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Juvedut prendre une décision, car c’était d’unton tranquille, assuré, calme, en souriant même, qu’ilrépliquait :

— Vouscherchez qui je suis ? En vérité, mes bons amis,vous m’étonnez beaucoup. Voyons… un petit effort…cherchez bien et vous trouverez !

Juveparlait avec une politesse extrême, parlait surtout avec une sitranquille assurance, que les membres de la bande s’entre-regardèrentstupéfaits.

Bouzilleà ce moment trembla :

— Çacommence mal, pensait le chemineau… M’sieur Juve veutmême pas parler argot, sûrement ça finira mauvais…

Juve,toutefois, faisant toujours preuve de son extraordinaire sang-froid,repartait bientôt :

— Ainsi,vous ne me reconnaissez pas ?

Il yeut un silence.

— Vousne devinez rien ? continuait Juve. Vous êtes tous làqui me regardez, et y en a pas pour s’écrier :Tiens, c’est un tel !

Or,comme Juve finissait de parler, la paillasse sur laquelle il marchaits’agitait dans un coin… Un homme était couchélà, que Juve n’avait même pas vu, qui sortait desa cachette, s’agenouillait lentement, avec les mouvementspénibles du misérable qui est toujours las etcourbaturé de sa vie de misère… Juve fixa cethomme, et l’homme le fixa…

Lesilence s’éternisait toujours, Juve le rompit :

— Tasd’imbéciles ! fit-il.

Puis,il demanda :

— Quiest le chef ?

— Moi !fit l’homme qui se levait.

— Approche,commanda Juve.

L’individu,de son pas traînard, avança vers le policier, les mainsdans ses poches, le regard dur.

Juveinsista :

— Situ es le chef, tu dois être plus malin que les autres. Allons,parle. Qui suis-je ? Comment Bouzille m’a-t-il donnévotre adresse ?

Or,à cet instant brusquement, l’homme qui frôlaitJuve se rejetait en arrière.

— Ah !bon Dieu ! commençait-il. Sang de malheur !…Je te reconnais !

Juve,à cet instant, frémit. Il n’avait évidemmentpas prévu cette réponse, et, maintenant, il regrettaitd’avoir posé la question.

Peut-être,en effet, dans sa tête, le policier avait-il inventé uneruse subtile… Il s’apprêtait à dire :« Je suis un tel. » Mais si l’homme lereconnaissait, si l’homme savait qu’il était Juve,sa ruse était déjouée d’avance, et luiétait perdu…

Or,ce qui arrivait était tout au contraire fort avantageux pourJuve. L’homme, en effet, s’étant reculé,haussait les épaules.

— Non,faisait-il, c’est pas toi !… J’pensais quet’étais un mec à la r’dresse avec qui j’aifait dans le temps une vieille dans un train, mais c’est pastoi !

Juvereprit alors toute son assurance. Un fin sourire même passaitsur ses lèvres. Brusquement, il fit un mouvement.

— Etmaintenant, demandait Juve, sais-tu qui je suis ? Dis, chef ?

Juveouvrait la main droite. Il jetait à ses pieds deux objetsqu’il tenait. L’un était un poignard, l’autreétait une sorte de massue.

D’oùavait-il tiré ces deux armes ? Que signifiait donc songeste ?

Lechef, à cet instant, sursautait d’étonnement,pendant que les membres de la bande, en désordre se levaient,en poussant des exclamations.

Lechef, lui, blême de rage, serrant les poings, marchait surJuve :

— Dequoi ? faisait-il. V’là que maintenant t’asmon casse-gueule et mon eustache dans les pattes ? Oùqu’tu les as pris ?

— Dansta poche, dit Juve.

Etle policier s’assit.

Juve,vraiment, était merveilleux et calme. Il contemplait ledésarroi de ceux qui pouvaient d’une minute àl’autre se jeter sur lui, et il semblait parfaitement rassurésur l’issue de l’aventure.

Juveexpliqua :

— J’aipris ça dans ta poche, imbécile, pour t’aider àdeviner mon nom… Tu n’y arrives pas ? Trèsbien, je m’présente : écoutez, vous autres.Je suis Job Askings…

Or,à ce mot, tous les misérables se précipitèrentvers Juve, les mains tendues, l’air radieux.

Seul,Bouzille peut-être, demeurait immobile.

Bouzilleétait littéralement stupéfait.

