Pendant que la Savinienne résignée travaillait pour ses enfants, et retrempait dans l’amitié et le sentiment religieux son cœur vide et désolé, le Corinthien souffrait de bien grandes tortures. Toujours contraint et humilié de lui-même en présence de cette noble femme, il allait s’étourdir sur ses remords auprès de la marquise; mais il n’y trouvait plus le même bonheur. Une tristesse profonde, une inquiétude incessante s’étaient emparées de Joséphine. Il semblait au Corinthien qu’elle lui cachât quelque secret. La crainte du monde régnait sur elle, malgré toutes les malédictions qu’elle lui adressait tout bas, et toutes les vengeances qu’elle croyait tirer de lui dans ses plaisirs cachés avec l’homme du peuple. Mais, au moindre bruit qui se faisait entendre, elle avait dans les bras d’Amaury des tressaillements ou des défaillances qui trahissaient la honte et la peur. Il s’en indignait parfois, et d’autres fois il les excusait; mais, au fond, il eût désiré plus d’audace et de confiance à cette maîtresse fougueuse dans le plaisir, lâche dans la réflexion. En présence de ses craintes, le Corinthien sentait amollir sa fierté, et se résignait à de grands sacrifices. Pour écarter les soupçons que son changement de caractère eût pu faire naître, la marquise voulait voir le monde de temps en temps; et, malgré les humiliations qu’elle y avait subies, elle ne perdait pas une occasion de s’y rattacher. Sa coquetterie et sa frivolité renaissaient chaque jour de leurs cendres. Le Corinthien avait de grands emportements de colère et de tendresse; et, dans ces luttes, il lui semblait qu’au lieu de se ranimer son cœur se lassait et tendait à s’endurcir. Son caractère s’aigrissait; il fuyait Pierre, résistait au père Huguenin, et méprisait presque les autres compagnons. Les dures habitudes de la pauvreté commençaient à lui peser; il n’avait plus de plaisir à sculpter sa boiserie, aspirant avec anxiété à tailler dans le marbre et à voir des modèles. La bonne Savinienne remarquait avec douleur qu’il prenait des goûts de toilette et des habitudes de nonchalance.
– Hélas! disait-elle au père Huguenin, il met tout ce qu’il gagne à se faire faire des vestes de velours et à se faire broder des blouses. Quand je le vois passer le matin, peigné et coiffé comme une image, je ne me demande plus pourquoi il arrive toujours le dernier à l’atelier.
Quant au père Huguenin, il était fort scandalisé de ce que le Corinthien portait des bottes fines au lieu de gros souliers, et il lui disait quelquefois pendant le souper:
– Mon garçon, quand on voit blanchir la main et pousser les ongles d’un ouvrier, on peut dire que c’est mauvais signe; car ses outils se rouillent et ses planches moisissent.