– Chevalier d’Assas! haleta le comte dominé par l’impérieux regard de M. Jacques.
Celui-ci réfléchit un instant.
– Chevalier d’Assas? finit-il par murmurer. Oui… il me semble que je connais cela… bonne famille de province… courage, fierté, pauvreté… toute l’histoire de la famille est dans ces trois mots… Eh bien, voilà notre affaire!
– Mais je vous dis que je le hais! de toutes mes forces! de toute mon âme!
– Bah! Et pourquoi donc?…
– Il m’a blessé!
– Preuve qu’il se bat bien, puisque vous êtes la meilleure lame de Paris… mais après lui, paraît-il.
– Il m’a insulté!…
– Bah! quelque méchante querelle de cabaret: cela s’oublie.
– Oh! gronda le comte écumant. Cet homme, voyez-vous, je l’étranglerais de mes mains…
– Non! Vous lui tendrez la main, vous lui sourirez, et vous serez son ami…
– Jamais!…
– Je le veux!…
Du Barry se redressa. Un instant toute la morgue de sa race remonta à son front en une ardente bouffée…
Mais sous le regard de M. Jacques, il frissonna, pâlit… et il baissa la tête.
D’une voix haletante, il tenta une dernière défense.
– Mais il est à la Bastille!
– C’est vous qui l’avez fait arrêter, n’est-ce pas? Eh bien, faites-le sortir! Arrangez-vous comme vous voudrez; ce n’est pas mon affaire. Ici commence votre besogne. Je vous donne huit jours, pas plus. Dans huit jours vous m’apporterez deux choses: d’abord une autorisation pour moi de communiquer avec le prisonnier, sans témoins; et ensuite un ordre de mise en liberté immédiate… Dites ce que vous voudrez… Vous avez dû inventer une histoire pour le faire arrêter, inventez-en une autre pour le faire relâcher… dites que vous vous êtes trompé… enfin, faites comme vous voudrez… mais dans huit jours… est-ce entendu?
– C’est impossible!
– Impossible? répéta Jacques. Vous me dites, à moi, que c’est impossible?
– Je vous le jure!
– Sur quoi? Serait-ce sur votre honneur de gentilhomme?
Le comte du Barry eut une suprême révolte:
– Monsieur… Monsieur!
M. Jacques eut un sourire de tranquille menace.
– Ah ça! vous avez donc hérité?
– Malheureusement, non!
– Alors, vous n’avez plus besoin d’argent?
– Jamais je n’en ai eu si grand besoin, au contraire.
– Vous oubliez peut-être… notre pacte?
– Je n’oublie rien.
– Eh bien! je ne vous comprends pas. Expliquez-moi ce mystère?
– C’est bien simple. Le chevalier d’Assas a osé outrager, provoquer son roi!
– Crime de lèse-majesté. N’est-ce que cela?
– Mais vous voulez donc ma mort!
– Non, je veux votre vie… heureuse et riche. Et pour cela il faut encore m’obéir. Est-ce dit, mon cher comte?
– Oui fit du Barry dans un souffle de rage.
– Très bien. Avez-vous besoin d’argent, cher comte?… Si, si!… Je vois cela à votre air! Ah! ces jeunes gentilshommes parisiens! toujours à court!… quels paniers percés! Allons, voici pour consoler votre grande haine contre ce pauvre jeune homme qui n’en peut mais… voici un petit bon de trente mille livres en attendant mieux… c’est-à-dire vingt-cinq mille pour le permis de communiquer, et le reste pour l’ordre de mise en liberté de votre farouche ennemi… qui me fait l’effet d’un charmant garçon… Allons, allons, au revoir, mon cher comte… je vous attends dans huit jours…
En parlant ainsi, M. Jacques poussait doucement du Barry vers la porte.
Lorsque le comte se retrouva dans la rue, il crispa les deux poings, et, livide, les dents serrées, murmura:
– Pris!… Je suis pris dans un inextricable réseau! Je n’ai plus le droit ni d’aimer ni de haïr!… Je ne suis plus qu’un misérable instrument aux mains de cet homme!… Oh! mais… patience! comme il dit lui-même quelquefois!…
Cependant, peu à peu le comte se calma. En somme, M. Jacques payait quatre-vingt mille livres la mise en liberté du chevalier d’Assas. Savoir: un bon de trente mille livres que du Barry alla toucher séance tenante, et deux bons de vingt-cinq mille livres promis par le mystérieux personnage qui jusqu’ici avait rigoureusement tenu toutes les promesses de ce genre qu’il avait pu faire.
C’était donc une excellente affaire. Du Barry réfléchit que le plus pressé pour lui était de gagner les cinquante mille livres qui lui restaient à encaisser; quant au chevalier d’Assas, il lui chercherait quelque bonne querelle et le tuerait.
Ou mieux… il ne manquait pas à Paris d’honnêtes bravi qui, moyennant finances, opéraient en douceur et sans esclandre…
Ce fut en roulant ces hideuses pensées, – argent, trahison, haine, sang, tout cela se tenait et s’enchaînait en lui, – ce fut en songeant aussi à d’autres projets plus profonds que le comte du Barry commença aussitôt le siège du lieutenant de police, du garde des sceaux et du roi lui-même. Il n’eut aucune peine à triompher. En somme, toute l’accusation contre le chevalier d’Assas venait de lui. Et c’était chose si rare que d’entendre du Barry chercher à innocenter quelqu’un, qu’on pouvait l’en croire sur parole quand la chose lui arrivait.
Au jour dit, le comte apportait à M. Jacques les deux papiers demandés, et l’emmenait dans son carrosse à la Bastille. Nous avons vu comment M. Jacques avait été présenté au gouverneur, puis conduit par un porte-clefs jusqu’au cachot du chevalier d’Assas.