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– Faites le rez-de-chaussée, murmura Oliveira, moi je prends l'étage.

Son arme venait de faire son apparition, au bout du poing. Un revolver français, type Manhurin 357.

– O.K., chuchota-t-elle en retour.

Elle extirpa son petit 32 et pénétra doucement dans le salon.

Elle fit rapidement le tour de la pièce et se retrouva dans le couloir qui menait à la cuisine, sûrement la porte entrouverte à sa droite, cette fois-ci.

Elle s'avança silencieusement et poussa légèrement le battant du pied.

La porte découvrit graduellement l'espace de la pièce, éclairée par la pleine lune.

Une nuée d'angoisse irrésistible l'envahissait au fil des secondes. C'était l'enfer, ici.

Elle n'avait pu le voir en pénétrant dans l'entrée tout à l'heure, mais la pièce était littéralement dévastée.

Il y avait du sang partout, sur le sol et sur des pans de mur, sur le gros combiné frigo-congélateur, et, évidemment sur la table.

Le sang provenait d'un cadavre nu, allongé sur la lourde table paysanne. L'homme avait été ligoté aux quatre pieds de la table, en croix, et avait subi des mutilations diverses, en diverses parties du corps. D'une énorme entaille rouge, à la base du cou, suintait un liquide sombre, et gras. Elle vit aussi que les organes génitaux avaient été attaqués. Que l'ensemble du corps avait été martyrisé.

Des ordures étaient répandues dans toute la pièce, des assiettes sales, des bouteilles vides et des canettes de bière, des emballages déchirés. Les portes de l'armoire étaient ouvertes. Les paquets de riz et les boîtes de pâtes saccagés, éventrés. Et il y avait les restes d'un bon repas étalés sur le bord de l'évier.

Elle ne fit rien qui puisse bousculer le chaos figé dans la pièce. Elle ne mit pas le pied sur le sol mouillé de la cuisine, et n'alluma surtout pas la lumière.

Elle repartit, d'abord lentement, puis à bonne allure vers l'escalier qui menait à l'étage et hurla, la tete tendue vers le haut:

– OLIVEIRA?

Puis, à nouveau:

– OLIVEIRA, JE L'AI TROUVÉ… VOUS M'ENTENDEZ OLIVEIRA? JE L'AI TROUVÉ, EN BAS…

Elle entendit une voix, étouffée par la distance et un bruit de pas qui s'approchait lourdement de la cage d'escalier.

Puis une voix puissante qui éclata dans l'espace,

– ANITA? QU'EST-CE QUE VOUS DITES? VOUS L'AVEZ TROUVÉ?…

– OUI EN BAS… DANS LA CUISINE…

Les pas qui résonnent sur les marches. Oliveira fit son apparition au détour de la première vrille.

– Venez, c'est là-bas.

Sa voix avait été plus blanche qu'elle ne l'aurait voulu.

Moins de cinq minutes plus tard, lorsque Oliveira arriva en courant à la portière de sa voiture, la cuisine luisait faiblement d'un halo jaune derrière la maison.

À l'intérieur les tubes de néon éclairaient d'une lumière crue le décor répugnant et odieux.

Le visage du Grec, ou ce qu'il en restait, dardait des yeux fous, fixés dans la mort, écarquillés vers un point situé bien au-delà du plafond jaunâtre.

Anita passa la pièce en revue, en veillant à ne rien toucher, ni déplacer malencontreusement.

Elle s'approcha avec précaution du cadavre lacéré de toutes parts. Une odeur terrible se dégageait du corps. Elle toucha le haut du bras, juste pour apprécier la température. Elle fut surprise de constater qu'il était loin d'être froid. Encore tiède, et sans rigidité cadavérique… Nom de dieu… Ils s'étaient croisés à une demi-heure près, avec les tueurs… au maximum.

Elle fit le tour de la table et détecta de nombreux restes de joints écrasés à même le sol. Il y avait aussi des miettes de cocaïne, sur de nombreuses assiettes de verre qui n'avaient visiblement servi qu'à ça.

Dans un recoin, entre l'évier et le mur du fond, près d'une poubelle débordant d'ordures diverses, elle vit une sorte de caisse grande ouverte. La caisse reposait sur un carré de gros linge humide.

Anita se pencha au-dessus et vit des miettes d'herbes, quelques branches cassées, deux ou trois sachets de plastique vides, où brillaient des éclats blancs. Sa réserve de dope.

On l'avait torturé à mort pour qu'il livre sa planque. Anita referma la boîte du bout de l'ongle. Il y avait un anneau de fer rouillé attaché à la poignée. Le caisson semblait parfaitement étanche.

Oliveira appela les flics de Beja qui dépêchèrent immédiatement une patrouille et envoyèrent deux hommes des homicides, une ambulance et un médecin légiste.

Il contemplait la scène, debout contre l'encadrement de la porte.

– L'aura encore plus mal fini qu'les autres çui là…

Anita ne resta pas à l'intérieur de la maison et elle sortit en griller une, une bonne Camel sur le parvis.

Elle ne sut pourquoi ses yeux s'attardèrent sur le puits qui fermait un des angles du muret. La margelle était ouverte. La chaîne remontée. Elle se sentit partir vers lui comme une caméra hallucinée. Elle jeta un coup d'œil à l'intérieur, observa la margelle et la chaîne qui se terminait par un crochet de métal rouillé.

Oui, ça avait été cela la cachette du Grec. Une caisson étanche, entouré de linge, accroché à la chaîne, et reposant au fond du puits.

Mais… non, non, pensait-elle. Ça ne tient pas.

