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LE BERGER

Eh bien! c’est elle! l’étoile du Berger, 1’Étoile du Matin, qui nous éclaire à l’aube, quand nous lâchons le troupeau, et le soir, quand nous le rentrons: c’est elle, l’étoile reine, la belle étoile, Maguelone, la belle Maguelone, sans cesse poursuivie par Pierre de Provence, avec lequel a lieu, tous les sept ans son mariage.

MOI

La conjonction, je crois, de Vénus et de Jupiter ou de Saturne quelquefois.

LE BERGER

A votre goût… mais tiens, Labrit! Pendant que nous causions, les brebis se sont dispersées, tai! tai! ramène-les! Oh! le mauvais coquin de chien, une vraie rosse… Il faut que j’y aille moi-même. Allons, monsieur Frédéric, vous, prenez garde de ne pas vous égarer!

MOI

Bonsoir! Galant Jean.

Retournons aussi, comme le pâtre, à nos moutons. A partir des Provençales , recueil poétique où avaient collaboré les trouvères vieux et jeunes de cette époque-là, quelques-uns, dont j’étais, engagèrent entre eux une correspondance au sujet de la langue et de nos productions. De ces rapports, de plus en plus ardents, naquit l’idée d’un congrès de poètes provençaux. Et, sur la convocation de Roumanille et de Gaut qui avaient écrit ensemble dans le journal Lou Boui-Abaisse , la réunion eut lien le 29 août 1852, à Arles, dans une salle de l’ancien archevêché, sous la présidence de l’aimable docteur d’Astros, doyen d’âge des trouvères. Ce fut là qu’entre tous nous fîmes connaissance, Aubanel, Aubert, Bourrelly, Cassan, Crousillat, Désanat, Garcin, Gaut, Gelu, Giéra, Mathieu, Roumanille, moi et d’autres. Grâce au bon Carpentrassien, Bonaventure Laurent, nos portraits eurent les honneurs de l’Illustration (18 septembre 1852).

Roumanille, en invitant M. Moquin-Tandon, professeur à la faculté des sciences de Toulouse et spirituel poète en son parler montpelliérain, l’avait chargé d’amener Jasmin à Arles. Mais, quand Moquin-Tandon écrivit à l’auteur de Marthe la folle, savez-vous ce que répondit l’illustre poète gascon: «Puisque vous allez à Arles, dites-leur qu’ils auront beau se réunir quarante et cent, jamais ils ne feront le bruit que j’ai fait tout seul.»

– Voilà Jasmin de pied en cap, me disait Roumanille.

Cette réponse le reproduit beaucoup plus fidèlement que le bronze élevé à Agen, en son honneur. Il était ce que l’on appelle, Jasmin, un fier bougre.

D’ailleurs, le perruquier d’Agen, en dépit de son génie, fut toujours aussi maussade pour ceux qui, comme lui, voulaient chanter dans notre langue. Roumanille, puisque nous y sommes, quelques années auparavant, lui avait envoyé ses Pâquerettes, avec la dédicace de Madeleine, une des poésies les meilleures du recueil. Jasmin ne daigna pas remercier le Provençal. Mais ayant, le Gascon, vers 1848, passé par Avignon, où il donna un concert avec Mlle Roaldès, qui jouait de la harpe, Roumanile, après la séance, vint avec quelques autres saluer le poète qui avait fait couler les larmes en déclamant ses Souvenirs :

– Où vas-tu grand-père?

– Mon fils à l’hôpital… C’est là que meurent les Jasmins.

– Qui êtes-vous donc? fit l’Agenais au poète de Saint-Remy.

– Un de vos admirateurs, Joseph Roumanille.

– Roumanille? Je me souviens de ce nom… Mais je croyais qu’il fût celui d’un auteur mort.

– Monsieur, vous le voyez, répondit l’auteur des Pâquerettes , qui ne laissa jamais personne lui marcher sur le pied, je suis assez jeune encore pour pouvoir, s’il plaît à Dieu, faire un jour votre épitaphe.

Qui fut bien plus gracieux pour la réunion d’Arles, ce fut ce bon Reboul, qui nous écrivit ceci: «Que Dieu bénisse votre table… Que vos luttes soient des fêtes, que les rivaux soient des amis! Celui qui fit les cieux a fait celui de notre pays si grand et si bleu qu’il y a de l’espace pour toutes les étoiles.»

Et cet autre Nîmois, Jules Canonge, qui disait: «Mes amis, si vous aviez un jour à défendre notre cause, n’oubliez pas qu’en Arles se fit votre assemblée première et que vous fûtes étoilés dans la cité noble et fière qui a pour armes et pour devise: l’épée et l’ire du lion.»