— Ehbien, murmurait-il, ça, c’est marrant. Il en a plutôtdu culot, m’sieur Juve !

Maisqui donc était Job Askings ?

Lapègre, les assassins, les voleurs, ceux qui vivent en marge dela société et qui sont, à travers l’organisationcivilisée du monde, des bêtes sauvages, aux appétitsformidables, aux instincts terrifiants, ne sont pas en réalitéce que les déclarations policières ordinairestendraient à faire supposer.

Lapolice, pour excuser son manque d’action générale,l’imprévoyance de ses agissements, prétend eneffet et tient à prétendre que les malfaiteurs agissentisolément et ne se connaissent pas entre eux.

Lavérité est fort opposée. La pègre est aucontraire fort unie et tout le monde se connaît parmi ceux quivivent dans la crainte de la loi.

Lapègre a donc ses célébrités, ses grandsrenoms, ses gloires.

Juve,en se faisant passer pour Job Askings, osait incarner en présencedes bandits l’un des hommes les plus fameux, l’un desplus dangereux modèles que les misérables du mondeentier respectent et vénèrent.

JobAskings, certes, n’était rien auprès deFantômas ! Toutefois, sa personnalité comptait. JobAskings était l’homme qui pouvait prétendre autitre de Roi des voleurs, si Fantômas était légitimementle Roi du crime.

JobAskings avait jadis volé, et cela se savait, le propreporte-monnaie d’un président de cour d’assisesoccupé à le juger. On contait encore qu’une autrefois, il avait trouvé moyen de subtiliser au bourreau lecouperet qui devait servir à exécuter un camarade !Job Askings avait, disait-il, des secrets extraordinaires, des trucsinouïs pour dévaliser sans qu’ils pussent seulements’en douter, les gens les plus méfiants et les plusprécautionneux. C’était le Roi des pickpockets,c’était le Prince des détrousseurs.

Comment,dès lors, les habitants de l’enfer n’auraient-ilspas fait fête à Juve qui prenait son personnage ?

Lepolicier venait de réussir un coup qui, certainement, devaitempêcher que le moindre doute, le moindre soupçon, pûtse poser sur lui.

Juve,profitant de l’instant où le chef l’avait frôlé,avait tranquillement volé celui-ci. L’habiletédont il avait fait preuve n’était-elle pas un sûrgarant de sa personnalité réelle ?

Lesmembres de l’enfer le pensaient si bien qu’un quartd’heure plus tard, Juve et Bouzille étaient admis àtrinquer avec eux tous, et que même, à Juve, les membresproposaient :

— Dis,Job, veux-tu être not’chef ? Veux-tu nous donner desleçons, au moins ? Ah, si seulement tu voulais nousguider, sûrement on serait les rois de Paris, on gagnerait toutc’qu’on voudrait !

MaisJuve ne prenait aucun engagement, Juve se contentait de répondre :

— Jeverrai… aujourd’hui, je ne puis rien, plus tardpeut-être accepterai-je de vous initier à quelques-unsde mes trucs…

Juve,d’ailleurs, ne perdait point de vue le but qui l’avaitconduit dans ce repaire abominable. Il questionnait donc habilementles habitants de l’enfer. Il leur demandait, cependant queBouzille, déconcerté, se taisait et s’occupaitseulement à boire le plus possible, s’ils n’avaientpoint eu connaissance d’un cadavre traîné entredeux eaux et emporté par de mystérieux bateliers.

Juve,hélas ! n’obtenait aucune précision, àpeine les habitants de l’enfer pouvaient-ils lui raconterqu’ils avaient entendu des bruits, un va-et-vient sur lefleuve, mais qu’ils ne s’en étaient pas autrementoccupés.

— Ondormait, confiaient-ils… On dormait parce qu’on étaitsaouls et qu’on voulait se dessaouler, histoire de recommencerà boire, puisqu’il restait des bouteilles !

Deuxheures plus tard, Juve quittait les bandits.

Juvetombait de fatigue et ne le cachait pas à Bouzille.

Lepetit jour, aussi bien, commençait, et il avait hâte derentrer chez lui, de prendre quelque repos, et cela d’autantplus que Juve était toujours décidé àpartir au plus vite à Grenoble, pour y interroger cetteMme Verdon qui, au dire du jeune ThéodoreGauvin, avait envoyé le mystérieux Daniel en missionsecrète à Amsterdam.