On n'endure pas des tortures aussi abominables pour protéger de la dope. Même plusieurs kilos… On ne meurt quand même pas comme ça, comme une bête…

Peut-être les types avaient-ils déraillé et voulu s'amuser un peu avec lui? C'était plus que probable, de nos jours. Visiblement ils avaient festoyé, en même temps. Et avaient dû s'amuser à pisser partout et à y renverser des ordures…

NON. Ça non plus ça ne collait pas. Tout le reste de la maison était immaculé. Ordonné, bien rangé, propre et net, comme si on n'y avait même pas mis le pied. Ça ne collait pas avec une bande de junkies en manque ou de dealers concurrents s'adonnant à des plaisirs orange et mécaniques. Ils auraient saccagé TOUTE la maison…

C'était tout à fait étrange cet îlot de terreur et de violence au cœur de la maison inviolée.

La patrouille arrivait. Oliveira se montra sur le seuil. Les flics jetèrent un rapide coup d' œil dans la maison puis ressortirent fumer une cigarette, attendant patiemment les inspecteurs de Beja.

Vingt minutes plus tard, la voiture des deux flics des homicides se gara, gyro en action. Ils étaient suivis par une antique Fiat déglinguée, conduite par un sexagénaire qui se présenta comme le Dr Pinhero. Un des deux inspecteurs mitrailla la pièce sous tous les angles avec un petit autofocus japonais.

Après que le cadavre fut reparti dans l'ambulance suivie de près par le médecin légiste, une voiture amena deux vieux fonctionnaires fatigués qui relevèrent les empreintes dans toute la maison. Ils commencèrent par fouiller les diverses déjections de la cuisine, isolant rapidement les restes de joints ou de pailles à cocaïne dans des sachets de plastique. Ils prirent des clichés eux aussi, avec un vieux 6x9 est-allemand.

Dans le village voisin, à un petit kilomètre, on commençait à allumer quelques lumières. Les gyrophares vrillaient la nuit de leurs faisceaux bleu et pourpre. Les sirènes résonnaient dans la montagne comme des oiseaux de nuit électriques.

Oliveira la prit par le bras, l'extirpant de sa rêverie.

– Venez, dit-il, on n'a plus rien à faire ici.

– Je ne sais pas, lui répondit-elle franchement, je crois que j'aimerais jeter un coup d'œil à l'étage… En faisant très attention et après le passage du labo…

– Ou'est-ce que vous cherchez? Je n'ai pas l'impression que ça ait un lien avec votre histoire… Le Grec s'est fait dévaliser sa cargaison de dope. On l'a torturé pour ça… C'est tout.

– Je sais, répondit-elle, c'est ce qu'on veut que l'on croie… mais moi je crois que c'est en rapport avec Travis…

Oliveira haussa un sourcil.

– Cet après-midi, j'ai appris que quelqu'un d'autre cherchait Travis. Et si ce que je soupçonne est vrai, alors croyez-moi c'est tout à fait dans leurs méthodes. Extrême brutalité et intelligence. On ne va pas découvrir beaucoup d'empreintes, je suis prête à le parier… Même dans la cuisine…

– Vous pensez que celui ou ceux qui cherchent l’Anglais ont appris quelque chose au sujet du Grec et de Travis? Ou'ils se revoyaient, ou…

– Oui… le Grec était peut-être le dealer attitré de Travis et les types l'ont su, je ne sais comment…

– Attendez un peu, rien ne vous permet de dire ça, vous le savez bien… C'est peut-être tout simplement une bande de junks, qui se sont dit qu'y avait là une jolie maison isolée, un gros lard de Grec et plein de dope dans les placards, pour pas un rond…

– Quais, enchaîna-t-elle, c'est vrai que c'est possible, mais alors expliquez-moi pourquoi tout le reste de la baraque est parfaitement net et astiqué, hein?

Oliveira réprima une réponse spontanée et fit le tour de la question dans sa tête.

– C'est vrai que c'est un peu bizarre… Les types seraient pas sortis de la cuisine?

– Non, ou juste pour ramener la caisse du puits… Ils n'avaient…

– La caisse du puits? Comment savez-vous qu'elle était planquée dans l'puits?

– Je ne sais pas… une présomption… Bon, donc ils ne sortent pas de la cuisine, sinon pour la caisse de dope. Quelqu'un a dû leur dire de ne pas le faire.

– Hein.? Quoi? Quelqu'un… de ne pas le faire?

– Quais, c'était un truc organisé. Bien planifié par des professionnels. Pas des agités de la shooteuse… Vous avez remarqué, juste quelques joints, un peu de coke… Pour se mettre en forme… pas de seringues, de petites cuillères cramées et tout le délire toxico… Et puis y a autre chose…

– Quoi?

– Je ne crois pas que le pire avare ait pu résister longtemps à ces traitements… Ils ont continue après…

– Quais, bien sûr, fallait bien rigoler un peu, non?

– Ja, ja… je sais… mais j'envisage aussi une autre éventualité. Après lui avoir fait cracher sa planque de dope, ils reçoivent l'ordre de se mettre vraiment au boulot… de lui demander où est Travis.

– Mais pourquoi? Pourquoi pas commencer par le plus important… Si c'est pour ça qu'ils sont venus?

– Je ne sais pas trop… Sans doute pour brouiller les pistes. Dites-moi, vous n'avez rien vu de spécial dans les étages tout à l'heure? Je ne sais pas moi, des objets pas à leur place, des meubles fouillés…

– Je n'ai pas eu le temps de tout regarder… Bon vous voulez y retourner c'est ça?

– Écoutez, oui, si ça ne vous cause aucune gêne.