Gauvins’arrêtait brusquement de parler, un léger bruitvenait de retentir.
— Entendez-vous ?balbutia-t-il d’une voix affolée, cependant qu’ilreculait, prêt à quitter la pièce.
Mais,au même moment, une détonation retentit, un coup de feu…
— Lalumière ! hurla Fandor, qui, dès lors, seprécipitait sur le commutateur, car Gauvin, terrifié,n’avait pas fait un mouvement.
Etaussitôt, la pièce s’illumina.
Lejournaliste avait l’arme au poing, le doigt sur la détente,il s’arrêta, stupéfait : il n’y avaitpersonne dans la pièce…
Fandorconstatait simplement qu’elle était plongée dansle plus grand désordre.
Mais,alors qu’il jetait les yeux autour de lui, il remarqua lagrande malle dont lui avait parlé le notaire, et à cemoment précis cette malle se remua.
— Oh !oh ! clama Fandor, c’est de là qu’est partile coup de feu ! Allons-y donc à tout hasard !
EtFandor ripostait à son tour par un coup de feu.
— Montrez-vousdonc ! grogna-t-il, ou alors rendez-vous !
Mais,à ce moment, une voix retentit et l’émotion deFandor fut si forte, qu’il lâcha son revolver…
— Fandor !avait crié une voix.
Cettevoix provenait de l’intérieur de la malle, cette voix,c’était celle de Juve !
— Ah !nom de Dieu de nom de Dieu ! jura Fandor, qu’est-ce quetout cela signifie ?
Lejournaliste avait reconnu cependant la voix du policier, et il seprécipitait sur la grande malle d’osier.
Plusvif que la pensée, il en arrachait les courroies ; lecouvercle se souleva, et aussitôt, renversant le casiersupérieur surchargé de dossiers, Juve surgit del’intérieur de la malle, rouge comme une pivoine,transpirant à grosses gouttes, soufflant comme un soufflet deforge…
— Ehbien ! fit-il paisiblement, voilà des acrobaties qui nesont plus de mon âge ! Je commençais à êtrecourbaturé par cette effroyable mécanique !
— Juve,Juve, criait Fandor, que diable faisiez-vous là-dedans ?
— Pasgrand-chose !… Je ne peux pas te dire que je mepromenais… mais enfin, c’est tout comme…
— Juve,ce coup de revolver, quand nous étions dans l’obscurité,est-ce vous qui l’avez tiré ?
Lepolicier tressaillit, regarda Fandor d’un air affectueux :
— C’estmoi, petit, et je le regrette ; certes, j’étais àcent lieues de songer que tu étais à proximité.Je tirais uniquement dans le but de briser ces courroies de cuir quim’empêchaient de sortir de cette malle.
— Juve,poursuivit alors Fandor, dont le visage exprimait une touchanteinquiétude, j’ai riposté, j’ai tirédans la malle… ne vous ai-je pas blessé ?
— Tues très maladroit, fit Juve, tu ne m’as même paseffleuré, mais enfin, pour cette fois, je ne t’en feraipoint le reproche…
Lepolicier, cependant, se dégourdissait les jambes, les bras, ilregarda autour de lui.
Puis,brusquement, il interrogea Fandor :
— Commentes-tu ici ?
— Moi,Juve, c’est simple ! C’est Gauvin qui m’aamené.
— Gauvin !hurla Juve. Où est-il, ce misérable ?
Et,avant que Fandor ait eu le temps de comprendre, le policier seprécipitait vers l’entrée du cabinet de travail.Fandor le suivit quelques instants après.
Pardeux fois, Fandor appela :
— Gauvin !Gauvin !
Maisnul ne répondait.
— C’estcurieux, se demandait Fandor, où donc est-il passé ?Je sais bien qu’il est plus poltron qu’une poulemouillée, mais enfin, il a dû nous entendre etcomprendre que c’est vous qui étiez là. Rien quevotre nom, Juve, devait le rassurer.
Lepolicier secouait la tête ironiquement.
— Tute trompes, Fandor ; c’est mon nom qui l’a faitfuir.
— Ahbah ! fit le journaliste, pourquoi ?
— Parceque, articula Juve, Gauvin, tout bête qu’il est, acompris que, sitôt que je serais sorti de cette malle, monpremier mouvement consisterait à lui mettre la main aucollet !
Lejournaliste considérait le policier d’un air hagard.
— Jene vous comprends pas, Juve ?
