Antistrophe I.

Et toi, Gaia! et vous, maîtres des morts, ô daimônes! Laissez l'âme illustre du dieu des Perses, né dans Sousis, sortir de vos demeures. Envoyez en haut celui dont la terre Persique n'a jamais contenu le semblable!

Strophe II.

Ô cher homme! ô cher tombeau! car ce qu'il contient nous est cher. Aidôneus! ramène-le, envoie-le en haut! Aidôneus! envoie-nous Daréios, un tel roi! hélas!

Antistrophe II.

Certes, jamais il ne fit périr nos guerriers en des guerres désastreuses. Les Perses le disaient sage comme un dieu, et il était en effet sage comme un dieu, car il conduisait heureusement l'armée, hélas!

Strophe III.

Ô roi, vieux roi, viens, apparais sur le faîte de ce tombeau, soulevant la sandale pourprée de ton pied et montrant la splendeur de la tiare royale. Viens, ô père, ô excellent Daréios! hélas!

Antistrophe III.

Apparais-nous, afin d'apprendre des calamités nouvelles, inattendues, ô maître de notre maître! Une nuée Stygienne nous a enveloppés, et voici que toute notre jeunesse a péri. Viens, ô père, ô excellent Daréios, hélas!

Épôde.

Malheur! malheur! Ô toi qui es mort tant pleuré par ceux qui t'aimaient, ô roi, ô roi, pourquoi cela? Pourquoi ce double désastre sur ton royaume, sur ton royaume tout entier? Les nefs à trois rangs d'avirons ont péri! Nos nefs! Plus de nefs!

LE SPECTRE DE DARÉIOS.

Ô fidèles entre les fidèles, qui êtes du même âge que moi, ô vieillards Perses, de quel malheur la ville est-elle affligée? Le sol a été secoué, il a gémi, il s'est ouvert! Je suis saisi de crainte en voyant ma femme debout auprès de mon tombeau, et je reçois volontiers ses libations. Et vous aussi, auprès de mon tombeau, vous pleurez, poussant les lamentations qui évoquent les morts et m'appelant avec de lugubres gémissements. Le retour à la lumière n'est pas facile, pour bien des causes, et parce que les dieux souterrains sont plus prompts à prendre qu'à rendre! Cependant, je l'ai emporté sur eux, et me voici; mais je me suis hâté, afin de n'être point coupable de retard. Mais quel est ce nouveau malheur dont les Perses sont accablés?

LE CHŒUR DES VIEILLARDS.

Je crains de te regarder, je crains de te parler, plein de l'antique vénération que j'avais pour toi.

LE SPECTRE DE DARÉIOS.

Puisque je suis venu du Hadès, appelé par tes lamentations, ne parle point longuement, mais brièvement. Dis, et oublie ton respect pour moi.

LE CHŒUR DES VIEILLARDS.

Je crains de t'obéir, je crains de te parler. Ce que je dois dire ne doit pas être dit à ceux qu'on aime.

LE SPECTRE DE DARÉIOS.

Puisque votre antique respect pour moi trouble votre esprit, toi, vénérable compagne de mon lit, noble femme, cesse tes pleurs et tes lamentations, et parle-moi clairement. La destinée des hommes est de souffrir, et d'innombrables maux sortent pour eux de la mer et de la terre quand ils ont longtemps vécu.

ATOSSA.

Ô toi qui as surpassé par ton heureuse fortune la félicité de tous les hommes! Tandis que tu voyais la lumière de Hèlios, envié des Perses, tu as vécu prospère et semblable à un dieu! Et maintenant, tu es heureux d'être mort avant d'avoir vu ce gouffre de maux! Tu apprendras tout en peu de mots, ô Daréios! La puissance des Perses est détruite. J'ai dit.

LE SPECTRE DE DARÉIOS.

De quelle façon? Est-ce la peste ou la guerre intestine qui s'est abattue sur le royaume?

ATOSSA.

Non. Toute l'armée a été détruite auprès d'Athèna.

LE SPECTRE DE DARÉIOS.

Lequel de mes fils conduisait l'armée? Parle.

ATOSSA.

Le violent Xerxès. Il a dépeuplé tout le vaste continent de l'Asia.

LE SPECTRE DE DARÉIOS.

Est-ce avec une armée de terre ou de mer que le malheureux a tenté cette expédition très insensée?

ATOSSA.

Avec les deux. L'armée avait une double face.

LE SPECTRE DE DARÉIOS.

Et comment une nombreuse armée de terre a-t-elle passé la mer?

ATOSSA.

