Tous les danseurs sont des canailles!
La farandole de Saint-Remy,
Une salade de pissenlits!
Tout à coup – nous arrivions sur le milieu du Rhône, – voici que, dans la pénombre, au-devant de nous autres, nous voyons s’avancer une rangée d’Arlésiennes, de délicieuses Arlésiennes, chacune avec son cavalier, qui lentement cheminaient, tout en babillant et riant… Le frôlement des jupes, le frou-frou de la soie, le gazouillis des couples qui se parlaient à voix basse dans la nuitée pacifique, dans le tressaillement du Rhône qui se glissait entre les barques, c’était vraiment chose suave.
– Une noce, dit le gros patron Gafet, qui ne nous avait pas quittés.
– Une noce? fit Daudet, qui avec sa myopie, ne se rendait pas bien compte de cette agitation, une noce arlésienne! Une noce à la lune! Une noce en plein Rhône!
Et, pris d’un vertigo, notre luron s’élance, saute au cou de la mariée, et en veux-tu des baisers…
Aïe! quelle mêlée, mon Dieu! Si jamais de la vie nous nous vîmes en presse, ce fut bien cette fois-là… Vingt gars, le poing levé, nous entourent et nous serrent:
– Au Rhône, les marauds!
– Qu’est-ce donc? Qu’est-ce donc? s’écria patron Gafet, en refoulant la troupe; mais ne voyez-vous pas que nous venons de boire, de boire en Trinquetaille, à la santé de l’épousée, et que de reboire nous ferait du mal?
– Vivent les mariés! nous écriâmes-nous. Et, grâce à la poigne de ce brave Gafet, qui était connu de tous, et à sa présence d’esprit, les choses en restèrent là.
X
Maintenant, où allons-nous? L’Homme de Bronze venait de frapper onze heures… Et nous dîmes:
– Il faut aller faire un tour aux Aliscamps.
Nous prenons les Lices d’Arles, nous contournons les remparts, et, au clair de la lune, nous voilà descendant l’allée de peupliers qui mène au cimetière du vieil Arles romain. Et, ma foi, en errant au milieu des sépulcres éclairés par la lune et des auges mortuaires alignées sur le sol, voici que, gravement, nous répétions entre nous l’admirable ballade de Camille Reybaud:
Les peupliers du cimetière
Ont salué les trépassés.
As-tu peur des pieux mystères?
Passe plus loin du cimetière!
MOI
Des blancs lombeaux du cimetière
Le couvercle s’est renversé.
TOUS
As-tu peur des pieux mystères?
Passe plus loin du cimetière.
MOI
Sur le gazon du cimetière
Tous les défunts se sont dressés.
TOUS
As-tu peur des pieux mystères?
Passe plus loin du cimetière.
MOI
Frères muets, au cimetière
Tous les morts se sont embrassés.
TOUS
As-tu peur des pieux mystères?
Passe plus loin du cimetière.
MOI
C’est la fête du cimetière,
Les morts se mettent à danser.
TOUS
As-tu peur des pieux mystères?
Passe plus loin du cimetière.
MOI
La lune est claire: au cimetière,
Les vierges cherchent leurs fiancés.
TOUS
As-tu peur des pieux mystères?
Passe plus loin du cimetière.
MOI
Leurs amoureux, au cimetière,
Ne sont plus là, si empressés.
TOUS
As-tu peur des pieux mystères?
Passe plus loin du cimetière.
MOI
Oh! ouvrez-moi le cimetière,
Mon amour va les caresser…
XI
Le croirez-vous? Soudain, d’une tombe béante, à trois pas de nous autres, mes chers amis, une voix sombre, dolente, sépulcrale, nous fait entendre ces mots:
– Laissez dormir ceux qui dorment!
Nous restâmes pétrifiés, et à l’entour, sous la lune, tout retomba dans le silence.
Mathieu disait doucement à Grivolas:
– As-tu entendu?
– Oui, répondit le peintre, c’est là-bas, dans ce sarcophage.
– Cela, dit patron Gafet en crevant de rire, c’est un couche-vêtu, un de ces galimands , comme nous les nommons en Arles, qui viennent se gîter, la nuit, dans ces auges vides.
Et Daudet:
– Quel dommage, pourtant, que ça n’ait pas été une apparition réelle! Quelque belle Vestale, qui, à la voix des poètes, eût interrompu son somme, et, ô mon Grivolas, fût venue t’embrasser!
Puis, d’une voix retentissante, il chanta et nous chantâmes:
De l’abbaye passant les portes,
Autour de moi, tu trouverais
Des nonnes l’errante cohorte,
Car en suaire je serais!
– O Magali, si tu te fais
La pauvre morte,
La terre alors je me ferai:
La je t’aurai.
Là-dessus, au patron Gafet nous serrâmes tous la main, et nous allâmes vite, de ce pas, au chemin de fer, prendre le train pour Avignon.
Sept ans après, hélas! l’année de la catastrophe, je reçus cette lettre:
Paris, 31 décembre 1870.
«Mon Capoulié, je t’envoie par le ballon monté un gros tas de baisers. Et il me fait plaisir de pouvoir te les envoyer en langue provençale; comme ça je suis assuré que les Allemands, si le ballon leur tombe dans les mains, ne pourront par lire mon écriture et publier ma lettre dans le Mercure de Souabe.
«Il fait froid, il fait noir; nous mangeons du cheval, du chat, du chameau, de l’hippopotame (ah! si nous avions les bons oignons, le catigot et la cachat de la Ribote de Trinquetaille!) Les fusils nous brûlent les doigts. Le bois se fait rare. Les armées de la Loire ne viennent pas. Mais cela ne fait rien. Les gens de Berlin s’ennuieront quelque temps encore devant les remparts de Paris.
……………
«Adieu, mon Capoulié, trois gros baisers: un pour moi, l’autre pour ma femme, l’autre pour mon fils. Avec ça, bonne année, comme toujours d’aujourd’hui à un an.
Ton félibre,
Alphonse DAUDET.»
Et puis, on viendra me dire que Daudet n’étais pas un excellent Provençal! Parce qu’en plaisantant il aura ridiculisé les Tartarin, les Roumestan et les Tante Portal et tous les imbéciles du pays de Provence qui veulent franciser le parler provençal, pour cela Tarascon lui garderait rancune?
Non! la mère lionne n’en veut pas, n’en voudra jamais au lionceau qui, pour s’ébattre, l’égratigne quelquefois.
1906