— Allons, murmura-t-il, il ne peut rien, il ne tentera rien !
Et comme Jérôme Fandor l’avait salué d’un mot, comme il lui avait dit :
— Bonjour, papa.
Fantômas tranquillement, répondit, laissant à peine deviner une secrète ironie dans sa voix :
— Bonjour, mon fils…
Les deux hommes, cependant, se toisaient du regard et demeuraient frémissants l’un en face de l’autre.
Comment allait s’achever cette situation tragique entre toutes ?
M me Rambert, à cet instant, s’agita faiblement sur son lit.
— Mon Dieu ! faisait la vieille femme, fort éloignée, à la vérité, de deviner le drame extraordinaire qui se passait si près d’elle, mon Dieu ! Que je suis heureuse !
Puis elle ajoutait :
— Je ne souffre plus, vous pouvez parler… Parlez donc, mes bons amis…
Et son regard, où se lisait sa tendresse, allait de Fandor à Fantômas.
Fandor, cependant, saisissait l’occasion que lui tendait sa mère pour tâcher de dénouer une situation qui persistait.
— Non, répondit-il, ma chère maman, il ne faut pas que nous causions ici. Nous avons tant de choses à nous dire, tant de souvenirs à évoquer, mon père et moi, que nous vous fatiguerions certainement. Pourquoi vous troubler ainsi, d’ailleurs ? Voulez-vous nous permettre de nous absenter quelques minutes ? Père et moi nous causerons, nous reviendrons vous voir ensuite.
M me Rambert acquiesça du geste à la proposition de Jérôme Fandor. Sans doute elle était dupe de la ruse inventée par le jeune homme. Elle trouvait naturel, d’ailleurs, que le père et le fils eussent à causer.
— Allez, dit-elle, mes bons amis, mais revenez vite ; il y a si longtemps que mes pauvres yeux vous pleurent, qu’ils ne peuvent plus se rassasier de vous voir !…
Fantômas, cependant, sourit en écoutant Fandor.
La ruse qu’inventait le journaliste pour sortir de la chambre de sa mère lui paraissait plaisante.
Elle lui paraissait aussi profitable. Il était désireux, en effet, de quitter cette pièce où, d’un instant à l’autre, Juve pouvait survenir, ce qui ne serait évidemment pas sans causer un redoublement d’embarras, un surcroît de péril.
Il appuya la proposition de Fandor :
— Eh bien ! c’est cela, dit-il, sortons !
Et, s’étant rapproché du lit de M me Rambert, Fantômas eut le geste sacrilège que lui imposait le rôle qu’il jouait.
Il prit la main de la pauvre femme, il la baisa dévotement.
Mais Fandor, à son tour, s’approchait de sa mère ; Fandor, avec une brusquerie dont il n’était pas maître, arrachait à Fantômas la main de la vieille femme.
— Maman !… Maman ! ma chère maman ! faisait-il.
Et il embrassait la main de sa mère avec le secret désir d’effacer le baiser de Judas que Fantômas n’avait point hésité à imposer à la vieille dame.
Les deux hommes, cependant, se dirigeaient désormais vers la porte de la chambre à coucher. Fandor réglait son pas sur celui du bandit. Il considérait Fantômas de son clair et franc regard, il semblait littéralement lui dire :
— En ce moment, je ne puis rien et je ne yeux rien tenter. Mais, une fois cette porte franchie, je redeviendrai maître de mes actes, libre de me jeter sur vous et ce sera la lutte sans merci…
Fantômas, de son côté, considérait le jeune homme.
Mais ce n’était point la franchise qui se lisait dans son regard. C’était une expression de raillerie, d’audace et de dépit.
Fantômas semblait dire à Fandor :
— À nous deux !… Je suis encore certain d’échapper à la juste punition de mes crimes, et je me réjouis à la pensée de faire encore le mal !
Fandor ouvrit la porte de la chambre, et il dut frôler Fantômas. Il dut, pour ne point inquiéter sa mère, s’effacer pour laisser passer le bandit.
— Après vous ! déclarait Fandor.
— Bah ! répondit Fantômas sur un ton bonhomme. Je ne suis pas un père terrible ! Passe donc, mon petit, ne fais pas de cérémonie !
