— Assurément, ils perdront ma trace, ils s’occuperont de la morte, j’aurai le temps de disparaître !
Fantômas ne se trompait pas, en vérité. Dès la minute où il apercevait le terrible incendie, dès l’instant ou il prenait conscience du danger que courait sa mère, Jérôme Fandor cessait de s’acharner à la poursuite de Fantômas pour ne plus songer qu’au péril qui menaçait celle qu’il venait enfin de retrouver.
Fandor n’hésita pas.
Il fonçait vers le brasier comme il avait foncé sur Fantômas. Le vent projetait la fumée de son côté, il crut vite qu’il allait étouffer, asphyxié par l’atmosphère suffocante.
Mais qu’importait, grand Dieu, puisqu’il courait vers sa mère, puisqu’il s’agissait de sauver sa mère ?
Le jeune homme, traversant les flammes, sentant ses habits roussir sur lui, se brûlant aux pans de bois qui commençaient à s’écrouler, s’élançait bientôt à l’intérieur de la maison en flammes.
Des paysans déjà étaient accourus. Il y avait des cris, des hurlements.
Comme dans un rêve, Jérôme Fandor crut comprendre que toute une foule lui conseillait de ne pas entrer, hurlait dans une folie d’épouvante qu’il allait à la mort.
La lueur de l’incendie était aveuglante à l’intérieur de la maison. La chaleur qui y régnait eût suffi à faire l’air irrespirable.
Jérôme Fandor crut que sa poitrine était en feu. Chaque aspiration entraînait dans ses poumons des gaz asphyxiants et surchauffés ; un vertige commençait à faire tourner sa tête. Ses joues saignaient, il avait un bras horriblement brûlé. Il avança encore…
À ce moment, Jérôme Fandor n’agissait plus qu’à la manière d’un automate, incapable de raisonner et de réfléchir.
— La chambre est là, se disait-il, au fond du couloir, à droite…
Et, les mains en avant, comme s’il eût pu écarter les flammes et la fumée, il avançait.
Jérôme Fandor titubait bien vite. L’incendie semblait couler pour ainsi dire devant lui. Des bidons de pétrole, en effet, éclataient à la chaleur du feu et déversaient, du haut du premier étage, un véritable fleuve de flammes.
Il lui fallait traverser cela.
— Maman ! maman ! râla-t-il.
Mais il se jetait toujours en avant. Il atteignait la porte de la chambre de sa mère, cette porte où, quelques instants plus tôt, il avait eu avec Fantômas un scène si terrible.
Fandor, aux trois quarts asphyxié, mort presque, debout par un prodige d’énergie, ouvrit la porte qui flambait.
Une surprise devait lui être réservée.
La chambre de M me Rambert était peut-être le seul endroit de la maison qui ne fût pas encore tout à fait en feu. Comme la malade, en effet, n’avait pas quitté cette pièce depuis de longs jours, Fantômas n’avait pas pu y dissimuler du pétrole.
Fandor, en entrant, eut l’impression de trouver un peu d’air respirable ; il vit en même temps que sa mère était toujours là, qu’elle était à genoux sur son lit, qu’elle faisait de grands gestes, des gestes de démence, qu’elle riait !…
— Mon Dieu ! mon Dieu ! gémit Fandor.
Il ne sentait plus à ce moment ses brûlures terribles. L’incendie grondait… Il n’avait point conscience que les flammes s’attachaient sur ses pas, qu’elles entraient par la porte ouverte, que, trouvant des matériaux nouveaux, elles renouvelaient de vigueur… Il ne pensait point que la retraite lui serait coupée et qu’il ne sortirait pas vif de cet enfer !…
Jérôme Fandor ne pouvait imaginer rien d’autre que le danger couru par sa mère.
Épuisé, il retrouvait pourtant quelque peu d’énergie, une vaillance même, pour sauver celle qui lui était naturellement si chère.
Jérôme Fandor prit sa mère dans ses bras, il l’entourait dans une couverture pour la protéger de la chute des décombres. Puis, chargé de ce fardeau précieux, n’ayant pas dit un mot, entendant toujours rire d’un rire étrange et démoniaque celle qu’il emportait, il revint en arrière, voulut sortir de la maison.
