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ChapitreXXIII

L’honnêteté d’un notaire

Pourla seconde fois de la soirée le notaire Gauvin quittait sonétude en courant…

Cettefois, il n’avait plus peur pour son existence, mais peut-êtreétait-il encore plus affolé que lorsqu’il s’étaitsauvé la première fois, redoutant une agressionsoudaine de malfaiteurs.

Gauvinn’était plus abasourdi, il était atterré ;il avait l’impression d’être suspendu sur un abîme,et la sensation qu’il allait y choir irrémédiablement…

Maisle notaire, néanmoins, avait l’énergie dudésespoir, et l’épouvante que lui causaitl’éventualité d’une porte de prison serefermant sur lui ranimait son audace, lui donnait tous les courages.

Gauvins’enfonçait dans la nuit en courant.

Demême qu’il avait fui lorsqu’il avait entendu desbruits suspects dans son cabinet et qu’il avait constatéque quelqu’un qu’il croyait être un malfaiteurl’avait volé, de même il fuyait ; mais, cettefois, il savait la vérité et comprenait ce qui s’étaitpassé.

Cettevérité, il venait de la découvrir en l’espacede quelques secondes ; le double cri poussé par l’hommeenfermé dans la malle auquel Fandor avait répondu :« Juve, Juve, c’est vous ?… »avait été une révélation pour le notaire.

Demalfaiteurs, il n’y avait plus de trace, mais Gauvin comprenaitque l’homme qui s’était dissimulé dans lamalle c’était le policier.

PourquoiJuve s’était-il introduit de la sorte, subrepticement eten cachette, dans le cabinet de Gauvin ? C’est ce quecelui-ci, au premier abord, ne parvenait pas à s’expliquer ;mais après y avoir réfléchi quelques instants,il finissait par formuler une hypothèse :

— Juveme soupçonnait, se disait-il, d’avoir l’intentionde m’enfuir avec l’argent de mes clients. Juve devinetout, sait tout ; Juve avait lu dans ma pensée…Peut-être était-il au courant du billet de voyage que jeme suis procuré ; toujours est-il qu’il a surprismes agissements… Et j’ai été voléau préalable !… Non, cela n’est pasvraisemblable. C’est assurément Juve qui, dans montiroir, a pris les titres de rente que je voulais emporter, ceuxnotamment de Mme Verdon, afin que je ne puisse pas endisposer !

Gauvinformulait cette hypothèse cependant qu’il couraittoujours dans la nuit sombre ; en réalité, il nefaisait qu’exprimer là, de façon nette etprécise, ce qu’il avait pensé quelques instantsauparavant lorsqu’il apprit par le cri de Fandor la présencede Juve à l’intérieur de la malle.

Gauvins’était rendu compte, en effet, que certainement lepolicier, qui était aux écoutes depuis longtemps, avaitdû comprendre très nettement les intentions du notaire.

Juvesavait, sans aucun doute, que Gauvin préparait sa fuite ;c’était pour cela qu’il était intervenu, etc’était cette conviction qui déterminaitdésormais Gauvin à s’enfuir.

— Sij’étais resté là, se disait-il, tandisqu’il courait toujours, si j’avais attendu une minute deplus à mon domicile, en présence de Juve et de Fandor,je suis bien convaincu qu’ils m’auraient arrêté.Mais que faire désormais ? Si je reste à Grenoble,je suis pris… C’est l’affaire de quelques jours,de quelques heures. Puis-je pourtant m’en aller ? Je n’aipas un sou…

Gauvindésormais ralentissait sa marche.

Illongeait une rangée d’arbres, et, au lointain, on voyaitscintiller les premières lumières annonçant laproximité des faubourgs de Grenoble.

Lejeune notaire était dans un état de rage inexprimable ;il était furieux contre lui-même de n’avoir pointréussi ce qu’il méditait et de s’être,en outre, compromis irrémédiablement.

Gauvin,à ce moment, était mûr pour le crime.

Siquelqu’un était passé par là, le notairese serait certainement précipité sur lui, lui auraitarraché par la force son porte-monnaie, son argent…

Gauvin,en effet, était dans un état d’exaspérationqui l’aurait rendu capable de tout, si les circonstances s’yétaient prêtées.

