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– Il fera jour dans deux heures, n’est-ce pas?

– Le jour viendra bientôt, soyez tranquille, répondit Amaury d’une voix désespérée.

Ce son de voix fit tressaillir Joséphine. Un nouveau silence succéda à ce muet emportement d’Amaury. Le cheval hennissait en signe d’ennui et de détresse. Les grenouilles coassaient dans le marécage.

Tout à coup Amaury vit que Joséphine pleurait. Il se jeta à ses pieds; et deux autres heures s’écoulèrent dans une ivresse si complète, qu’ils oublièrent tout, et le monde, et les anciennes amours, et l’avenir, et la peur, et le jour qui se levait, et le cheval qui s’était remis en route.

Un cri de terreur échappa à la marquise, lorsqu’elle vit, à la clarté de l’aube, la tête d’un homme s’avancer à la portière. Cette frayeur était bien naturelle, mais elle arracha le Corinthien comme d’un rêve. Et lorsqu’il y pensa depuis, il s’imagina que la marquise aurait eu moitié moins d’effroi et de honte si elle eût été surprise dans les bras d’un gentilhomme.

Quant à lui, il eut aussi un sentiment de confusion devant le témoin de son bonheur. C’était Pierre Huguenin.

– Rassurez-vous, madame la marquise, dit celui-ci en voyant la pâleur effrayante et l’air égaré de Joséphine. Je suis seul, et vous n’avez rien à craindre. Mais il faut vite retourner au château. On vous a attendue fort avant dans la nuit. Votre cousine a été si inquiète de vous, qu’elle a envoyé à la ville. On vous cherche peut-être aussi d’un autre côté.

– Écoute, Pierre, dit le Corinthien. Voici ce que tu diras. J’ai passé la nuit à la ville, tu ne m’as pas vu; tu as trouvé madame la marquise seule, égarée, emportée par son cheval, vers minuit…

– Ce serait impossible, on vient de me voir au château il n’y a pas une demi-heure.

– Mais où sommes-nous donc?

– À un quart de lieue tout au plus du château. Que dirai-je?

– Que Wolf s’est enivré hier soir, c’est la vérité; qu’il a failli verser dix fois en dix minutes; qu’il est descendu dans un cabaret à la sortie de la ville…

– C’est bien, dit Pierre; alors le cheval s’est emporté et a couru la lande toute la nuit. Maintenant sauve-toi, Amaury; cache-toi dans les genêts, et ne rentre que vers midi. Tu as couché à la ville.

Le Corinthien se hâta de descendre et de s’enfoncer dans les buissons. La marquise n’eut pas la force de dire une parole. À demi évanouie au fond de la voiture, elle était dans un état nerveux qui rendit très vraisemblable l’histoire que Pierre se chargea de raconter.

Il prit le cheval par la bride, et l’aida à sortir des marécages, marchant devant lui, et s’assurant avec le pied de la solidité du terrain qu’il lui faisait traverser. Lorsqu’ils arrivèrent au château, la première personne qu’ils virent accourir fut Yseult, qui ne s’était pas couchée, et qui, de sa fenêtre, explorait tous les chemins depuis le jour.

Pierre lui raconta qu’il avait trouvé la marquise seule dans la voiture, entraînée par le cheval, qui, après avoir couru toute la nuit, revenait au hasard; que dans le premier moment elle avait eu la force de lui dire comment cet accident était arrivé; et il fit à cet égard le conte arrangé avec le Corinthien. Puis il aida mademoiselle de Villepreux à transporter sa cousine dans son appartement, tandis que les domestiques examinaient les harnais du cheval, que Pierre avait eu soin de déranger et de rompre en plusieurs endroits pour faire croire à une révolte sérieuse de sa part. Ce pauvre animal fut le seul calomnié de l’aventure. Personne ne soupçonna la vérité. Wolf, qui n’avait rien vu, et qui ne se rappelait pas seulement comment les choses s’étaient passées, ne put se disculper. On l’eût chassé si la marquise, après avoir une attaque de nerfs, n’eût demandé vivement sa grâce. Pierre fut remercié dans les plus beaux termes par le comte de Villepreux. Mais rien ne valait pour lui un mot d’Yseult; et comme il l’attendait toujours, il allait retourner tristement à l’atelier, lorsqu’elle s’approcha de lui, lui tendit la main, et la lui serra, devant tout le monde, avec une franchise d’amitié dont ses traits confirmaient la rayonnante effusion. C’était un autre bonheur que celui du Corinthien; mais il n’était peut-être pas moindre.