On a réuni par un pont les deux bords du détroit de Hellè, afin de passer.

LE SPECTRE DE DARÉIOS.

Il a fait cela? Il a fermé le grand Bosphoros?

ATOSSA.

Certes, mais un dieu l'y a sans doute aidé.

LE SPECTRE DE DARÉIOS.

Hélas! quelque puissant daimôn qui l'a rendu insensé!

ATOSSA.

On peut voir maintenant quelle ruine il lui préparait!

LE SPECTRE DE DARÉIOS.

De quelle calamité ont-ils été frappés, que vous gémissiez ainsi?

ATOSSA.

L'armée navale vaincue, l'armée de terre a péri.

LE SPECTRE DE DARÉIOS.

Ainsi, toute l'armée a été détruite en combattant?

ATOSSA.

Certes, toute la ville des Sousiens gémit d'être vide d'hommes.

LE SPECTRE DE DARÉIOS.

Hélas! une si grande armée! Vains secours!

ATOSSA.

Toute la race des Baktriens a péri, et pas un n'était vieux!

LE SPECTRE DE DARÉIOS.

Ô malheureux, qui as perdu une telle jeunesse!

ATOSSA.

On dit que le seul Xerxès, abandonné des siens et presque sans compagnons…

LE SPECTRE DE DARÉIOS.

Comment? Où a-t-il péri? Est-il sauvé?

ATOSSA.

A pu atteindre le pont jeté entre les deux continents.

LE SPECTRE DE DARÉIOS.

Est-il revenu sain et sauf sur cette terre? Cela est-il certain?

ATOSSA.

Oui, cela est certain; il n'y a aucun doute.

LE SPECTRE DE DARÉIOS.

Hélas! L'événement a promptement suivi les oracles, et Zeus, sur mon fils, vient d'accomplir les divinations! Certes, j'espérais que les dieux en retarderaient encore longtemps l'accomplissement; mais un dieu pousse celui qui aide aux oracles! Maintenant la source des maux jaillit pour ceux que j'aime. C'est mon fils qui a tout fait par sa jeunesse audacieuse, lui qui, chargeant de chaînes le sacré Hellespontos, comme un esclave, espérait arrêter le divin fleuve Bosphoros, changer la face du détroit, et, à l'aide de liens forgés par le marteau, ouvrir une voie immense à une immense armée! lui qui, étant mortel, espérait l'emporter sur tous les dieux, et sur Poseidôn! Comment mon fils a-t-il pu être saisi d'une telle démence? Je tremble que les grandes et abondantes richesses que j'ai amassées ne soient la proie du premier qui voudra s'en emparer.

ATOSSA.

Le violent Xerxès a fait cela, conseillé par de mauvais hommes. Ils lui ont dit que tu avais conquis par l'épée de grandes richesses à tes enfants, tandis que lui, par lâcheté, ne combattait que dans ses demeures, sans rien ajouter à la puissance paternelle. Ayant souvent reçu de tels reproches de ces mauvais hommes, il partit pour cette expédition contre Hellas.

LE SPECTRE DE DARÉIOS.

Ainsi c'est par eux que s'est accompli ce suprême désastre, mémorable à jamais! La ville des Sousiens n'a point été dépeuplée par une telle calamité depuis que Zeus lui fit cet honneur de vouloir qu'un seul homme réunît sous le sceptre royal tous les peuples de la féconde Asia! En effet, Mèdos, le premier, commanda l'armée. Un autre, fils de celui-ci, acheva son œuvre, car la sagesse dirigea son esprit. Le troisième fut Kyros, homme heureux, qui donna la paix à tous les siens. Il réunit au royaume le peuple des Lydiens et celui des Phrygiens, et il dompta toute l'Iônia. Et les dieux ne s'irritèrent point contre lui, parce qu'il était plein de sagesse. Le quatrième qui régna sur les peuples fut le fils de Kyros. Le cinquième fut Merdis, opprobre de la patrie et du trône antique. L'illustre Artaphrénès, à l'aide de ses compagnons, le tua par ruse dans sa demeure. Le sixième fut Maraphis, et le septième fut Artaphrénès. Et moi, j'accomplis aussi la destinée que je désirais, et je conduisis de nombreuses expéditions avec de grandes armées, mais je n'ai jamais causé de tels maux au royaume. Xerxès mon fils est jeune, il a des pensées de jeune homme, et il ne se souvient plus de mes conseils. Certes, sachez bien ceci, vous qui êtes mes égaux par l'âge: nous tous qui avons eu la puissance royale, nous n'avons jamais causé de tels maux.