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Leplan du journaliste était simple, Bouzille daigna l’approuver.

— Bon,bon, pas trop mal… fit le bonhomme d’un air entendu…Seulement, comment qu’on va s’arranger ? Moi, j’aides ordres… je dois vous coller dans le frigorifique, et,là-dedans, dame ! y n’y a pas d’air et ilfait trente degrés de froid ; sûrement que vous enclaquerez, m’sieur Fandor…

MaisFandor avait réponse à tout :

— Jen’en claquerai pas, disait-il, parce que tu vas me faire leplaisir de ne pas ouvrir les robinets d’air froid communiquantavec la niche où je serai, et que, d’autre part, tuperceras des trous dans la porte de bois… Est-ce entendu ?

— Non,dit Bouzille… parce que tout ça, ça vaudrait aumoins deux louis de plus…

Àcette réponse, Fandor éclatait de rire :

— Quelvieux juif tu fais ! disait-il. Mais soit, j’accepte tesconditions… Par exemple, tu m’apporteras à mangertous les jours…

— Sivous n’êtes pas trop difficile ! riposta encoreBouzille.

Aumême moment, Juve, dans le compartiment du train quil’emportait à Grenoble, se disait :

— Lecadavre de Daniel est à la morgue, je puis donc êtrebien tranquille à ce sujet, et en toute paix enquêterdans le Dauphiné…

ChapitreXVI

L’effroi au village

— Allons,mes enfants ! Allons ! Un peu de silence ! L’heurea sonné, taisons-nous. Vous, Michel, si vous n’êtespas sage, vous serez consigné jeudi.

Cettemenace évidemment produisait son effet, non seulement àl’égard de l’intéressé, mais encoreauprès de ceux de ses camarades qui l’entouraient.

Cecise passait à l’école devant la porte de la classedes moyens.

Ilétait environ deux heures un quart, et l’on allaitcommencer la classe d’histoire de France. Les élèves,des gamins d’une douzaine d’années, aprèsêtre rentrés en se bousculant, dans la classe,finissaient par s’installer à leurs places respectives,à sortir de leurs sacs les cahiers et les livres nécessairesau travail, et à se disposer à écouter lemaître.

Celui-ci,un petit jeune homme de vingt-cinq à vingt-huit ans, au visagepâle, à la silhouette mince et fluette, étaitvêtu d’une redingote râpée, et portait surle nez un binocle cerclé d’or.

C’étaitl’instituteur qui professait dans l’école laïquedu quartier de la gare, à Grenoble.

Lespremiers jours du printemps s’annonçaient par de clairsrayons de soleil, et encore que le froid fut très vif le matinet le soir, on laissait volontiers les fenêtres ouvertes,pendant les heures de l’après-midi où la lumièrese faisait la plus intense et la plus chaude.

Michel,que le professeur avait déjà admonesté, grimpasur le bord de la fenêtre, et, avec une lenteur calculéede paresseux qui gagne quelques instants sur la durée de laclasse, il s’escrima avec les battants de la fenêtre,afin de les ouvrir pour laisser pénétrer l’airpur de l’extérieur.

PuisMichel s’abîmait dans la contemplation du panorama qui sedéroulait devant lui.

Dansces pays de montagnes, tout est paysage et tout est paysagepittoresque.

Certes,la fenêtre de l’école laïque, écoleconstruite sur le modèle classique de toutes les écolesde France, donnait sur une cour plantée de petits arbres, dontl’aspect n’avait rien d’artistique.

Maisil suffisait de lever les yeux, de regarder par-dessus le mur del’école, distant de la fenêtre d’unetrentaine de mètres, pour découvrir le plus merveilleuxspectacle qu’il soit possible d’imaginer.

Onapercevait au premier plan venant vers l’école comme sielle fonçait dessus, puis faisant un coude brusque au pied dela maison, l’Isère qui roulait ses flots neigeux etperpétuellement tumultueux. L’Isère, véritabletorrent, qui grossit à la fonte des neiges, au point dedevenir une rivière puissante et parfois redoutable, l’Isèreprovenant de la superbe vallée du Grésivaudan entre lesAlpes de Beldone et le massif de la Chartreuse.