Je ne me souviens pas de ce que je dis ou chantai là, mais je sais seulement qu’en voyant le jour renaître, j’étais dans le ravissement; et, Roumanille l’a dit dans son discours de Montmajour, en 1889. Il paraît que, songeur, plongé dans ma pensée, dans mes yeux de jeune homme «resplendissaient déjà les sept rayons de l’Étoile».

Le Congrès d’Arles avait trop bien réussi pour ne pas se renouveler. L’année suivante, 21 août 1853, sous l’impulsion de Gaut, le jovial poète d’Aix, à Aix se tint une assemblée (le Festival des Trouvères) deux fois nombreuse comme l’assemblée d’Arles. C’est là que Brizeux, le grand barde breton, nous adressa le salut et les souhaits où il disait:

Le rameau d’olivier couronnera vos têtes,

Moi je n’ai que la lande en fleurs:

L’un symbole riant de la paix et des fêtes

L’autre symbole des douleurs.

Unissons-les, amis; les fils qui vont nous suivre

De ces fleurs n’ornent plus leurs fronts:

Aucun ne redira le son qui nous enivre,

Quand nous, fidèles, nous mourrons…

Mais peut-elle mourir la brise fraîche et douce?

L’aquilon l’emporte en son vol,

Et puis elle revient légère sur la mousse

Meurt-il le chant du rossignol?

Non, tu ranimeras l’idiome sonore,

Belle Provence, à son déclin;

Sur ma tombe longtemps doit soupirer encore

La voix errante de Merlin.

Outre ceux que j’ai cités comme figurant au Congrès d’Arles, voici les noms nouveaux qui émergèrent au Congrès d’Aix: Léon Alègre, l’abbé Aubert, Autheman, Bellot, Brunet, Chalvet, l’abbé Emery, Laidet, Mathieu Lacroix, l’abbé Lambert, Lejourdan, Peyrottes, Ricard-Bérard, Tavan, Vidal etc., avec trois trouveresses, Mlles Reine Garde, Léonide Constans et Hortense Rolland.

Une séance littéraire, devant tout le beau monde d’Aix, se tint, après midi, dans la grande salle de la mairie, courtoisement ornée des couleurs de Provence et des blasons de toutes les cités provençales. Et sur une bannière en velours cramoisi étaient inscrits les noms des principaux poètes provençaux des derniers siècles. Le maire d’Aix, maire et député, était alors M. Rigaud, le même qui plus tard donna une traduction de Mirèio en vers français.

Après l’ouverture faite par un chœur de chanteurs,

Trouvères de Provence,

Pour nous tous quel beau jour!

Voici la Renaissance

Du parler du Midi,

dont Jean-Baptiste Gaut avait fait les paroles, le président d’Astros discourut gentiment en langue provençale; puis, tour à tour, chacun y alla de son morceau. Roumanille, très applaudi, récita un de ses contes et chanta la Jeune Aveugle ; Aubanel dévida sa pièce des Jumeaux , et moi la Fin du Moissonneur. Mais le plus grand succès fut pour la chansonnette du paysan Tavan, les Frisons de Mariette, et pour le maçon Lacroix, qui fit tous frissonner avec sa Pauvre Martine.

Émile Zola, alors écolier au collège d’Aix, assistait à cette séance et, quarante ans après, voici ce qu’il disait dans le discours qu’il prononça à la félibrée de Sceaux (1892):

«J’avais quinze ou seize ans, et je me revois, écolier échappé du collège, assistant à Aix, dans la grande salle de l’Hôtel de Ville, à une fête poétique un peu semblable à celle que j’ai l’honneur de présider aujourd’hui. Il y avait là Mistral déclamant la Mort du Moissonneur, Roumanille et Aubanel sans doute, d’autres encore, tous ceux qui, quelques années plus tard, allaient être les félibres et qui n’étaient alors que les troubadours.»

Enfin, au banquet du soir, où l’on en dit, conta et chanta de toutes sortes, nous eûmes le plaisir d’élever nos verres à la santé du vieux Bellot, qui s’était, dans Marseille et toute la Provence, fait une renommée, méritée assurément, de poète drolatique, et qui, ébahi de voir ce débordement de sève, nous répondait tristement:

Je ne suis qu’un gâcheur;

J’ai dans ma pauvre vie, noirci bien du papier:

Gaut, Mistral, Crousillat, qui, eux, n’ont pas la flemme,

De notre provençal débrouilleront l’écheveau.