Mais,heureusement, il ne passait personne, et Gauvin ne rencontra pas âmequi vive avant les faubourgs de Grenoble.

Lorsqu’ilparvint aux premières maisons de la ville, sa course affolée,et sa marche rapide ensuite, l’avaient calmé dans unecertaine mesure.

Ilenvisagea désormais la situation dans laquelle il se trouvaitavec un peu plus de tranquillité.

Quefaire ? se demandait-il. Où aller ?

Aulointain, déchirant le silence qui régnait alentour,retentit un coup de sifflet rauque et strident.

— Unelocomotive… pensa Gauvin, le train !

Et,dès lors, le jeune homme, machinalement, obliquait àgauche ; il venait de prendre une décision.

Gauvinse souvenait, en effet, que s’il n’avait plus d’argentil possédait tout au moins ce fameux billet de voyage quidevait lui permettre de s’enfuir et de partir pour l’Amériquedu Sud.

Enréalité, son billet était toujours valable, rienne l’empêchait de s’en aller.

— Oui,se dit Gauvin, c’est là l’unique solution qui mereste : il faut que je parte pour Paris, c’est àParis que l’on se cache, c’est à Paris que l’onpeut se procurer de l’argent par les moyens les plus variés ;c’est à Paris que j’irai… On verra ensuite…S’il faut partir pour Londres, n’ai-je point mon billet !

Commele notaire arrivait à la gare, il vit la pendule éclairéeet poussa un soupir de satisfaction :

— Dansvingt minutes, constata-t-il, passe l’express de Lyon qui memettra demain matin à Paris.

Relevantle col de son pardessus, il s’avançait dans la salled’attente, se dissimulant derrière le poêle quioccupait le milieu de la pièce.

Il yavait, dans la salle d’attente des premières classes,d’antiques et confortables fauteuils en velours vert, Gauvins’effondra dans l’un d’eux et abaissa sur son nezle chapeau mou qui le coiffait.

Mais,à peine était-il installé qu’une maineffleura son épaule.

Lenotaire bondit comme s’il avait reçu une déchargeélectrique.

— MonDieu, s’écria-t-il, qui va là ? Que meveut-on ?

Etinstinctivement, il avait mis la main à sa poche, serrantfébrilement les doigts sur le manche de son couteau.

Maisun éclat de rire lui répondait, et en face de lui,Gauvin aperçut une jeune femme tout emmitoufléed’écharpes et de voilettes. Elle portait un grand sac decuir et un étui contenant trois ou quatre parapluies.

— Ah !monsieur Gauvin, quelle bonne chance de vous rencontrer !articulait la personne.

Gauvin,très troublé jusqu’alors, ne l’avait pasreconnue et désormais, la lumière se faisait dans sonesprit.

— MadameBirot ! s’écria-t-il.

Etle notaire reconnaissait en effet l’épouse du greffierdu tribunal civil de Grenoble.

Mme Birotétait une petite femme aimable, vive, alerte ; onl’appelait à Grenoble la « Gazette »,car, curieuse et bavarde, elle était sans cesse au courant detout, et renseignait les gens les uns sur les autres, avec uneabondance de détails et une précision minutieuse, quifaisait qu’elle était aussi documentée que lapolice tout entière et même les journalistes de lalocalité.

— Sapristi !pensa Gauvin, je ne pouvais pas plus mal tomber ! Dans cinqminutes, tous les gens qui sont à la gare vont savoir que jesuis là…

LaGazette, au surplus, commençait en minaudant sesinterrogations.

— Quelplaisir, monsieur Gauvin, de vous rencontrer ! Vous partez doncen voyage ? En tout cas, je suppose que vous ne devez pas allerloin, puisque vous n’avez aucun bagage avec vous. Cependant,vous avez un billet de première…

— Commentsavez-vous cela ? interrogea Gauvin abasourdi.

— Oh,c’est bien simple ! rétorqua la Gazette. Vous êtesdans la salle d’attente des premières classes. Or,l’employé qui est au contrôle est trèsstrict à ce point de vue. Et quelqu’un qui n’auraitpas un billet de première n’entrerait pas dans la salled’attente des premières. Vous allez peut-être àLyon, monsieur Gauvin ? Je l’espère, d’ailleurs,car je vais également dans cette direction. De la sorte, nouspourrons faire route ensemble…