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Ce curé avait une vache… Et voici qu’un pauvre homme, qui avait un tas d’enfants, vola et tua la vache, la fit manger à ses marmots et, après la bombance, en manière de grâces, leur fit dire la petite prière que voici:

Nous rendons grâces, mon Dieu, Au bon curé de Monieux:

Nous avons bien soupé, Dieu merci et sa vache!

Mais les enfants répètent tout. Le curé en eut vent, et ayant questionné un des petits mangeurs, il lui dit:

– Est-ce vrai, mignon, que votre père vous a appris pour vos grâces une prière si jolie? Comment est-elle? voyons un peu…

Et le petit répéta:

Nous rendons grâces, mon Dieu, Au bon curé de Monieux:

Nous avons bien soupé, Dieu merci et sa vache!

– Oh! la galante prière! fit le prêtre au petit. Eh bien! sais-tu, mignon, ce qu’il faut faire? Demain, jour de dimanche, tu viendras me trouver à la première messe; tu monteras en chaire avec moi, n’est-ce pas, mignon? et devant tous, pour que tout le monde l’apprenne, tu diras la prière que ton père vous fait dire.

Et l’enfant, tout de suite, va conter à son père le propos du curé; et le père, un fin matois, dit alors à l’enfant:

– Ah! oui, venir parler de vache en pleine chaire! Mais tu les ferais rire tous… Je vais t’en apprendre une autre, mon fils, d’action de grâces, qui est bien plus belle encore:

Je rends grâce au bon Dieu!

Les hommes de Monieux

Ont tous porté du bois de leur curé joyeux:

Mais lui tout seul, mon père

Ne s’est pas laissé faire.

«T’en souviendras-tu demain?

– Je m’en souviendrai, père.

Le curé, le lendemain, au prône de la messe, monte donc à la chaire, accompagné du petit, et commence:

– Mes frères, vous l’avez tous appris, on nous a volé notre vache… Je ne veux pas vous en parler; seulement la vérité est toujours bonne à connaître, et toujours la vérité sort de la bouche innocente… Allons, mignon, dis ce que tu sais.

Et le petit alors:

Je rends grâce au bon Dieu!

Les hommes de Monieux

Ont tous porté du bois de leur curé joyeux:

Mais lui tout seul, mon père

Ne s’est pas laissé faire.

Je vous laisse à penser le rire…

Nous prîmes à Monieux la combe de la Nesque, petit cours d’eau sauvage, qui bondit, comme dit Gras,

Entre deux falaises à pic, couvertes de halliers,

Où les bergers pendent l’appât

Pour attraper les merles.

et nous marchâmes là dans les rochers, à tout hasard, pour gagner, si nous pouvions, le même jour, Vénasque. Mais qui compte sans l’hôte, dit-on, compte deux fois: le soleil se couchait que nous errions encore parmi les précipices, au pied d’un haut escarpement qu’on nomme le Rocher du Cire, où plus tard nous plaçâmes l’épisode de Calendal lorsqu’il dénicha les ruches d’abeilles,

La Nesque, par-dessous, affreuse,

Ouvrait sa ténébreuse gorge,

et, la nuit nous couvrant peu à peu de son ombre, voici qu’à un endroit appelé le Pas de l’Ascle, un véritable labyrinthe, nous n’y, voyions plus devant nous, en danger, à tout pas, de glisser et tomber, la tête la première, par là-bas je ne sais ou.

– Mes amis, dis-je alors, ce serait une sottise que de laisser nos os ici dans quelque gouffre, avant d’avoir accompli notre œuvre félibréenne. Je serais d’avis de retourner.

– Hé! en avant, fit Grivolas, nous venons tout à l’heure «les effets de la lune» sur les roches de la Nesque.

– Si tu veux te précipiter, lui cria Aubanel, libre à toi, mon ami Pierre! Pour moi, je ne me sens nulle envie de me faire dévorer par les loups.

Et là-dessus nous remontâmes, en tâtonnant de-ci de-là, pour nous sortir des précipices, harassés, défaillants, tout en nage. Nous vîmes alors par bonheur, dans l’obscurité, au loin, poindre une petite lumière.

Nous y allâmes. C’était une masure écartée dans la montagne, qu’on appelait les Bessons. Nous frappâmes. On nous ouvrit; et de leur mieux ces braves gens (une famille de chévriers) nous firent l’hospitalité et ils nous dirent:

«Vous avez certes bien fait de retourner sur vos pas; l’autre année, une nuit d’hiver, nous avions entendu des cris, sans savoir ce qui arrivait…

«Quand le matin nous allâmes voir, nous trouvâmes mort dans la Nesque, là-bas vers le Pas de l’Ascle, un pauvre prêtre qui s’était décroché et tout meurtri.»

