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Nous avons veillé toute la nuit, après avoir renvoyé l’enfant. Et à la pointe du jour, la grosse cloche s’est fait entendre, sonnant les plaints; et il semblait que chaque coup retentit à mon pauvre cœur. Et M. le curé est venu prier qu’on portât les corps à l’église: car il était dit, par la chère sœur, si peu longtemps femme d’Edmond, que les corps seraient mis dans la maison paternelle, et de là portés à l’église, comme venant de mourir. Et mon homme a répondu à M. le curé: «Comme il vous plaira: mais ces corps peuvent ici rester un peu, pour y être pleurés, comme il convient pleurer ceux qu’on a tant chéris.» Et il a été dit que ce serait à neuf heures, pour que la sainte messe fût célébrée sur eux. Et à neuf heures, tous nos frères et sœurs en deuil, à l’exception de vous, chère sœur, à cause de votre maladie, ont entouré les cercueils, et les ont voulu porter; mais les filles du village ont demandé à porter Ursule, et les femmes, la chère sœur si peu de temps. Mais mon homme et Bertrand se sont mis à la tête d’Edmond, et ont passé leurs deux mains dessous le portoir, appuyant l’autre sur la tête du défunt, et pleurant d’une si pitoyable manière, que tout le monde le leur est venu ôter, et il a fallu qu’ils le quittassent, ainsi que Georget et Augustin-Nicolas, qui avaient pris les pieds; et deux anciens amis d’école d’Edmond, en deuil, ont pris la tête, et on a marché; mon homme suivait, étant à faire pitié à un chacun, ainsi que tous nos frères et sœurs, Bertrand surtout: et tel était le saisissement où l’on était, que les chantres se sont arrêtés de chanter, et le pasteur lui-même ne pouvait parler. Et tout le village y était. Et comme on a été à la porte de l’église, voilà qu’est arrivée une belle grande dame, que je ne reconnaissais pas: mais à sa voix, j’ai entendu que c’était Mme Loiseau. Elle est venue à moi, et m’a embrassée en pleurant: «Voilà donc ce que j’ai tant aimé! (a-t-elle dit). Ma chère madame R**, hâtons la cérémonie. J’ai amené deux personnes, à qui la vue en serait funeste.» Elle a ensuite parlé à M. le curé, qui sur ce qu’elle lui a dit, a fait prendre le chemin de la fosse. Un chacun en était surpris, et les habitants du village, surtout les femmes, en ont murmuré. En ce moment, et pendant qu’on hésitait, ont paru les deux autres dames plus jeunes, dont l’une échevelée, fondant en larmes, et poussant des cris, s’est précipitée sur les cercueils; l’autre plus rassise, mais non moins endolorée, a demandé à voir encore une fois sa sœur. On a découvert sa tête. À cette vue, elle est tombée évanouie, tandis que l’autre regardait Edmond sans prononcer un mot. Je me suis approchée, et j’ai recouvert les deux cadavres, en disant: «Madame, j’ai le cœur aussi affligé que vous. Elle ne m’a rien répondu. mais elle m’a suivie, et les corps ont été portés à l’église. Ces deux dames étaient Mlle Fanchette, à présent Mme Quinci , et Mme Zéphire. On a célébré le messe et à l’endroit ordinaire du prône, le pasteur est monté en chaire, où il a dit: «Mes chers paroissiens; nous célébrons aujourd’hui les obsèques de trois personnes, dont deux sont vos compatriotes; vous les avez vus, et vous les avez aimés, car avant leurs malheurs, on ne pouvait les voir sans les aimer et chérir. Ils ont essuyé les plus grandes épreuves et les plus grandes tribulations: elles vous feraient frémir, si vous les saviez toutes! Mais leur pénitence des fautes qu’ils peuvent avoir commises a été si grande, si effrayante d’une part, si belle de l’autre, que je les regarde comme étant dans le séjour du repos. Si vous considérez leur mérite avant leur chute, personne n’en eut jamais davantage, ni pour le corps ni pour l’âme; si vous les considérez après, vous aurez la plus belle instruction, et le plus grand effroi du vice; car jamais ils ne se sont crus assez punis; ils n’ont jamais dit à Dieu: C’est trop! arrêtez, Seigneur! mais ils ont reçu avec ardeur les châtiments de sa main paternelle: et quand le coup terrible de la mort a été frappé sur chacun d’eux, ils ont offert leur vie, et béni Dieu. Chers enfants! qu’est donc le péché! s’il faut de si grands maux pour l’expier!… Quant à la dame que nous recevons ici avec eux, elle fut toute vertu et toute piété; vous avez connu sa famille, et son père était votre conseil elle a voulu être ici avec ceux qu’elle a aimés, ayant épousé Edmond R**, à jamais célèbre dans ce pays; et le jour même, il est mort écrasé, comme par la main de Dieu. Unissons nos prières pour ces trois chers défunts, qui seront un jour nos protecteurs auprès de Dieu, s’ils ne le sont déjà. Amen .».