Fandor passa.
Lentement, alors, Fantômas sortit de la chambre. Il fermait la porte d’un geste mesuré, il gardait la main sur la poignée.
Encore un instant, évidemment, et Fandor allait être libre de se jeter sur le misérable, allait être libre de combattre…
Et c’était à cet instant que Fantômas, brusquement, changeait d’attitude. Le visage du bandit devenait dur et impérieux. Une flamme s’allumait dans ses prunelles, il siffla d’une voix haletante :
— Fandor, nous nous sommes reconnus ! La lutte va reprendre entre nous, sans merci ni pitié. Soit, je l’accepte et je la désire. Mais en ce moment, je suis le plus fort, prenez garde !…
C’étaient là des paroles étranges, Fandor railla :
— Vous êtes le plus fort, Fantômas ? C’est à savoir !…
Fantômas lui coupa la parole :
— C’est indiscutable, répondit-il d’un ton narquois. Et en voici la preuve : au moindre de vos mouvements, Fandor, je rouvre cette porte, je me précipite auprès de votre mère et je la tue en lui disant la vérité… Est-ce cela que vous voulez ?
Fandor frémit, mais dut se taire.
Il voyait toujours la main du bandit crispée sur le bouton de la porte ; il se rendait compte que Fantômas, en effet, avait tout le loisir de rentrer dans la pièce sans qu’il pût l’en empêcher.
Fantômas poursuivit :
— Je suis le plus fort, Fandor, puisque je suis resté près de cette porte et que je puis rentrer dans cette chambre. Je vais donc vous poser mes conditions et vous les accepterez.
Fantômas fit une pause, puis il continua :
— J’entends sortir d’ici et disparaître sans m’exposer à vos coups de feu. Fandor, voici ce que j’exige : vous allez monter au premier étage de cette maison, vous allez entrer dans la pièce qui est au bout du couloir et dont la porte grince. Quand j’entendrai le grincement de cette porte, je m’enfuirai. Vous serez libre alors de me poursuivre. Mais, jusqu’à ce moment, je resterai là où je suis, c’est-à-dire à deux pas de votre mère et prêt à me venger si bon me semble !
Fandor, alors, grinça des dents. Une rage folle l’envahissait en écoutant Fantômas.
Ah ! certes, le Maître de l’effroi était bien toujours le génial criminel, le tortionnaire qui ne reculait devant rien, qui inventait toujours une douleur nouvelle…
Fandor comprenait fort bien le plan de Fantômas. Le bandit voulait profiter du voisinage où il était de la vieille M me Rambert pour dicter ses conditions au journaliste.
En lui ordonnant de monter au premier étage, d’entrer dans la chambre dont la porte grinçait, Fantômas, naturellement, ne visait qu’à une chose : l’éloigner. Il aurait de la sorte quelque avance, et pourrait profiter pour s’enfuir, pour tenter de disparaître, pour disparaître certainement même, car il était avant tout l’insaisissable, celui que l’on n’arrête pas !
Fandor, en quittant le bandit, crut un instant qu’il ne serait pas maître de ses sentiments, qu’il ne triompherait pas de sa colère. Ses mains eurent un tremblement. Il se précipita comme un fou, comme un furieux sur Fantômas, mais l’imperceptible mouvement que fit le bandit, s’avançant un peu vers la chambre de sa mère, l’immobilisa encore.
— Allons ! jugea Fandor, je suis le plus faible… Il a raison, il faut céder, c’est mon devoir, mon devoir de fils.
Et, lentement, Jérôme Fandor baissa la tête.
— Soit, disait-il simplement, j’accepte vos conditions. Nous recommencerons la lutte dans quelques instants.
— Entendu ! fit Fantômas en ricanant.
Jérôme Fandor alors se recula, marchant en arrière, car il ne voulait point perdre de vue Fantômas qui était fort bien capable de prendre son revolver et de tirer sur lui. Il s’approcha du petit escalier conduisant au premier étage de la maison. Lentement, il en gravit les degrés ; il atteignit le palier, il longea le couloir, il entra dans la chambre…
Or, au moment où Jérôme Fandor entendait le grincement de la porte qu’il ouvrait, il percevait aussi un bruit de pas précipités.