– Eh bien! tu vois, nigaud, si nous t’avions suivi? fit Aubanel à Grivolas.

– Bah! repartit le peintre, vous êtes des soldats du pape.

La ménagère, en même temps, avait mis la marmite sur le feu, avec de l’ail, de la sauge, et une poignée de sel, tout aspergé d’huile. Elle nous trempa bientôt une odorante eau bouillie, si bonne qu’Aubanel, tout petit homme qu’il fût, en vida onze assiettées, et le grand félibre garda un tel souvenir de cette savoureuse soupe et du bon sommeil que nous fîmes à la grange des Bessons que, dans son Livre de l’Amour, il y fait l’allusion suivante:

La femme vivement avec le tranchoir

– Taille le beau pain brun, va quérir de l’eau fraîche

– Avec son broc de cuivre; ensuite sur le seuil

– Elle sort et appelle ses gens qui rentrent à la maison.

– Et la soupe est versée; pendant qu’elle s’imbibe,

– L’hôte amical vous fait boire un coup de sa piquette;

– Puis, chacun à son tour, aïeul, mari, femme et enfants,

– Tirent une assiettée et apaisent leur faim.

– Et vous mangez la soupe et êtes de la famille.

– Mais, le repas fini, déjà chacun sommeille:

– L’hôtesse avec une lampe va vous quérir un drap,

– Un beau drap de toile blonde, tout rude et tout neuf.

– Du corps la lassitude est un baume pour l’âme.

– Ah! qu’il fait bon dormir, dans les bergeries, sur le feuillage,

– Dormir sans rêves, au milieu des troupeaux,

– N’être ensuite réveillé que par les grelots

– Des chèvres, le matin, et aller avec les plâtres

– Se coucher tout le jour et sentir le marrube!

Le lendemain, ayant repris la gorge de la Nesque, toute bourdonnante d’abeilles, des abeilles en essaims qui y humaient le miel des fleurs, nous arrivâmes enfin, et par une chaleur qui faisait béer les lézards, au village de Méthamîs. Nous demandâmes l’auberge. Mais va-t’en voir s’ils viennent! Nous y trouvâmes porte close; l’hôte et l’hôtesse moissonnaient.

Nous entrâmes au café, pour voir si en payant on voudrait nous apprêter quelque chose pour dîner.

– Cela m’est défendu, nous dit le cafetier, comme de tuer un homme!

– Et pourquoi?

– C’est que l’auberge, appartenant à la commune, s’afferme sous condition que personne autre n’ait le droit de donner à manger aussi.

– Il nous faut donc crever de faim?

– Allez trouver M. le Maire… Je ne puis, moi, vous offrir autre chose qu’à boire.

Nous bûmes un coup pour nous rafraîchir, et de là, tout poussiéreux, nous allâmes chez M. le Maire de Méthamis.

Le maire, un grand rustaud, moricaud et grêlé comme une poêle à châtaignes, croyant avoir affaire à des batteurs d’estrade, nous fait brutalement, comme quelqu’un que l’on dérange:

– Que voulez-vous?

– Nous voudrions, lui dis-je, que vous donniez au cafetier l’autorisation nécessaire pour nous servir à manger, du moment, monsieur le Maire, que votre auberge est fermée…

– Avez-vous des papiers?

– Que diable! nous sommes d’ici d’Avignon: si l’on ne peut plus faire un pas, ni manger une omelette dans le département, sans avoir des papiers…

– Ça, point tant de raisons! vous irez vous expliquer, accompagnés de mes deux gardes, devant le commissaire de police du canton.

– Mais peste! vous voulez rire? nous voilà n’en pouvant plus…

– Oh! je vous ferai charrier sur ma charrette; j’ai un bon mulet.

Cela commençait, parbleu! à ne plus tant nous amuser, d’autant plus, saperlotte! que nous n’avions rien dans le ventre.

– Monsieur le Maire, dit Aubanel, si vous vouliez nous conduire chez M. le curé, je suis sûr qu’il nous connaîtra.

– Allons-y, allons-y, fit le maire hargneux.

Et arrivés au presbytère, en présence du prêtre:

– Voyez, lui dit-il, monsieur le Curé, si vous connaissez ces individus.