Il est ensuite descendu de chaire, et il a achevé le service: après lequel on a porté les corps à la sépulture. La fosse était ouverte aux pieds de nos respectables père et mère, avec l’attention de ne point découvrir en aucune manière leurs restes vénérables. On a d’abord descendu le cercueil d’Ursule, qui est fort pesant, étant de plomb, et il a été placé aux pieds de sa bonne et tendre mère: mais la pesanteur avait donné un si grand ébranlement à la terre, qu’elle s’est éboulée, pendant qu’on arrangeait le cercueil, et on a vu à découvert les os des pieds dégarnis de chairs, de celle qui fut mère de douleur: ce qui a fait pousser à tout le monde un cri d’angoisse et de compassion. Et mon pauvre mari, criant: Ma mère! ma mère! s’est jeté dans la fosse, et a recouvert les pieds de sa mère, amoncelant la terre sur la tête d’Ursule, pour qu’ils y reposassent à jamais: et après s’être prosterné, en baisant cette terre et ces os, il est remonté, pâle et défait. Et un chacun disait, par un murmure de louange: «On voit le bon fils, jusqu’au dernier moment! il a recouvert les pieds de sa bonne mère morte, comme il la soulageait vivante!…» Il a fallu ensuite descendre le double cercueil, et mon mari a encore été dans la fosse, pour le soutenir, l’empêchant de vaciller, et qu’il ne tombât sur le cercueil d’Ursule. Et il a dit tout haut: «Voilà donc le dernier service que je te rends, ô mon pauvre frère Edmond! l’ami de mon enfance, le cher compagnon de ma jeunesse, le confident de toutes mes pensées. Adieu, Edmond! Adieu! adieu! cher ami, moitié de ma vie, porte-nom de mon respectable père, aux pieds de qui je te dépose, suivant ton vœu, afin qu’il te reçoive dans son sein au séjour des justes, où tu m’attendras, pour nous réunir tous un jour… Ô jour de réunion! je te salue!…» Et tandis qu’il parlait, un de ceux qui tenaient la corde du cercueil (car la fosse était profonde, à cause que notre sœur, la pauvre défunte Ursule, avait demandé d’être mise bien au-dessous de sa mère) a glissé du pied, et se serait tué en tombant, si mon mari ne l’avait retenu dans ses bras; car Pierre est le plus fort des hommes du pays et après l’avoir retenu, sans qu’il se soit fait le moindre mal, il l’a enlevé comme un oiseau, pour le mettre hors de la fosse. Mais cet homme tombant, le cercueil a vacillé, et la terre s’est éboulée, de façon que mon pauvre mari en était couvert. Et voilà qu’aussitôt, on a vu le cercueil de notre vénérable père; non du côté des pieds, mais du côté de la tête; et la planche déjà pourrie étant tombée, on a vu à découvert son chef vénérable, encore en son entier, ayant ses cheveux gris, tels qu’au jour de son décès; et il avait encore, quoique cave et décharné, cet air vénérable et doux, qui le rendait le plus gracieux des vieillards. Et mon mari voyant à nu la tête de son honoré père, est demeuré immobile, comme un homme éperdu, ou frappé de la foudre: puis tombant à deux genoux, il a prié, ses larmes coulant, comme jamais on n’en a vu. Puis se levant, il a dit: «Mon père! je vous revois!… mais mort! je vous revois le jour qu’on enterre à vos pieds, votre fils, qui portait votre nom, et votre fille chérie, qui tous deux vous auraient donné consolation, si vous aviez vécu! 0 mon père! ils sont morts! et votre fils aîné, ainsi que tous vos autres enfants, leur rendent les derniers devoirs!» Moi, l’entendant ainsi parler, je lui ai tendu la main tout éperdue: et il l’a serrée, en me demandant le fin bavolet de ma coiffure – et je lui ai donné le même que je portais à ma noce. Et il en a couvert le visage vénérable de son père, et puis s’est là tenu pendant qu’on jetait la terre dans la fosse, de peur que le voile ne se dérangeât. Et il a fait mettre la tête d’Edmond sous la tête de son père, comme la tête d’Ursule était sous les pieds de sa mère. Et quand la terre a été à la hauteur de ses père et mère, il l’a lui-même arrangée sur eux avec la main, fondant en larmes, prenant garde de rien déranger ni heurter; et il poussait des sanglots d’homme, si forts et si puissants, qu’un chacun en était effrayé. Et quand il a eu pieusement et finalement couvert la tête de son père, et les pieds de sa mère, mis ainsi en terre par mégarde, lors de leurs funérailles, il est remonté, et a fait signe à ceux qui couvraient, de cesser; et il a lui-même achevé de remplir la fosse de terre. Et quand elle a été toute comble, il a reposé lui seul les tombes de pierre de ses père et mère qui avaient été déplacées, prenant garde d’endommager les sculptures, qui y ont été posées et scellées de la main d’Edmond repentant. Et on a mis dessus un grillage tenu tout prêt, pour les préserver. Ensuite, Pierre et ses frères ont posé sur la fosse des trois corps, la tombe nouvelle, où il y a une inscription, qui porte ce qui suit:

Ci-gît Edmond R**,

bien né, de parents honnêtes et vertueux;

mais qui fut corrompu à la ville,

où il est mort misérable,

après avoir éprouvé les plus terribles châtiments.

Et sa femme Colette C**,

vertueuse dame,

autant que belle,

qui a voulu mourir,

et être enterrée avec lui.

Ci-gît Ursule R**, sa sœur,

Marquise de***,

Qui fut à la ville avec son frère,

Y vécut comme lui,

Et fut punie de même,