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Gauvinn’avait pas encore eu le temps de répondre que Mme Birotpassait sur le quai de la gare et, avisant un contrôleur, luirecommandait, criant à tue-tête, au point que quelquesvoyageurs se retournaient :

— Ditesdonc, cher monsieur, je prends l’express de Lyon dans dixminutes. Quand il arrivera en gare, soyez assez aimable pour retenirdeux bonnes places. Nous sommes deux. Il y a moi, d’abord ;vous me retiendrez un coin en avant, car je ne peux pas supporterd’aller en arrière, et il y a M. Gauvin, lenotaire… Vous savez bien, M. Gauvin, qui part également,et avec lequel je voyage.

Mme Birotrevenait dans la salle d’attente.

Par-dessusla petite barrière qui séparait l’enclos despremières et des secondes, Mme Birot aperçutl’un des facteurs de la gare qui venait enregistrer sa malle.

Ellel’appela pour lui donner un pourboire, puis, en mêmetemps, recommandait à l’homme :

— Vousquittez votre service dans une demi-heure, n’est-ce pas ?Je sais que vous habitez tout à côté de cheznous, ayez donc l’obligeance, quand vous vous en retournerez,de passer chez mon mari et de lui dire qu’il ne s’inquiètepas. Je voyage ce soir avec M. Gauvin, le notaire, qui s’enva à Lyon ou à Paris !

Mme Birotse tournait alors du côté de Gauvin.

— Aufait, interrogea-t-elle, où donc allez-vous, à Lyon ouà Paris ?

Maiselle se retournait stupéfaite et demeurait bouche bée…

Gauvinavait disparu.

Pendantles bavardages de la jeune femme, le notaire, en effet, s’étaitéclipsé.

— Tombersur la Gazette, s’était-il dit, c’est pis quetomber sur la police tout entière !

EtGauvin, en effet, s’était rendu compte dans l’espacede quelques instants, que tous les gens de la gare étaient aucourant de son départ ; il avait entendu les premièresparoles échangées avec le facteur des bagages, ilsavait que d’ici vingt-cinq minutes on saurait àGrenoble qu’il était dans le train se dirigeant versLyon, puis vers Paris.

Dèslors, rien ne serait plus facile que de l’arrêter encours de voyage.

EtGauvin, profitant d’un moment d’inattention de soninterlocutrice, avait quitté la gare au moment oùl’express de Paris y entrait, au milieu d’un fracasformidable.

— Dire,grondait Gauvin en serrant ses poings, que je ne peux même pasfuir ! Au moins, pensait-il, je me cacherai à Grenoble,je me dissimulerai sous un faux nom.

Ils’avançait de quelques pas dans l’avenue de laGare, se heurtait soudain à un groupe de jeunes gens.

Instinctivement,le notaire s’effaçait pour les laisser passer, mais,décidément, il jouait de malchance, quelqu’unl’interpella.

— Ah,par exemple ! C’est vous mon cher maître ? Ehbien, véritablement, vous tombez à pic ! Nouscherchions un quatrième pour jouer au bridge et le voilàtrouvé puisque nous vous rencontrons…

Gauvins’arrêta tout blême.

Lepersonnage qui s’adressait à lui n’étaitautre que le substitut du procureur de la République,qu’accompagnait un avocat et un juge, de la cour de Grenoble.

Tousles trois souriaient aimablement au notaire.

Lesubstitut le prenait par le bras.

— Venez,lui dit-il, nous allons au café. Ah ! par exemple !Quelle bonne chance que de vous avoir rencontré !

D’unevoix sourde, Gauvin balbutia :

— Non,merci mes amis, il m’est absolument impossible, absolument, deme joindre à vous ce soir !

Lesubstitut, amicalement, lui frappait sur l’épaule.

— Quellebonne blague ! fit-il, ce Gauvin n’en a jamais d’autres !

Puis,s’adressant à l’avocat et au juge, le substitutjovial disait :

— Messieurs,au nom de la loi, je requiers l’arrestation du citoyen Gauvin,et vous monsieur le juge, je vous demande de le condamner àvenir faire immédiatement la manille avec nous sans que cejugement soit susceptible d’appel !

Lestrois jeunes gens éclataient de rire, mais après cettejoyeuse explosion de gaieté, ils s’arrêtaient net,stupéfaits.

