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Ilsvenaient d’aviser un montagnard arrêté au milieude la rue. Ce montagnard était dans une petite charrette quetraînait un mulet : on faisait cercle autour de lui.

L’hommeracontait quelque chose qui semblait semer l’épouvante.

Juveet Fandor se mêlaient au groupe.

— Oui,disait l’homme, reprenant son récit pour la vingtièmefois, je descendais de la montagne, il y a de cela deux heuresenviron, et j’arrivais au bas de Sassenage, lorsque à lasortie des cuves, là où débouche le torrent,j’ai vu quelque chose d’insolite, qui obstruait le coursdes eaux.

» J’aisauté de ma carriole, histoire de me rendre compte et, passantpar-dessus le petit pont qui borde la route, je suis descendu dans leravin, jusqu’au bord du torrent.

» Alors…oh ! c’est horrible ! je ne vous dirai jamais cela,j’ai vu un corps… un corps effroyablement broyé,déchiqueté par des chutes successives, un corps abîmépar la violence des eaux qui tombent du haut de la montagne etcourent sous terre dans les cuves de Sassenage…

» Naturellement,j’ai appelé à l’aide… quelqu’unest venu, un voisin, je crois, un des garçons du meunier.

» Et,à nous deux, nous avons retiré ce corps du torrent,j’ai vu la figure du noyé, et malgré qu’elleétait toute déchirée, toute tuméfiée,je l’ai reconnue…

» — Parbleu,que j’ai dit au garçon du meunier, je mettrais ma mainau feu que ce malheureux-là, c’est Gauvin, le notaire !

Juveet Fandor se regardaient interloqués…

Juvequestionna d’une voix blanche, s’adressant au paysan quipérorait du haut de sa carriole :

— Dites-moi,mon ami, cet homme était-il mort ?

— Ah !ben pour sûr, monsieur, répliqua le montagnard, aussimort qu’on peut l’être ; et d’ailleurs,ça n’est pas surprenant ! Si jamais vous vousamusiez à descendre dans les cuves de Sassenage, àvouloir en sortir au bas de la montagne par le tunnel où passele torrent, je crois bien que vous n’arriveriez pas dans unmeilleur état que le pauvre Gauvin !

Juves’écartait du groupe, prenait Fandor à l’écart.

Lejournaliste suggérait :

— Ils’est suicidé ?

MaisJuve hochait la tête.

— Suicidé ?J’en doute ! Les gens de l’espèce de Gauvinne se tuent pas, car il faut avoir du courage pour se donnervolontairement la mort…

— Alors,Juve ? demanda Fandor.

— Alors,poursuivit le policier, je me demande s’il ne s’agit paslà d’un nouveau crime de Fantômas !

Puisle policier ajoutait :

— Jele saurai d’ailleurs d’ici une heure !

— Juve !Juve ! s’écria Fandor, vous deviez me conduirejusqu’auprès de ma mère ?

— Mondevoir, répondit Juve, est de ne pas perdre une minute, et decourir sur les lieux où l’on a trouvé le cadavredu malheureux notaire, afin de me renseigner sur les causes de samort…

» Quantà toi, Fandor, poursuivit Juve, ta mère t’attend,préoccupée, il importe que tu ailles immédiatementla rassurer sur ton sort.

» Ilfaut, en outre, que tu sois là, auprès d’elle,afin de la protéger lorsque Fantômas reviendra, furieuxde n’avoir pu prendre la fortune qu’il convoitait depuissi longtemps, et qu’il se croyait sur le point de voler…

» VaFandor ! À tout à l’heure…

Fandoravait compris que la décision de Juve étaitirrévocable, et, au surplus, le journaliste se réjouissaità l’idée que désormais, sans perdre uninstant, il allait pouvoir courir jusqu’à Domène,et y retrouver enfin cette mère que depuis si longtemps lehasard et le mauvais sort tenaient éloignée de lui…

— Entrez !fit une voix douce et faible.

Fandoravait la main sur le bouton de la porte, il crut défaillir enentendant cette parole.

Lejournaliste, après avoir quitté Juve, avait trouvésur la place de Grenoble un taxi automobile auquel il donnait, d’unevoix angoissée, l’adresse de Mme Verdon,à Domène.

Lorsqu’ilarrivait dans la propriété, le journaliste sonnait envain à la grille du jardin.

Nulne lui répondait, à l’exception des aboiements dugros chien Dick qui, malgré ses efforts, ne parvenait pas àse libérer de la chaîne qui le retenait attaché àsa niche.

