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— Mafoi, répliqua le notaire, je ne demande pas mieux, monsieurFandor ; j’avais peur tout seul, certainement, mais avecvous, je ne crains rien…

Lejournaliste, dès lors, sans souci du costume qu’ilportait, se levait, quittait la chambre, s’engageait sur lepalier.

Gauvinle suivait à quelques pas. Alors qu’ils s’approchaientdu haut de l’escalier et allaient descendre, les deux hommesentendirent Sulpice qui s’entretenait à l’étageinférieur avec deux autres personnages.

Fandorse pencha sur la rampe de l’escalier, et vit que le trio secomposait d’une part, de Sulpice, de l’autre, de deuxsergents de ville.

Or,le domestique disait aux gardiens de la paix :

— Vouscomprenez bien, messieurs, que je ne suis pas si bête que j’enai l’air. En causant avec cet individu, je me suis rendu compteque j’avais affaire à un bandit… Tout d’abord,ce prêtre qui voulait s’habiller en civil, ça neme disait rien. Ensuite, il m’a fait cadeau de cinquantefrancs, ce qui est encore moins naturel… Il m’a menacéde m’assassiner, et dès lors, j’ai vu clair. Il aprétendu s’appeler Jérôme Fandor ;j’ai fait semblant de le croire afin de pouvoir m’éclipseret aller chercher Juve qu’il avait l’audace de medemander… Nous voilà maintenant dans la maison, legaillard occupe la chambre 134, faites votre devoir !

L’undes deux sergents de ville articula, s’adressant à soncompagnon :

— Jecrois que notre devoir est tout indiqué, et que nous sommessur la bonne piste. Ce matin, monsieur le commissaire, au rapport,nous a lu une dépêche de Paris, prescrivantl’arrestation d’un individu qui porte une robe de prêtre,sous laquelle il n’a que son caleçon et sa chemise. Cethomme est un voleur qui s’est emparé de ce vêtementdans lequel se trouvait un porte-monnaie contenant cent cinquantefrancs. Ordre de l’autorité parisienne : procéderà son arrestation !

Fandor,penché par-dessus la rampe de l’escalier, entendait cespropos.

Iléclata de rire.

— Elleest bien bonne ! fit-il. Voilà maintenant que j’aitous les roussins de France à mes trousses. Bah ! peuimporte, on s’expliquera quand on aura le temps !

Lejournaliste faisait volte-face, il se buta contre Gauvin. Leurs deuxfronts se heurtèrent.

— Décidément,grogna Fandor, nous sommes faits pour nous rencontrer dans la vie,mais franchement nous y mettons un peu trop de brutalité l’unet l’autre ! Enfin, ça n’a pas d’importance,les bosses au front, ça se guérit tout seul…

Lejournaliste entraînait Gauvin vers l’extrémitédu couloir.

— Nousne descendons donc pas ? interrogea le notaire.

— Si !Comment donc ! déclara Fandor.

— Maisnous tournons le dos à l’escalier, observa Gauvin.

Fandor,qui désormais se trouvait avec son compagnon àl’extrémité du couloir, près d’unefenêtre ouverte, donnant sur une cour obscure de l’intérieurde l’hôtel, mit un doigt sur ses lèvres et luidit :

— Ah !voilà ! vous savez, mon cher Gauvin, les choses les plussimples ne sont pas toujours les meilleures… Tel que je vousconnais, vous seriez descendu par l’escalier !

— Naturellement,fit le notaire abasourdi.

Fandorfeignait de s’indigner.

— C’estça, comme un bourgeois ! Les escaliers, mais c’esttrop facile ! Moi je vous préviens d’une chose,c’est que je viens de prendre un long repos involontaire ;oui, mon cher, j’étais figurant à la morgue, maisje vous expliquerai cela plus tard. Alors, j’estime que j’aibesoin de prendre du mouvement, de faire des exercices physiques, etpuis, en même temps, je suis très peureux. Supposezqu’il y ait le feu à l’hôtel et que le cœurde la fournaise soit dans la cage de l’escalier ; noussommes ici au quatrième, comment descendrions-nous ?

Gauvinconsidérait Fandor avec des yeux ahuris, se demandant si lejournaliste n’était pas subitement devenu fou.

Ilrépondit néanmoins :

— Ildoit y avoir une échelle de fer à l’extérieurde la maison.

— Trèsbien raisonné, dit Fandor, qui se penchait vers la fenêtreen même temps qu’il attirait Gauvin à côtéde lui.

