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Juliette Bécu souleva cette tenture et, jetant un léger cri, s’arrêta stupéfaite, comme devant un conte des Mille et une nuits soudain réalisé!…

– Je rêve! Je rêve! balbutia-t-elle.

– Entrez donc! fit M. Jacques en la poussant doucement.

La chambre devant laquelle s’était arrêtée Juliette avec une extase d’admiration et presque de terreur était de belles dimensions, magnifiquement meublée et éclairée par la vive lumière de deux candélabres à six flambeaux.

Juliette entra sur la pointe des pieds, avec une sorte de religieux respect.

Et ce fut un fantastique spectacle qui s’offrit à ses yeux éblouis.

Sur le canapé et les fauteuils étaient disposés les diverses pièces d’un costume de cour, tel qu’une haute et noble dame pouvait le porter en grande cérémonie. Aucun détail n’était oublié dans ce flot de soies, de fines batistes, de dentelles: jupons garnis de valenciennes, jupe à paniers en lourde faille de Lyon, corsage à manches courtes, avec entre-deux en point d’Alençon, bas de soie rose ajourés, garnitures de satin rose, souliers à minces talons cambrés comme les portaient les élégances de l’époque.

Juliette, prise par l’instinct de la coquetterie, oubliait M. Jacques. Et, en plein ravissement, fouillait parmi ces richesses qu’une fée bienfaisante semblait avoir déposées là pour elle.

Que fût-ce lorsque, s’étant retournée, elle vit, rangés sur une table de laque, plusieurs écrins tout ouverts!…

L’un d’eux contenait une rivière de perles d’une eau magnifique.

Dans un autre, se trouvait une délicieuse couronne de comtesse, perles et diamants.

En d’autres enfin, c’étaient des bagues, des bracelets où les émeraudes, les saphirs, les rubis croisaient leurs feux étincelants ou sombres.

Il y avait là de quoi parer la reine Marie Leszczynska dans les rares soirées où la pauvre délaissée était admise par son royal et dédaigneux époux.

En réalité, c’était toute une fortune qui venait de surgir aux yeux affolés de Juliette, comme à un coup de baguette magique.

Et, ne trouvant aucun mot, aucun geste qui pût exprimer son émotion, elle se mit à genoux et pleura.

Le général des Jésuites la contempla un instant avec la sombre et hautaine satisfaction de l’homme supérieur à ces féminines faiblesses, puis il la toucha à l’épaule et dit:

– Venez, maintenant!…

Juliette tressaillit.

Rapidement, M. Jacques éteignit toutes les bougies, et plongée soudain dans l’obscurité, la fille galante murmura:

– Ce n’était qu’un rêve!…

Monsieur Jacques la saisit par la main, la releva, l’entraîna sur le palier, referma la porte du féerique appartement et reconduisit Juliette chez elle.

– Eh bien? demandait-il alors en souriant. La pauvre fille palpitait.

– Ah! monsieur, dit-elle, pourquoi m’avoir fait entrevoir le paradis, pour me replonger ensuite dans mon obscurité et ma misère!… Ceci est cruel, savez-vous!

– Allons! fit M. Jacques d’un ton soudain grave et presque menaçant, je vous en ai fait voir assez pour vous prouver que je ne parle pas en vain, que je dispose de richesses royales, et que je puis à mon gré vous hausser jusqu’à ce paradis que vous avez entrevu ou vous laisser sinon dans l’enfer, du moins dans le triste purgatoire qu’est votre existence actuelle. Écoutez-moi donc avec toute votre attention. De vous, de vous seule en ce moment dépend votre fortune.

– Parlez, monsieur, dit Juliette d’une voix tremblante.

Le chef suprême de la puissance Compagnie se recueillit un instant. Puis il dit:

– Vous êtes pauvre; vous êtes misérable; vous êtes méprisée; vous habitez dans une maison sordide un triste appartement dont tout votre bon goût et votre propreté ne parviennent pas à déguiser la misère; vous avez une petite sœur que vous aimez comme si elle était votre enfant, et cette petite fille est destinée aux mêmes hontes que vous-même. Tout cela est-il vrai?

– Hélas! oui… en ce qui me concerne… mais quant à ma petite Annette, je vous jure bien que je saurai la préserver!…

– Voulez-vous, reprit le mystérieux personnage, comme s’il n’eût pas entendu, voulez-vous devenir riche, considérée, adulée? Voulez-vous habiter un hôtel princier? Voulez-vous assurer à la petite innocente un avenir heureux, paisible, facile, et à vous-même un avenir éblouissant de fêtes?