Fandorn’attendait pas longtemps.

Inquietde n’avoir point de réponse, il enjambait la grille, aurisque de s’empaler sur les pointes de fer qui la surmontaient.

Iltraversait en courant le petit parc, arrivait au perron de la maison.

Laporte était entrebâillée, Fandor la poussa,s’introduisant dans le vestibule.

Iljetait un coup d’œil à droite et à gauche,apercevait un salon simplement meublé, de bourgeoiseapparence, puis une petite salle à manger confortable ;plus loin il reconnaissait la porte de l’office et descuisines.

Fandor,dont le cœur battait à se rompre, montait rapidement aupremier étage, plusieurs portes se trouvaient de part etd’autre du palier, il frappait à l’une d’elle,au hasard, et c’est alors qu’une voix douce et lointaine,nullement méfiante, lui avait doucement répondu :entrez !

Fandor,cependant, n’osait pas tourner le bouton de la porte…

Ausurplus, il était incapable d’agir, de remuer.

Illui semblait que soudain une émotion trop violente venait dele paralyser, de l’immobiliser sur place.

Quidonc avait répondu ?

Quidonc allait-il voir ?

Fandorn’osait se dire qu’une mince cloison, désormais,seulement, le séparait de celle qui lui avait donné lejour !

Fandorse demandait s’il devait entrer…

Ilne savait pas… Il ne savait plus… Il ne comprenaitqu’une chose, c’est qu’il éprouvait unefolle envie de se jeter aux genoux de sa mère, et il n’avaitpas la force de faire un mouvement !

Dansle silence de la maison, qui semblait vide, Fandor, à nouveau,entendit :

— Entrez !Entrez donc !

Lejournaliste fit un effort suprême sur lui-même : ileut l’impression qu’il bondissait, et dès lors,poussant la porte, comme furieusement, il se précipita dans lapièce, et il s’arrêta net au milieu…

Enface de lui se trouvait un grand lit, dans lequel étaitcouchée une vieille dame, aux cheveux blancs comme de laneige.

Toutd’abord, en voyant cette brusque apparition, il avaitsursauté : les yeux au vif regard, à l’expressionsi douce, s’étaient fixés dans les yeux deFandor.

Etdès lors, le journaliste s’était senti remuerjusqu’au plus profond de son être.

Qu’elleétait cette digne et noble vieille femme, aux mains diaphanes,au visage pur, aux traits beaux et distingués ?

Lejournaliste sentit des sanglots lui étreindre la gorge, deslarmes brûlantes lui monter aux yeux.

Ilavait enlevé son chapeau d’un geste machinal, iljoignait les deux mains, s’avançant lentement et tombantà genoux au chevet du lit, il articula d’une voixindistincte, ces mots simples :

— Mamère !… ma mère !… ma mère !

Maisau même instant, Fandor sentait que deux bras tièdes senouaient autour de son cou, puis il entendit à nouveau cettevoix si douce et si touchante, qui murmurait sur le ton d’uneindicible émotion :

— JérômeFandor !… Charles !… mon petit Charles !…mon enfant !

Uneseconde ne s’écoulait pas que l’enfant embrassaitsa mère, que la mère étreignait dans ses brasson enfant.

Ilsrestaient ainsi, serrés l’un contre l’autre, sanssonger à s’arracher à cette douce étreinte.

Leurslarmes se confondaient, et ils échangeaient de tendresparoles :

— Mamère !

— Fandor !…

— Charles !…Charles !…

— Maman !…

Puis,Mme Rambert, doucement, écartait Fandor de sapoitrine. Elle appuya ses mains tremblantes sur les mains du jeunehomme.

— Laisse-moite regarder, dit-elle, Fandor.

Fandor,sans mot dire, reculait, fixait sa mère, qui ne se lassait pasde le contempler.

— Oh !murmura-t-elle de sa voix grave et harmonieuse, comme je te reconnaisbien, mon petit ! Je te retrouve tel que tu étaisautrefois, avec tes boucles blondes en moins ! Regarde, monpetit Charles, regarde ce portrait…

Etlevant sa main vers le mur à côté de son lit,Mme Rambert désignait à Fandor unepetite photographie, toute passée, très jaunie, leportrait d’un bébé de quatre ou cinq ans, danslequel le journaliste avait grand’peine à sereconnaître, lorsqu’il était enfant.