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XXVI LA PETITE MAISON

À peine le carrosse se fut-il mis en mouvement, tandis que d’Assas écrasé, l’âme éperdue, reprenait le chemin de Paris, les gens qui s’étaient étendus dans le champ voisin et avaient assisté à cette scène se relevèrent.

Du Barry courut aux chevaux, sauta sur le sien, et, donnant l’ordre à ses acolytes de reprendre le chemin de la ville, s’élança sur la route.

Il avait sinon tout vu, du moins tout entendu.

Il savait donc qu’au lieu de Berryer, c’était Louis XV qui se trouvait dans la voiture.

Ayant franchi d’un saut le fossé qui le séparait de la route, il prit le galop et ne tarda pas à rejoindre le carrosse. Alors, il lui laissa une avance suffisante pour ne pas être aperçu lui-même dans l’obscurité, et se mit à suivre.

– Ce d’Assas a toutes les chances! grondait-il. Un autre, moi, n’importe qui, eût été arrêté demain matin, et alors la Bastille!… le bourreau, peut-être!… Ah! ce roi est bien faible!… D’Assas s’en tire les mains nettes… Et qui sait si cette aventure ne le servira pas!… Voici la petite d’Étioles favorite! Or, elle me fait l’effet d’éprouver pour le joli chevalier un sentiment qui frise la tendresse!… Enfin, tout n’est pas dit! Qui vivra verra!…

Vingt minutes plus tard, le carrosse fut en vue du gigantesque château, évocation de l’immense orgueil de Louis XIV… Sans doute le roi avait donné des indications à Bernis, car celui-ci, sans hésiter, contourna l’aile droite du château, et lança le carrosse sur la route qui aboutissait à l’endroit où plus tard devait s’élever Trianon.

Au bout de dix minutes, la voiture s’arrêta…

Du Barry sauta vivement de sa selle, et sans se préoccuper de son cheval dressé à ne plus bouger de place dès que le chevalier mettait pied à terre, il se rapprocha d’arbre en arbre et put ainsi arriver à temps pour voir Louis XV descendre… Jeanne demeurait dans la voiture…

Bernis, n’ayant reçu aucun ordre, restait immobile à sa place.

Du Barry embrassa cette scène d’un coup d’œil.

Il vit alors que le carrosse était arrêté devant la porte d’un élégant pavillon de style Renaissance où tout paraissait dormir, volets clos et portes fermées…

Le roi s’approcha de la porte d’entrée et souleva trois fois le marteau.

Aussitôt, comme s’il y eût quelqu’un qui veillât en permanence, la porte s’ouvrit, et une gracieuse soubrette apparut, éclairée par la lampe qu’elle tenait à la main. Cette femme reconnut-elle le roi? Peut-être. Mais elle ne fit aucun geste de surprise, ne prononça pas un mot et se contenta d’éclairer le passage en élevant sa lampe.

Alors Louis XV se rapprocha du carrosse, ouvrit la portière et tendit la main.

Du Barry vit apparaître Mme d’Étioles qui, pâle et tremblante, s’appuya sur cette main pour descendre.

Le roi la conduisit jusqu’à l’entrée de la maison, et, s’adressant à la soubrette:

– Suzon, dit-il, voici votre nouvelle maîtresse. J’espère que tout est prêt pour la recevoir dignement.

– Oui, monsieur, répondit la soubrette.

– Madame, reprit Louis XV en se tournant vers Jeanne, veuillez vous considérer ici comme chez vous. Et vous y êtes réellement. Car cette maison, dès cet instant, vous appartient. J’ose espérer que vous voudrez bien parfois, parmi les amis qui viendront vous saluer, recevoir le plus fidèle et le plus soumis de vos serviteurs.

En même temps il s’inclina profondément.

Jeanne, troublée jusqu’à l’âme, eut une dernière hésitation…

Elle fit une révérence et murmura d’une voix confuse:

– Vous serez toujours le bienvenu… monsieur!…

Et elle entra!…

Louis XV demeura un instant devant cette porte, un singulier sourire au coin des lèvres. Puis, vivement, il remonta dans le carrosse qui, quelques minutes plus tard, s’arrêta devant le château où tout était toujours prêt, nuit et jour, pour recevoir Sa Majesté…

– Ouf! murmura Bernis en remettant le carrosse aux mains des valets d’écurie, je ne sais combien maître Berryer a pu grimper d’échelons cette nuit… je crois que, de mon côté, l’escalade se présente assez bien… Or çà! réfléchissons maintenant!… Dois-je ou non prévenir ce cher M. Jacques… oh! pardon… monseigneur!… Voyons: de quel côté dois-je me laisser pousser?… Si je laissais faire?… Qui sera vainqueur? le roi, ou la puissante société à laquelle je suis affilié?… Prenons toujours deux jours de repos… et de réflexion…

Sur ce, M. de Bernis se retira dans la chambre qu’on lui avait préparée, et se mit, en effet, à réfléchir.