Dela fenêtre de l’école par laquelle il se penchaitle petit Michel apercevait les hautes cimes des montagnes, toutescouronnées de glaciers et de neiges éternelles, surlesquelles le soleil, à ce moment, promenait ses rayonslumineux qui se réfléchissaient dans le miroir poli etbrillant des grands glaciers du sommet.

Puis,sur la gauche, surplombant pour ainsi dire Grenoble, s’élevaitla première amorce du massif de la Chartreuse, une montagneabrupte, à peine coiffée de neige, semblait-il, àson sommet, et dont la forme caractéristique lui a valu le nomde « Casque-de-Néron ».

Michel,cependant, était arraché à sa contemplationartistique par l’intervention de l’instituteur qui, sanssouci de sa dignité, avait quitté sa chaire et étaitvenu attraper Michel, juché sur l’appui de la fenêtre ;il l’empoignait par le fond de sa culotte, le descendait, et,lui pinçant l’oreille sévèrement, ildéclara :

— Michel,vous me copierez dix fois le verbe : je perds mon temps !

Lerire des petits camarades démontrait au maître que lapunition était bien accueillie, puis celui-ci remonta àsa chaire, et la leçon commença ; elle avait traità l’existence de Philippe le Bel.

Lesjeunes écoliers, peu à peu, s’intéressaientà la parole du maître. Quelques-uns de ces enfantsprenaient des notes, et, sur les cahiers quelque peu tachésd’encre, couraient les grosses écritures, encore malformées, des braves petits garçons qui s’appliquaientet voulaient s’instruire.

L’instituteurprofessait son cours avec une admirable conscience, se préoccupaitnon seulement de raconter ce qu’il était advenu àPhilippe le Bel au cours de son existence, mais songeant encore àses élèves, et s’arrêtant à chaqueinstant pour savoir si les uns ou les autres le suivaient dans sesexplications, si personne ne s’endormait, si aucun des enfantsne s’amusait à boire l’encre de son encrier ou àdessiner des bonshommes sur les pages blanches des cahiers !

Puis,au lointain, une horloge sonna quatre heures moins un quart, et sansque rien ne fut interrompu dans la classe on eut l’impression,à un certain frémissement qui courait dans la petiteassistance, qu’il allait se passer quelque chose de nouveau.

Certes,l’histoire de Philippe le Bel était pleine d’attraits,mais elle était singulièrement concurrencée parun fait nouveau, plus banal sans doute, mais plus accessible aussi àla mentalité joueuse des écoliers.

Lestrois coups annonçant quatre heures moins un quartsignifiaient, en effet, qu’on avait au maximum à subirquinze minutes de classe, et encore quinze minutes dont les cinqdernières seraient consacrées aux préparatifs dedépart !

Déjà,le petit Michel, modèle des paresseux, rangeait ses cahiers etses livres dans son sac de cuir.

Puis,comme il était placé près de la fenêtre,il feignit d’avoir froid, et faisant claquer ses doigts pourannoncer qu’il voulait dire quelque chose, il interrompit leprofesseur :

— M’sieur,m’sieur, dit le petit Michel, est-ce que je pourrais fermer lafenêtre ?

Ilfeignait en même temps de tousser, pour faire croire qu’ilavait attrapé froid, et qu’il était indispensablequ’on lui donnât l’autorisation demandée.

Lemaître coulait vers lui un regard quelque peu sceptique, car ilconnaissait Michel pour un de ces gaillards qui ne manquent pointd’ingéniosité, dès lors qu’il s’agitd’inventer quelque chose susceptible de nuire au travail.

Toutefois,l’instituteur ne pouvait refuser d’acquiescer àune semblable demande.

— Fermezdonc la fenêtre, fit-il, mais dépêchez-vous !

Unsourire de contentement erra sur les lèvres du gamin, qui, sedéplaçant avec grand tapage, approcha d’abord sachaise de l’appui de la fenêtre, monta doucement dessusen feignant d’être maladroit, puis il se cramponna àla poignée de la croisée, manqua de tomber deux outrois fois, histoire de faire rire ses camarades, ce à quoi ilparvenait à merveille. Enfin, il atteignit àl’espagnolette et finit par fermer la fenêtre.