— Celane m’étonne pas, répondit le policier ; pourcomprendre les gens, il faut savoir ce dont il s’agit…Tu arrives en retard au dénouement d’une piècedont tu n’as pas vu les premiers actes, ce serait vraiment tropbeau si tu y pigeais quelque chose. Mais, ne t’inquiètepas, je m’en vais te raconter l’affaire en quelques mots.
Fandortrépignait d’impatience.
— Parlez,Juve, parlez !
— Nousne sommes pas pressés, déclara le policier. Ne t’étonnepas de ne pas me voir m’élancer à la poursuite decette petite fripouille de notaire, c’est un bandit deminuscule envergure, que nous aurons quand nous voudrons… Et,au surplus, nous sommes beaucoup mieux ici, où je perçoisencore l’espoir de recevoir la visite de quelqu’un quis’intéresse à nous, autant que nous nousintéressons à lui… Tu devines, gros malin deFandor, que je veux parler de Fantômas !
Juveavait l’air de plus en plus énigmatique, Fandors’exaspéra :
— Parlez,Juve, parlez ! grogna-t-il en serrant les poings.
Maisle policier se faisait un malin plaisir d’énerverFandor.
— J’aibeaucoup de choses à te dire, et quelques-unes à tecacher. Il faut que je réfléchisse, Fandor !Donne-moi une cigarette…
Lejournaliste se résignait.
— Dieu,que vous êtes insupportable, Juve ! commença-t-il.
Ilespérait que le policier allait enfin prendre la parole, maisau préalable, Juve désigna l’ampoule électriquequi éclairait le cabinet du notaire.
— Vadonc éteindre, Fandor ; l’obscurité estpropice, nécessaire même, aux propos que je vais tetenir, et, au surplus si jamais Fantômas vient ici, nous seronsmieux pour le recevoir dans l’obscurité…
Deuxheures passaient pendant lesquelles Juve et Fandor s’entretenaientlonguement.
Toutd’abord, le policier avait obligé le journaliste àlui faire le récit des extraordinaires aventures dont il avaitété le héros à la morgue, puis ensuite lavictime.
Juvealors avait commencé à expliquer à Fandorl’enchaînement compliqué des circonstances qui luiavaient fait découvrir le cadavre de Daniel, puis la dernièresupercherie de Fantômas tentant de s’emparer de lafortune de Mme Verdon, fortune désormais ensécurité dans la poche même de Juve.
Unpoint cependant demeurait obscur dans le récit de Juve.Était-ce à desseinqu’il l’avait laissé dans l’obscurité ?
Fandorle lui demanda :
— CetteMme Verdon, interrogeait le journaliste, qui mesemble être une si grande et si noble figure, quel est son nom,sa véritable personnalité ?
Lalune se levait à ce moment. Ses rayons argentéspénétrèrent dans l’intérieur ducabinet par les interstices des persiennes closes de la fenêtre.
Fandoralors pu considérer le visage de Juve et s’aperçutqu’il était très troublé, qu’ilexprimait une émotion intense, et que, malgré sesefforts pour lutter contre cette émotion, les yeux de Juve seremplissaient de larmes.
— Qu’avez-vousdonc ? demanda le journaliste.
Pourtoute réponse, Juve se leva, et s’approchant de Fandoril l’attira sur sa poitrine, le serra longuement sur son cœur.
— Fandor,mon ami, fit-il d’une voix qu’entrecoupait l’émotion,c’est un grand bonheur que je vais t’apprendre ;Fandor, il est au monde une femme que depuis quinze années quenous vivons ensemble tu n’as jamais oubliée, et àlaquelle tu ne peux songer sans une touchante et respectueuseémotion… Une pudeur délicate et compréhensiblefait que tu ne prononces jamais son nom devant personne, mais moi quite connais, je sais que tu ne l’as point oubliée et quesans cesse tu penses à elle, et que tu l’aimes comme aupremier jour…
Fandorse sentait blêmir à ces paroles.
— Juve…Juve… balbutia-t-il, on dirait que vous me parlez de…
Etdès lors, dans un grand cri, Juve hurlait :
— Deta mère, Fandor ! oui, c’est de ta mère queje te parle… ta mère qui existe, qui est vivante ;ta mère, Fandor, qui n’est autre que la noble et dignefemme qui, depuis plus de dix ans qu’elle s’est échappéede l’odieuse prison dans laquelle Fantômas l’avaitenfermée, vit ici à quelques pas de Grenoble, auvillage de Domène, sous le nom de Mme Verdon.Fandor… Fandor… J’ai retrouvé ta mère,demain tu seras dans ses bras !