ATOSSA.

Hélas! une mer immense de maux s'est ruée sur les Perses et sur toute la race des barbares!

LE MESSAGER.

Certes, sache-le maintenant, je n'ai pas encore dit la moitié de nos maux. Une autre calamité deux fois plus lourde que celles que j'ai dites est tombée sur les Perses.

ATOSSA.

Quel malheur plus funeste est-il donc arrivé? Dis quelle est cette calamité dont tu parles et qui a frappé l'armée de maux encore plus terribles.

LE MESSAGER.

Tous ceux d'entre les Perses qui étaient les plus forts, les plus braves, les mieux nés, les plus fidèles au roi, ont misérablement subi une mort sans gloire.

ATOSSA.

Ô malheureuse! ô triste destinée pour moi, amis! De quelle mort ont-ils péri?

LE MESSAGER.

Il y a une île auprès des côtes de Salamis, petite, inabordable aux nefs que Pan, qui aime les danses, hante sur les bords de la mer. Xerxès les avait envoyés là afin que les ennemis, chassés de leurs nefs, s'étant réfugiés dans l'île, on égorgeât aisément ce qui survivrait de l'armée des Hellènes et qu'on pût sauver les nôtres des flots de la mer; mais il prévoyait mal ce qui devait arriver. En effet, quand un dieu eut donné la victoire à la flotte Hellénique, dans ce même jour, s'étant revêtus de leurs armes d'airain, ils sautèrent de leurs nefs et enveloppèrent l'île, afin que les Perses n'eussent plus aucune issue pour fuir. Et ceux-ci étaient assiégés d'une multitude de pierres, et ils périssaient sous les flèches envoyées par les nerfs des arcs. Enfin, se ruant tous à la fois, les Hellènes les tuaient, les égorgeaient et déchiraient les membres des malheureux, jusqu'à ce qu'ils eurent tous perdu la vie. Et Xerxès, voyant ce gouffre de maux, gémit, car il s'était assis, sur les bords de la mer, sur un haut promontoire d'où il pouvait voir toute l'armée. Mais, ayant déchiré ses vêtements et poussant de grands cris, il ordonna aussitôt à son armée de terre de se retirer, et lui-même prit une fuite soudaine. Telle est cette calamité que tu peux pleurer comme la première.

ATOSSA.

Ô funeste daimôn, combien tu as trompé l'espérance des Perses! Mon fils doit à l'illustre Athèna une amère défaite. Il n'a pas suffi des barbares que Marathôn a autrefois égorgés! C'est dans l'espérance de les venger que mon fils a subi un si lourd fardeau de malheurs. Mais parle, où as-tu laissé les nefs qui ont échappé à la destruction? Peux-tu le dire sûrement?

LE MESSAGER.

Les chefs des nefs encore sauves prirent confusément la fuite à l'aide du vent. Ce qui survivait de l'armée a péri sur la terre des Boiôtiens, les uns cherchant en vain l'eau des sources et souffrant la soif, tandis que les autres traversaient péniblement la terre des Phoikéens, et Dôris, et, vers le golfe Mèliaque, les champs que le Sperkhios arrose de ses douces eaux. Puis, nous avons gagné la terre Akhaienne et les villes Thessaliennes; et, là, beaucoup sont morts de faim et de soif, car l'une et l'autre nous tourmentaient. Puis, nous arrivâmes, par la terre Magnètique, le pays des Makédoniens, le cours de l'Axios, le marais couvert de roseaux de Bolbè et le mont Pangaios, au pays des Édôniens. Cette nuit-là, un dieu nous envoya un hiver précoce qui gela les eaux du Strymôn sacré. Alors, chacun de ceux qui auparavant niaient qu'il y eût des dieux, pria et adora Gaia et Ouranos. Après avoir mille fois invoqué les dieux, l'armée passa par cette route glacée, et ceux des nôtres qui purent passer avant que les rayons du dieu se fussent répandus eurent la vie sauve. En effet, l'orbe ardent et resplendissant de Hèlios échauffa bientôt de ses flammes le milieu du fleuve et le rompit, et tous roulèrent les uns sur les autres, et les plus heureux furent ceux qui rendirent l'âme le plus promptement! Les survivants se sauvèrent avec de grandes fatigues à travers la Thrèkè, mais bien peu sont revenus dans les foyers de la patrie. Que le royaume des Perses gémisse, regrettant sa très chère jeunesse! Ces choses sont vraies, mais je n'ai point dit la multitude des autres maux dont un dieu a accablé les Perses,

LE CHŒUR DES VIEILLARDS.

Ô daimôn très funeste, combien tu as écrasé outrageusement sous tes pieds toute la race des Perses!

ATOSSA.

