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J’ai peu dont je puisse disposer, mais je retranche sur la dépense de mes habits pour faire quelques bonnes œuvres, et Farisar paraît lui-même fermer un peu les yeux. Adieu, chère bonne amie sœur; prie Dieu pour moi: car je souffre beaucoup de mille autres choses, dont je ne parle pas. Mais qu’est-ce que tout cela en comparaison de ce que je mérite?

P.-S. – Tu ne répondras jamais à ces lettres de confidence; il ne le faut pas.

2ème.

Depuis ma dernière, il m’est arrivé un mal plus grand que tous les autres, puisqu’il m’attaque dans mon corps, et qu’il me prive de caresser mon fils. J’en ai averti humblement M. le marquis, le suppliant de songer à lui. Je m’attendais à ce qui est arrivé: mais j’ai fait mon devoir, car je dois veiller à sa conversation. Il m’a traitée outrageusement, m’accusant de ce qui ne peut être, quoiqu’il sût très bien le contraire. Il a voulu, ou feint de vouloir, chasser Farisar; enfin, il s’est conduit… Mais je mérite tout. Prie Dieu pour moi, ma très chère sœur. Voilà une terrible épreuve!

P.-S. – Mon fils se porte bien; il est charmant, et promet beaucoup. Je ne veux vivre que pour lui, et pour ma pénitence voilà mes deux consolations.

3ème.

Un peu de consolation, très chère bonne amie, se mêle aux peines dont je t’ai parlé: mon surveillant, ce laquais que, mon mari a fait mon maître, était l’un de ces jours dans mon, cabinet de toilette à ranger quelque chose. Je souffrais beaucoup et M. le marquis venait de me traiter fort mal. J’entendis Farisar soupirer et pleurer. Un instant après son maître l’appela: «Qu’as-tu donc? (je l’entendis). – Ma foi, monsieur, ma maîtresse, Mme la marquise votre femme, est la plus respectable dame que j’ai vue de ma vie. C’est une sainte et je ne veux plus être, employé à son service, que pour l’honorer et me recommander à ses prières. – Elle t’a séduit, mon pauvre sot! Va, c’est une rusée coq… – J’ose vous assurer, monsieur et cher maître, et vous jurer par tout l’attachement que vous m’avez toujours su pour vous, que vous vous trompez au sujet de madame, et qu’un jour vous aurez regret à tout ce que vous lui dites et faites. – Monsieur Farisar, gardez vos prédictions pour vous-même, ou pour les faquins de votre espèce, et faites ce que je vous ordonne sans examen.» Cependant le discours de ce garçon a fait quelque impression sur mon mari. Je le trouve plus réservé… Ah! s’il savait tout! comment me traiterait-il?

4ème.

Je me trouve enfin, ma chère bonne amie sœur, dans une situation supportable de la part de mon mari. Il ne m’humilie plus au point où il le faisait. Car il faut te dire enfin qu’il avait ici deux impudentes créatures qui étaient mes maîtresses, et qui me faisaient souffrir toutes sortes d’humiliations; jusqu’à m’obliger à les servir à table, debout derrière leur chaise, tandis qu’elles mangeaient avec M. le marquis. Elles m’ont réduite à pis encore: mais cela ne saurait s’écrire à Fanchon Berthier. D’ailleurs ai-je des droits? Non, non, je n’en saurais avoir et tout ce qui m’afflige, ce sont les fautes que fait M. le marquis. Hélas! nous sommes assez coupables pourquoi nous charger de nouvelles iniquités, et augmenter le trésor de colère amassé sur nos têtes!… Enfin, il a cessé d’hier. Les deux créatures sont renvoyées, sans que j’aie dit un mot pour me plaindre. Farisar transporté de joie est venu m’annoncer cette nouvelle. Le pauvre garçon était hors de lui-même. On m’a dit qu’après l’ordre donné, il s’était jeté aux genoux de son maître, et qu’il lui avait souhaité mille bénédictions. De ce matin, la somme dont je puis disposer est augmentée. Farisar m’assure que M. le marquis instruit de l’usage que j’ai fait du peu que j’avais, en a été édifié: «Ainsi que moi, madame, ajoute-t-il, qui vous regarde comme la bénédiction de la maison de mon maître. Et veuille le Ciel, qu’elle en reçoive les effets, en vous possédant longtemps!» .

Voilà ce qui se passe. Cependant M. le marquis m’a encore parlé fort durement à dîner, et il lui est même échappé un vilain mot… que je mérite, mais qui n’en est pas moins dur dans sa bouche.

