous qui pleurez, venez à ce Dieu, car il pleure.

Vous qui souffrez, venez à lui, car il guérit.

Vous qui tremblez, venez à lui, car il sourit.

Vous qui passez, venez à lui, car il demeure.

Mars 1842.

V. Quia pulvis es

Ceux-ci partent, ceux-là demeurent.

Sous le sombre aquilon, dont les mille voix pleurent,

Poussière et genre humain, tout s’envole à la fois.

Hélas! le même vent souffle, en l’ombre où nous sommes,

Sur toutes les têtes des hommes,

Sur toutes les feuilles des bois.

Ceux qui restent à ceux qui passent

Disent: – Infortunés! déjà vos fronts s’effacent.

Quoi! vous n’entendrez plus la parole et le bruit!

Quoi! vous ne verrez plus ni le ciel ni les arbres!

Vous allez dormir sous les marbres!

Vous allez tomber dans la nuit! -

Ceux qui passent à ceux qui restent

Disent: – Vous n’avez rien à vous! vos pleurs l’attestent!

Pour vous, gloire et bonheur sont des mots décevants.

Dieu donne aux morts les biens réels, les vrais royaumes.

Vivants! vous êtes des fantômes;

C’est nous qui sommes les vivants! -

Février 1843.

VI. La source

Un lion habitait près d’une source; un aigle

Y venait boire aussi.

Or, deux héros un jour, deux rois – souvent Dieu règle

La destinée ainsi -

Vinrent à cette source, où des palmiers attirent

Le passant hasardeux,

Et, s’étant reconnus, ces hommes se battirent

Et tombèrent tous deux.

L’aigle, comme ils mouraient, vint planer sur leurs têtes,

Et leur dit, rayonnant:

– Vous trouviez l’univers trop petit, et vous n’êtes

Qu’une ombre maintenant!

Ô princes! et vos os, hier pleins de jeunesse,

Ne seront plus demain

Que des cailloux mêlés, sans qu’on les reconnaisse,

Aux pierres du chemin!

Insensés! à quoi bon cette guerre âpre et rude,

Ce duel, ce talion?… -

Je vis en paix, moi, l’aigle, en cette solitude

Avec lui, le lion.

Nous venons tous deux boire à la même fontaine,

Rois dans les mêmes lieux;

Je lui laisse le bois, la montagne et la plaine,

Et je garde les cieux.

Octobre 1846.

VII. La statue

Quand l’Empire romain tomba désespéré,

– Car, ô Rome, l’abîme où Carthage a sombré

Attendait que tu la suivisses! -

Quand, n’ayant rien en lui de grand qu’il n’eût brisé,

Ce monde agonisa, triste, ayant épuisé

Tous les Césars et tous les vices;

Quand il expira, vide et riche comme Tyr;

Tas d’esclaves ayant pour gloire de sentir

Le pied du maître sur leurs nuques;

Ivre de vin, de sang et d’or; continuant

Caton par Tigellin, l’astre par le néant,

Et les géants par les eunuques;

Ce fut un noir spectacle et dont on s’enfuyait.

Le pâle cénobite y songeait, inquiet,

Dans les antres visionnaires;

Et, pendant trois cents ans, dans l’ombre on entendit

Sur ce monde damné, sur ce festin maudit,

Un écroulement de tonnerres.

Et Luxure, Paresse, Envie, Orgie, Orgueil,

Avarice et Colère, au-dessus de ce deuil,

Planèrent avec des huées;

Et, comme des éclairs sous le plafond des soirs,

Les glaives monstrueux des sept archanges noirs

Flamboyèrent dans les nuées.

Juvénal, qui peignit ce gouffre universel,

Est statue aujourd’hui; la statue est de sel,

Seule sous le nocturne dôme;

Pas un arbre à ses pieds; pas d’herbe et de rameaux;

Et dans son œil sinistre on lit ces sombres mots:

Pour avoir regardé Sodome.

Février 1843.

VIII .

Je lisais. Que lisais-je? Oh! le vieux livre austère,

Le poëme éternel! – La Bible? – Non, la terre.

Platon, tous les matins, quand revit le ciel bleu,

Lisait les vers d’Homère, et moi les fleurs de Dieu.

J’épelle les buissons, les brins d’herbe, les sources;

Et je n’ai pas besoin d’emporter dans mes courses

Mon livre sous mon bras, car je l’ai sous mes pieds.

Je m’en vais devant moi dans les lieux non frayés,

Et j’étudie à fond le texte, et je me penche,

Cherchant à déchiffrer la corolle et la branche.

Donc, courbé, – c’est ainsi qu’en marchant je traduis

La lumière en idée, en syllabes les bruits, -

J’étais en train de lire un champ, page fleurie.

Je fus interrompu dans cette rêverie;

Un doux martinet noir avec un ventre blanc

Me parlait; il disait: – Ô pauvre homme, tremblant

Entre le doute morne et la foi qui délivre,

Je t’approuve. Il est bon de lire dans ce livre.

Lis toujours, lis sans cesse, ô penseur agité,

Et que les champs profonds t’emplissent de clarté!

Il est sain de toujours feuilleter la nature,

Car c’est la grande lettre et la grande écriture;

Car la terre, cantique où nous nous abîmons,

A pour versets les bois et pour strophes les monts!

Lis. Il n’est rien dans tout ce que peut sonder l’homme

Qui, bien questionné par l’âme, ne se nomme.

Médite. Tout est plein de jour, même la nuit;

Et tout ce qui travaille, éclaire, aime ou détruit,

A des rayons: la roue au dur moyeu, l’étoile,

La fleur, et l’araignée au centre de sa toile.

Rends-toi compte de Dieu. Comprendre, c’est aimer.

Les plaines où le ciel aide l’herbe à germer,

L’eau, les prés, sont autant de phrases où le sage

Voit serpenter des sens qu’il saisit au passage.

Marche au vrai. Le réel, c’est le juste, vois-tu;

Et voir la vérité, c’est trouver la vertu.

Bien lire l’univers, c’est bien lire la vie.

Le monde est l’œuvre où rien ne ment et ne dévie,

Et dont les mots sacrés répandent de l’encens.

L’homme injuste est celui qui fait des contre-sens.

Oui, la création tout entière, les choses,

Les êtres, les rapports, les éléments, les causes,

Rameaux dont le ciel clair perce le réseau noir,

L’arabesque des bois sur les cuivres du soir,

La bête, le rocher, l’épi d’or, l’aile peinte,

Tout cet ensemble obscur, végétation sainte,

Compose en se croisant ce chiffre énorme: DIEU.

L’éternel est écrit dans ce qui dure peu;

Toute l’immensité, sombre, bleue, étoilée,

Traverse l’humble fleur, du penseur contemplée;

On voit les champs, mais c’est de Dieu qu’on s’éblouit.

Le lys que tu comprends en toi s’épanouit;

Les roses que tu lis s’ajoutent à ton âme.

Les fleurs chastes, d’où sort une invisible flamme,

Sont les conseils que Dieu sème sur le chemin;

C’est l’âme qui les doit cueillir, et non la main.

Ainsi tu fais; aussi l’aube est sur ton front sombre;

Aussi tu deviens bon, juste et sage; et dans l’ombre

Tu reprends la candeur sublime du berceau. -

Je répondis: – Hélas! tu te trompes, oiseau.

Ma chair, faite de cendre, à chaque instant succombe;

Mon âme ne sera blanche que dans la tombe;

Car l’homme, quoi qu’il fasse, est aveugle ou méchant.

Et je continuai la lecture du champ.

Juillet 1843.