Ô malheureuse que je suis! l'armée est détruite! Ô apparition de mes songes nocturnes, tu m'as clairement annoncé ces maux! Mais vous, vous avez été de mauvais divinateurs! Cependant, comme vous me l'avez conseillé, je veux d'abord supplier les dieux, et je rapporterai de mes demeures le gâteau sacré pour la terre et pour les morts. Je sais que ce qui est passé est irrévocable, mais je prierai pour que l'avenir soit favorable. Dans un tel désastre, c'est à vous de donner des conseils fidèles à ceux que vous aimez. Consolez mon fils, s'il vient ici avant moi, et accompagnez-le dans la demeure, afin qu'il n'ajoute pas un nouveau malheur à tant de maux.

LE CHŒUR DES VIEILLARDS.

Ô roi Zeus! par la destruction de l'innombrable et orgueilleuse armée des Perses, tu as couvert de deuil les villes des Sousiens et des Ekbataniens.

De nombreuses femmes, de leurs mains délicates, déchirent leurs voiles, et elles baignent leurs seins d'un flot de larmes.

Les femmes Perses gémissent, et, dans leurs regrets et leur douleur sans fin, elles pleurent ceux à qui les unissaient des noces récentes, et les lits couverts de molles draperies, et toutes les voluptés de la jeunesse qu'elles ont perdues. Moi aussi, je pleure et je me lamente, comme il convient, sur la destinée de ceux qui sont morts.

Strophe I.

Maintenant, toute l'Asia dépeuplée gémit! Xerxès les a tous emmenés, hélas! Xerxès les a tous perdus, hélas! Xerxès a tout livré malheureusement aux nefs maritimes!

Pourquoi Daréios, le cher prince de Sousis, n'a-t-il point commandé en paix à ses peuples!

Antistrophe I.

Les nefs noires aux ailes rapides ont également porté les hommes de pied et les troupes de mer, hélas! Et les nefs les ont perdus, hélas! Certes, les nefs, en se heurtant! Et le roi lui-même s'est échappé avec peine, dit-on, des mains des Iaônes, à travers les champs de la Thrèkè et les routes terribles de l'hiver!

Strophe II.

Et ceux qui les premiers ont subi leur destinée, hélas! qui, abandonnés à la fatalité, hélas! ont été engloutis autour de Kykhréia!

Gémissons, lamentons-nous, poussons de violentes et hautes clameurs, de lamentables clameurs de deuil!

Antistrophe II.

Roulés par la mer terrible, hélas! mangés, déchirés, hélas! par les muets de l'incorruptible, hélas! La maison veuve pleure son maître, les pères n'ont plus d'enfants! Les vieillards gémissants apprennent ce malheur immense, ce désastre tout entier, hélas!

Strophe III.

Les nations de l'Asia ne vivront plus longtemps sous les lois des Perses. Contraintes par la nécessité, elles ne payeront plus les tributs de la servitude, et elles n'obéiront plus en se prosternant. La puissance royale est morte!

Antistrophe III.

La langue des hommes ne sera plus enchaînée. Le peuple est affranchi, et il peut parler librement, puisque le joug de la force est brisé!

L'île d'Aias, entourée des flots et souillée de sang, a englouti la puissance des Perses!

ATOSSA.

Amis, quiconque a souffert n'ignore pas ceci: Quand le flot de l'adversité s'est rué sur les hommes, ils ont coutume de s'épouvanter de tout; quand ils ont une heureuse fortune, ils sont certains que ce vent propice soufflera toujours. Voici que tout m'épouvante; mes yeux ne voient que la haine des dieux, et le bruit qui emplit mes oreilles n'est pas un chant de victoire, tant le trouble que me causent ces maux agite mon esprit. C'est pourquoi je reviens de mes demeures sans mon char et sans éclat, apportant ces douces libations au père de mon fils: le lait blanc d'une vache sans tache, le miel brillant de l'abeille qui suce les fleurs, les eaux vives d'une source limpide, et cet enfant pur d'une mère agreste, délices de la vigne antique, et la jaune olive, doux fruit de l'arbre dont les feuilles ne tombent jamais, et ces tresses de fleurs, filles de la terre qui produit tout. Mais, ô amis, chantez les hymnes des libations aux morts, évoquez le divin Daréios! Moi, je répandrai sur la terre qui les boira ces libations aux dieux souterrains.

LE CHŒUR DES VIEILLARDS.

Ô reine, femme vénérable aux Perses, envoie tes libations sous la terre. Nous, nous prierons en chantant des hymnes pour que les maîtres souterrains des morts nous soient favorables.

Ô vous, sacrés daimônes souterrains, Gaia, Hermès, et toi, roi des morts, envoyez d'en bas l'âme de Daréios à la lumière! Si, en effet, nous devons subir encore d'autres maux, seul, il peut nous dire quelle sera la fin de nos misères.

Strophe I.

Le bienheureux, le roi égal aux dieux, m'entend-il pousser en langue barbare mille cris divers, amers, lamentables? Je crie vers lui mes plaintes lugubres. M'entend-il d'en bas?