Jérôme Fandor avait fait un prodige en se frayant un passage à travers l’incendie jusqu’à la chambre de sa mère, et c’était en réalité un miracle qu’il essayait en tentant de quitter cette chambre, et de s’évader des flammes.
Désormais, la maison s’écroulait tout entière.
Les murs s’affaissaient les uns contre les autres, des poutres de fer tordues par la flamme, rougies à blanc, s’écroulaient en un enchevêtrement inextricable.
Il n’y avait plus un coin de la bâtisse qui ne fût en flammes.
Jérôme Fandor, pourtant, avança.
Il se jetait en avant, comme un soldat se jette à l’assaut. Les flammes lui faisaient l’effet d’être de véritables ennemies, il luttait avec elles corps à corps.
Il parut au journaliste qu’il restait une heure dans cette géhenne, il lui fallait en réalité trois minutes au moins pour traverser la maison, se rapprocher de la porte. Déjà, il entrevoyait le salon, déjà il se croyait sauf, lorsqu’un coup violent le heurtait à l’épaule, le renversait.
Jérôme Fandor ne lâcha point sa mère, mais il s’écroula comme une masse, il sentit qu’il était écrasé entre le dallage surchauffé du vestibule et quelque énorme morceau de ferraille que les flammes léchaient encore…
— Mais, fichtre de nom d’un chien ! Juve, vous êtes assommant, il n’y a pas moyen de causer avec vous !… Si maintenant, chaque fois que j’ouvre la bouche, vous fichez le camp sans vouloir me renseigner, j’aime autant que vous me plaquiez ici !
C’était Jérôme Fandor qui fulminait, Jérôme Fandor qui s’essayait à affecter une gaieté qui était loin de son cœur.
Le jeune homme se trouvait alors étendu dans le lit blanc d’une chambre d’hôtel assez confortable. Il avait un énorme bandeau autour du front. Un pansement lui enserrait le cou, son bras droit était en écharpe, et, sous les couvertures, on devinait sa jambe raidie dans un appareil de plâtre.
Juve était devant lui, Juve fumait une cigarette, haussait les épaules et grognait.
À la diatribe de Fandor, il répondit :
— Eh bien, c’est cela, je vais te plaquer ! Après tout, tu deviens assommant, Fandor. Tu radotes comme un vieillard de soixante-dix ans…
— En quoi, Juve ?
— En tout !
Et Juve, haussant les épaules, continuait :
— Voilà vingt fois au moins que tu me demandes comment il se fait que tu n’es pas mort ! Eh bien, mon bon, tu n’es pas mort tout bonnement parce que, quand tu es tombé, tu étais à peu près sorti de la maison et que l’on n’a eu qu’à te retirer un peu plus loin, toi et ta mère, car tu n’avais pas lâché ta mère !
Juve, à la vérité, mentait.
Si Fandor n’était pas mort, c’était en réalité parce que Juve l’avait bel et bien sauvé.
Le policier était survenu sur les lieux du sinistre, juste à temps, en effet, pour entendre la clameur dont la foule saluait l’écroulement d’un pan de muraille.
— Il n’y a personne, là-dedans, au moins ? s’informait Juve.
On lui répondit qu’un jeune homme s’était précipité pour sauver la propriétaire, et qu’il n’avait pas reparu.
Juve, naturellement, n’en demandait pas davantage.
Il comprenait immédiatement que le jeune homme était Fandor, il devinait quelque drame effroyable, et, n’écoutant que son courage, tranquillement, il entrait dans le brasier.
Juve, par bonheur, n’avait pas à aller trop loin. Il découvrait assez vite les corps enlacés de Jérôme Fandor et de M me Rambert qui étaient pris sous une énorme poutre. Juve fit effort, les arracha de cette terrible situation.
Il sauva M me Rambert, d’abord, puisque c’était une femme, puis, risquant une effroyable mort, il rentra une seconde fois dans le brasier pour en retirer Jérôme Fandor.
C’était ce que Juve appelait avoir « tiré Fandor un peu plus loin » !
Le journaliste, affreusement brûlé, s’était réveillé d’un long évanouissement dans une chambre d’hôtel où Juve l’avait fait transporter, cependant qu’on installait à côté la pauvre M me Rambert.