Quant à du Barry, il était remonté sur sa bête et avait repris à franc étrier le chemin de Paris.

À trois heures du matin, tandis que Bernis réfléchissait, que Berryer attendait, que Jeanne songeait à l’étourdissante aventure et que le roi dormait fort paisiblement, du Barry frappa à la maison de la rue du Foin, et, malgré l’heure, fut aussitôt introduit.

Là aussi, on était prêt à toute heure du jour et de la nuit…

Le lendemain, Paris apprit avec indifférence que la Cour s’était transportée à Versailles que le roi fût au Louvre ou au château, les édits sur les impôts n’en pleuvaient pas moins avec leur implacable régularité. Les Parisiens ne furent donc ni attristés ni joyeux de savoir que, par un de ces caprices qui étaient fréquents, leur monarque avait quitté la ville dans la nuit pour aller dormir à Versailles.

Toute la journée ce fut un exode de cavaliers, de carrosses, seigneurs et hautes dames s’empressant de courir là où ils étaient sûrs de retrouver Sa Majesté, c’est-à-dire la source des honneurs et des faveurs.

Seulement, comme tout ce monde était au courant des habitudes de Louis XV, il ne témoignait pas la même philosophie indifférente que les bons bourgeois de Paris.

Les ministres étaient soucieux.

Les jeunes seigneurs étaient au contraire tout joyeux: car Versailles, c’était le lieu de délices… les fêtes de toute nature, la grande vie royale et somptueuse…

Les dames se demandaient ce que cachait ce caprice du roi…

Et plus d’une songeait à cette petite Mme d’Étioles avec qui Sa Majesté s’était entretenue pendant la fête de l’Hôtel de Ville… Quelques unes, aussi, pensaient à cette superbe Mme du Barry que le roi avait paru si fort admirer, – et toutes, avec inquiétude, avec une sourde jalousie, se demandaient si, en arrivant à Versailles, on n’allait pas leur présenter quelque nouvelle duchesse de Châteauroux…

L’étonnement de tous et de toutes fut grand lorsque, le soir, on vit le roi causer affectueusement avec la pauvre Marie Leszczynska, la reine si dédaignée, si délaissée…

Louis XV avait assidûment travaillé avec M. le marquis d’Argenson. Puis, il avait eu une longue entrevue avec son lieutenant de police. Avec ses courtisans, il se montra gai, affable, plus de vingt hautes dames à qui il n’avait jamais adressé la parole reçurent ses compliments…

Il en résulta que tout le monde au château de Versailles était radieux, depuis la reine Marie, qui put espérer un retour de son royal époux, jusqu’au premier ministre qui n’avait jamais trouvé Louis XV aussi attentif au conseil, jusqu’aux seigneurs de moindre importance qui, dans la bonne humeur du roi, voyaient un présage des fêtes prochaines.

Mais ce qui surprit surtout ce monde si mobile et si prompt aux commentaires, ce fut de voir Sa Majesté s’entretenir assez longuement et en particulier avec ce petit abbé dédaigné, ce freluquet de poète qu’était M. de Bernis.

De Bernis portait le bras en écharpe, et, en l’abordant, le roi lui avait dit à haute voix:

– Vous êtes donc blessé, monsieur?…

– Oui, Sire, avait répondu de Bernis, je me suis quelque peu foulé le bras gauche…

– Il faut vous reposer, avait repris le roi avec sollicitude.

– Sire, il n’est pas pour moi de repos plus propice à la guérison que de me trouver auprès de Votre Majesté.

Le roi avait souri à cette extravagante flatterie et avait entraîné le petit abbé dans une embrasure de fenêtre.

Lorsque Louis XV quitta Bernis, les seigneurs les plus huppés se crurent obligés de venir lui demander des nouvelles de son bras. Jamais Bernis ne s’était vu à pareille fête. Quelques-uns essayèrent habilement de savoir la cause de cette mystérieuse foulure… mais il demeura impénétrable, papillonna de groupe en groupe, reçut et rendit force œillades, force compliments; chacun l’admira et lui découvrit tout à coup un esprit, une galanterie, une foule de qualités jusque-là insoupçonnées!… Bernis était sur le chemin de la fortune!…

Vers dix heures, Louis XV se retira dans ses appartements et se remit aux mains de Lebel, son valet de chambre.

Bernis rayonnant monta les escaliers qui conduisaient à la chambre qui lui avait été assignée: car le roi avait voulu qu’il logeât au château.