Je me trouve en état, ma très chère sœur, au moyen de mon augmentation, de t’envoyer une petite somme, pour, sans me nommer, soulager nos pauvres compatriotes: c’est particulièrement les veuves chargées d’enfants, surtout cette pauvre Claudine Guerreau, qui en a sept; son sort m’a quelquefois tiré des larmes. Je te recommande encore cette pauvre veuve Madeleine Brévin, qui s’est laissée séduire par le fils de Jacques Bérault, notre parent: nous lui devons plus qu’à une autre; c’est peut-être Edmond et moi qui avons corrompu son séducteur, et qui l’avons perdue; elle avait bien vécu fille et femme: pourquoi ne se serait-elle pas bien comportée veuve? Tu m’enverras sa pauvre enfant; c’est aussi notre parente, par le sang de son père; j’en prendrai soin, et je ferai disparaître ici, dans l’obscurité que Paris favorise, la honte de sa naissance. Quant à toi, ma chère Fanchon, et à toute notre chère famille j’entretiens déjà mon fils de ce qu’il faudra faire pour vous: cela sera d’un autre genre, si je vis, ou que mon fils, comme je l’espère conserve à votre égard les sentiments que je lui inculque. Ô! l’aimable enfant! et qu’il m’est cher! J’en suis tendrement aimée, et respectée, plus qu’une mère ordinaire, qui serait de la condition de M. le marquis. Il semble que ce cher enfant veuille me dédommager des humiliations auxquelles son père m’a condamnée, quoiqu’il les ignore absolument, au moins de ma part. Ma femme de chambre m’assure que, je dois ces dispositions de mon fils, non seulement à la tendresse de mes soins, mais aux discours de Farisar: elle l’a entendu un jour dire au jeune comte: «Mon cher jeune maître, Mme votre mère est une sainte, et il n’y a pas de femme au monde comme celle que vous avez le bonheur d’avoir pour mère.» Et comme le jeune comte (ajoutait cette bonne fille) sait que son père a une entière confiance dans ce garçon, un pareil discours de sa part a fait une grande impression sur lui. Voilà, ma chère bonne amie sœur, une grande consolation pour moi! quoique je la doive à ce bon domestique, qui peut-être, gagnera son maître, non pour m’en faire aimer, mais, pour le ramener à des sentiments qui fassent un jour la paix de son cœur.

5ème.

Lorsqu’une partie de mes désirs sont remplis, ma très chère sœur, et qu’une partie de mes peines cessent, il m’en vient d’autres, non moins cruelles! Où est mon infortuné frère?… Tandis que je suis marquise, moi la plus coupable (car nous savons que sa peine flétrissante n’a été que l’effet d’un malheur), il erre, et sûrement gagne sa malheureuse vie aux travaux les plus rudes, ou mendie son pain, un pain bien amer! Ô! ma chère sœur! on dit qu’on l’a vu! et où vu? je ne sais qui me l’a dit, car on paraît se cacher de moi: mais j’ai entendu, ou cru entendre ces mots: En pauvre, n’ayant qu’un bras; il a demandé l’aumône à Mlle Fanchette. C’était sûrement d’Edmond! qu’un bras!… Dieu tout-puissant, que signifie ce mot!… qu’un bras!… Ô! mon Dieu!… Prie Dieu pour lui et pour moi, chère sœur!… Perclus, mutilé, il n’est pas plus malheureux que moi!… qu’un bras! mon frère!… Ô! Fanchon Berthier! toi si pieuse, si méritante, invoque ton Dieu sur le malheureux Edmond et sur sa coupable sœur! Ses peines m’indiquent celles que je mérite.

Je t’envoie une nouvelle somme, que tu iras recevoir à V*** toi-même: le port est payé. J’y ai joint des présents pour toi, pour ton mari, tes enfants; Pour nos frères d’Au**, et notamment pour la chère Edmée, la plus chérie après toi, et à l’égal de toi, de celles qui ont honoré de leur nom et de leur foi quelqu’un de mes frères. Agréez ces faibles marques d’un sentiment inépuisable, éternel, infini. Adieu, aimée, chérie à jamais belle-sœur, et plus que sœur.

6ème.

Ô chère, amie sœur! quelle lettre je viens de lire! C’est Mme Parangon qui me l’a copiée comme tu vois! «Avant-hier, j’ai baisé le seuil de ta porte; je me suis prosterné devant la demeure de nos vénérables parents. Je t’ai vu; et les sanglots m’ont suffoqué. Ton chien est venu pour me mordre; il a reculé en hurlant, comme si j’eusse été une bête féroce! tu l’as pensé toi-même; tu as lancé une pierre; elle m’a atteint; c’est la première de mon supplice…, s’il n’est pas trop doux, pour… un parricide. Ta femme t’a appelé; vous avez été aux tombeaux. Je vous devançais. Vous y avez prié. Et tu as dit à ta femme: «La rosée est forte; la pierre est moite; le serein pourrait te faire; allons-nous-en…» La rosée! c’étaient mes larmes! EDMOND le malheureux.» Dieu tout-puissant! faites miséricorde à votre affligée servante! mais cette lettre a brisé mon cœur. La rosée! c’étaient mes larmes! Ô le pauvre infortuné! combien donc en avait-il répandu!… Ah! je sens pourtant un mouvement de joie! il lave ses fautes et les miennes dans ce déluge de larmes! il nous régénère et nous baptise tous deux dans ce torrent de larmes!… Pauvre cher frère! pauvre ami! mais pauvre abandonné de tout le monde, pendant que ta sœur est servie!… Mon Dieu! je vous offre mon sang, tout indigne qu’il est de couler devant vous! je vous l’offre, mon Dieu! pour achever d’effacer dans les flots de ce sang versé les crimes que mon pauvre frère efface avec ses larmes!… À tout moment, ce mot retentit à mon cœur: C’étaient mes larmes! Mon cœur bondit et tressaille à chaque fois que je répète… La rosée! c’étaient mes larmes! Jamais, jamais le ne me suis sentie dans la situation où je me trouve…

Emploie suivant mes intentions ce que je t’envoie, chère amie. Mes pauvres sont fort bien, à ce que j’ai su par celui qui m’est venu voir ici de ta part. Songe surtout à Edmée Bertrand elle m’est chère à plus d’un titre, ainsi que sa bonne sœur Catherine.