Gauvinétait devenu livide, et même il semblait si souffrant,que, chancelant, il devait s’appuyait le long d’un mur.

— Ahça ! mais… s’écria le substitut duprocureur, il est malade, il va s’évanouir !

Gauvin,cependant, réagissait, faisait un suprême effort pour nepoint tomber.

Ilreprit de sa voix sourde et rauque.

— Non,non, je n’ai rien… un malaise…

Sesamis, toutefois, s’inquiétaient pour lui.

— S’ilest malade, il faut le ramener chez lui !

Etdéjà ils s’emparaient de Gauvin, le soutenaient ;le notaire s’arracha au groupe trop aimable.

— Laissez-moi,laissez-moi ! hurla-t-il, et dès lors retrouvant sonénergie pour fuir, il détalait de toute la vitesse deses jambes.

Lestrois jeunes gens se regardaient stupéfaits.

— Qu’est-ceque cela signifie ? se disaient-ils. Il semble à moitiéfou…

C’étaitle substitut qui venait d’émettre cette opinion.

Lejuge hocha la tête.

— Moi,je le crois très malade, ou alors peut-être a-t-il bu…

Interloqués,les trois jeunes gens continuaient leur route, quant à Gauvin,qui avait tourné la première rue, il étaitdésormais hors de vue…

Lemalheureux notaire se trouvait maintenant à l’entréed’une petite place complètement déserte. Ils’était tapi dans un angle obscur, entre deux maisons,et dès lors tout son corps frissonnait !

Quelleabominable plaisanterie venait de faire le substitut !…Gauvin avait failli s’évanouir d’effroi enentendant le magistrat proférer en riant :

— Aunom de la loi, je vous arrête…

Et,en effet, Gauvin songeait que, dans quelques jours, le lendemainpeut-être, ce même substitut du procureur prononceraitles mêmes paroles à son égard, mais alors sansironie et pour de bon…

C’estpourquoi Gauvin avait voulu fuir, terrifié à l’idéeque, peut-être, cette plaisanterie toute fortuite, étaitpour lui comme un avertissement.

Ilétait environ neuf heures du soir, et machinalement Gauvin,qui errait dans les rues, cherchant les voies les plus désertes,était arrivé au point de départ des tramwaysélectriques qui font le service entre Grenoble et Domène.

Gauvin,depuis quelques instants déjà, nourrissait un projet.

Sespas instinctivement l’avaient conduit dans la direction duvéhicule public allant de Domène, c’est-à-direà la bourgade où se trouvait l’habitation de sacliente, Mme Verdon.

Gauvinfouillait sa poche, il y trouvait encore quelque menue monnaie.

Ilavait de quoi prendre le tramway, il sauta dans le véhicule aumoment où celui-ci démarrait.

Qu’allaitdonc faire Gauvin à Domène ?

— Commentvous sentez-vous, ma chère amie ?

D’unevoix toute brisée d’émotion, une vieille dame auxcheveux blancs, qui reposait étendue dans une bergère,articula d’une voix dolente :

— Mieux,mon bon ami, merci, je suis encore bien faible…

Lavoix de l’interlocuteur reprenait :

— Ilfaut monter vous coucher et prendre du repos.

— Hélas !hélas ! reprenait la vieille dame, pourrai-je avoirjamais un sommeil paisible, tant que je n’aurai pas retrouvémon enfant chéri, que je ne saurai ce qu’il est devenu,celui qui s’est fait un nom célèbre, honorable etglorieux, sous le pseudonyme de Jérôme Fandor.

Lapersonne qui parlait ainsi n’était autre que Mme Verdon,ou, pour mieux dire, que Mme Rambert, pour laquelleFantômas, dans l’après-midi précédente,s’était fait passer pour son mari défunt ÉtienneRambert.

— Ilfaut, pensa Fantômas, que je la rassure.

— Notreenfant, déclara-t-il, ne court point de danger. En mêmetemps que je descendais dîner, tout à l’heure,j’ai fait le nécessaire auprès des misérablesqui détiennent notre enfant et qui exigent une rançonpour lui rendre sa liberté. Vous pouvez dormir tranquille ;il ne sera pas touché à un seul cheveu de la têtede Fandor, jusqu’à ce que je sois intervenu.

Fantômass’arrêtait brusquement : un coup sec venait d’êtrefrappé à la porte.