Juliette, frémissante, joignit les mains.

– Votre petite sœur, je m’en charge, reprit-il; je la ferai élever à la campagne près de Paris, dans un village où vous pourrez la voir tant que vous voudrez. Et plus tard, je lui ferai donner une brillante éducation dans quelque pension. Acceptez-vous?…

Juliette, trop émue pour répondre, fit oui de la tête.

– Bien. Quant à vous, voici quelle sera désormais votre vie. Vous irez habiter un hôtel que je vais vous désigner. Cet hôtel, un des plus vieux et des plus beaux de Paris, est situé en l’île Saint-Louis, quai d’Anjou… J’avais d’abord acquis pour vous l’hôtel même de la duchesse de Châteauroux, sur le quai des Augustins, mais, ajouta-t-il avec un sourire livide, j’ai dû le céder dès le lendemain à un de mes amis… M. d’Étioles… et tout est mieux ainsi…

M. Jacques demeura quelques instants sombre et pensif, les yeux perdus dans le vague. Juliette le considérait avec une secrète épouvante. Qu’était-ce donc que cet homme formidable qui surgissait tout à coup dans sa vie de pauvre fille, allongeait sur elle sa main puissante, l’arrachait à sa misère et lui faisait entrevoir une existence de reine?

Vers quelles grandes ou terribles destinées allait-elle être entraînée?

Quel rôle mystérieux et redoutable lui était donc destiné?

Elle se rendait parfaitement compte que si cet inconnu l’avait choisie entre mille, – sans doute qu’il avait dû étudier, – c’est que sa beauté et peut-être ses appétits pouvaient lui être utiles…

À quoi?… Sans aucun doute à l’accomplissement de quelque œuvre géante!…

– Donc, reprit M. Jacques, vous irez habiter l’hôtel qui vous sera expressément désigné sous deux jours. Vous le trouverez tout installé, avec chaise peinte par Watteau, carrosse, chevaux, robes et bijoux pareils à ceux que je viens de vous montrer… Acceptez-vous?…

– J’accepte! dit la fille galante d’une voix que l’émotion faisait trembler.

– Une fois là, continua M. Jacques, vous vivrez la vie des grandes dames. Une comédienne du théâtre de Sa Majesté viendra vous donner des leçons de maintien et vous enseignera les révérences. D’ailleurs, pour vous, ce sera chose facile que d’apprendre ces fadaises. Vous recevrez, vous donnerez à souper et à danser. Vous regarderez beaucoup, et parlerez le moins possible… Enfin, dans quelques jours, quand vous serez installée, vous recevrez, ainsi que votre mari, une invitation pour le bal de l’Hôtel de Ville…

– Mon mari!… s’exclama sourdement Juliette.

– Oui: un galant parfait gentilhomme que vous avez épousé secrètement, il y a deux ans, dont de puissantes raisons de famille vous ont tenue éloignée, à votre grand chagrin, et que vous rejoignez enfin dans la capitale avec toute la joie possible… car ce mari, vous l’aimez, vous l’adorez…

– Je comprends, balbutia Juliette.

– Ne craignez rien, d’ailleurs. Vous trouverez dans une cassette sur la cheminée de votre chambre tous les papiers de famille qui vous seront nécessaires… Poursuivons… Donc, avec votre mari, vous vous rendrez à la fête que Paris donne à son roi dans le vieil Hôtel de Ville…

Et M. Jacques s’arrêta encore.

Juliette comprit que le point capital de cet étrange entretien était atteint.

– Et que faut-il que je fasse au bal de l’Hôtel de Ville? demanda-t-elle.

M. Jacques jeta un regard d’inquiétude sur la fille galante.

– Est-ce qu’elle serait trop intelligente? gronda-t-il en lui même. Au fait… cela vaut mieux ainsi!…

Et il répondit:

– Ce que vous devrez faire?

– Oui! je vous demande ce que je devrai faire à ce bal.

– Vous faire aimer! dit le général d’une voix sourde.

– De qui? haleta Juliette.

– De l’homme qui vous sera désigné… par…

– Par…?

– Par votre mari!…

Il y eut entre ces deux personnages une minute de silence sinistre. C’était pourtant bien simple en apparence: se faire aimer!… Mais Juliette comprenait que cet amour qu’elle devait imposer n’était que le commencement des besognes redoutables qu’on attendait d’elle.

Quant au puissant et sombre personnage dont nous essayons d’esquisser ici la formidable silhouette, il réfléchissait profondément.