Lejournaliste poursuivit :

— Tenez,la voilà, cette échelle ! eh bien, mon ami, nousallons l’expérimenter. En route !

Dèslors, Fandor, enjambant la fenêtre, s’accrochait àl’échelle de fer qui allait du bas jusqu’en hautdu mur, et commença à descendre quelques échelons.

— Venez !dit-il à Gauvin.

Maisle notaire secouait la tête.

— Non,non, j’aime mieux l’escalier !

Etil allait rebrousser chemin, mais il s’arrêta net :Fandor braquait sur lui un revolver.

— Sidans trois secondes vous n’avez pas enjambé cettefenêtre, si dans quatre secondes vous n’êtes pasau-dessus de moi,accroché à cette échelle de fer, et si, dans ledélai d’une minute, vous n’êtespas descendu jusqu’en bas, aussi vrai que je m’appelleJérôme Fandor et que je porte une soutane de prêtre,je vous fais sauter la cervelle !

Gauvindevint livide.

— Ilest complètement fou ! pensa-t-il.

Maisil n’osait désobéir, et Fandor, quelques instantsaprès, s’applaudissait de sa menace, car il étaitau bas de l’échelle en compagnie du notaire, et tousdeux, par une porte écartée, quittaient les communs del’hôtel et se retrouvaient dans la rue.

— Uneautomobile ! cria Fandor, où en trouve-t-on ?

— Surla place à côté, répondit Gauvin.

Lesdeux jeunes gens y couraient, prenaient un taxi-auto. Gauvin donnaitl’adresse de son domicile ; huit minutes après lejournaliste et le notaire se trouvaient à l’entréedu petit jardinet, au milieu duquel s’élevait ledomicile du tabellion.

Fandor,dès lors, avait complètement perdu son entrain railleuret son ton de persiflage.

Unpli barrait son front, il avait la main crispée sur la crossede son revolver.

— Assezblagué, murmura-t-il entre ses dents. Ouvrons l’œilmaintenant !

Et àvoix basse, il interrogeait Gauvin :

— Décrivez-moirapidement la disposition de votre maison. De quel côtédonne la fenêtre de votre cabinet de travail ?

— Lafenêtre de mon cabinet de travail, articula Gauvin, mais c’estcette fenêtre qui se trouve juste en face de vous.

— Enêtes-vous bien sûr ? demanda le journaliste.

Gauvindevenait de plus en plus interloqué.

— Maisnaturellement, oui, pourquoi cette question ?

— Parceque, déclara Fandor, cette fenêtre est intacte, et ilapparaît que personne ne l’a ouverte de l’intérieurde votre bureau.

— Qu’enconcluez-vous ? demanda le notaire.

— Ceci,fit Fandor d’une voix basse : c’est que le voleurque vous m’avez signalé et que vous supposez avoirenfermé dans votre cabinet, n’a pas dû chercher às’enfuir, sans quoi rien n’aurait été plussimple pour lui que d’ouvrir la fenêtre et de sauter dansle jardin, d’autant que cette fenêtre est aurez-de-chaussée…

Lesdoigts de Gauvin se crispèrent sur le bras de Fandor.

— MonDieu ! Vous avez raison, fit-il. Mais alors, si l’hommeest encore là, nous allons nous trouver face à faceavec lui !

— Jel’espère bien, grogna le journaliste. Conduisez-moi àla porte de votre cabinet.

Gauvinobéissait.

Toutefois,si Fandor était joyeux, surexcité à l’idéeque l’on allait peut-être avoir à subir une lutteviolente, le notaire avait peur, très peur.

— Allons !Allons !… ordonna Fandor, dépêchons-nous !

Lentement,d’une main tremblante, Gauvin introduisait la clé dansla serrure de la porte de son cabinet de travail.

Ill’ouvrit avec précaution ; les deux hommes, sansbruit, se glissèrent dans la pièce. Gauvin allaittourner le commutateur électrique, Fandor l’en empêcha.

— Pasde blague ! fit-il à voix basse ; on est toujoursmieux dans l’obscurité pour attaquer et surtout pour sedéfendre ! Dites-moi quelle est la situation des lieux ?

— Voilà !fit Gauvin. Si vous vous avancez tout droit, vous vous heurtez dansle fauteuil placé devant mon bureau. En tournant àgauche, c’est ma bibliothèque avec le placard en bas.Méfiez-vous, il y a tout un paquet de dossiers par terre…À droite se trouve la malle, et c’est de cette malle quem’a semblé provenir le bruit dont j’ai eutellement peur…