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— Dela part de Michel, cela ne m’étonne pas !pensait-il, mais que Louis Férot se soit prêté àmentir également, voilà qui me surprend !

L’instituteurse rapprocha de Louis Férot.

— Dis-moibien là vérité, fit-il. Qu’est-ce que tuas vu dans la montagne ?

L’enfanthésita une seconde, puis, affermissant sa voix, il déclara :

— J’aivu un géant.

— Quefaisait-il, ce géant ?

— Ilétait couché.

— Oùcela ?

— Surla neige. Il ne bougeait pas, il semblait dormir…

Lemaître, étonné de plus en plus, prit l’enfantpar la main et l’approcha de la fenêtre :

— Regardeencore s’il y est !

Aprèsquelques instants, Louis Férot secoua la tête :

— Ilest parti, je ne le vois plus.

— Allons !s’emporta l’instituteur, avoue donc que tu n’asrien vu et que c’est pour dissiper la classe que tu as racontécette histoire-là, d’accord avec Michel !

Michel,qui s’était hissé à nouveau sur l’appuide la fenêtre, sauta au milieu de la salle, bouscula deuxchaises, renversa un pupitre, puis vint se placer effrontémentsous le nez du maître. Il leva la main en un geste deprotestation.

— Moi,je vous jure, m’sieu, que c’est pas des menteries. On avu tous les deux le géant, couché dans la neige, auhaut de la montagne, même qu’il avait les yeux ouverts etqu’il ouvrait une grande bouche de laquelle sortaient des bêtesféroces…

Maiscette description, loin de provoquer l’épouvante,déterminait les rires de tous les auditeurs.

Etcette fois, le professeur se décida à se fâcher.

— Quelssont ceux, demanda-t-il sévèrement, qui ont vu legéant ? Faites bien attention à ne pas mentir etrépondez la vérité. Voyons, je vous écoute,que ceux qui l’ont vu lèvent la main !

Deuxmains se levèrent d’abord, puis une troisième quis’abaissait aussitôt : évidemment, lepropriétaire de cette main n’était pas bien sûrqu’il l’avait vu.

Lesdeux autres mains qui restaient levées étaient cellesde Michel et de Louis Férot.

Lemaître les interrogea encore :

— Vousaffirmez que vous avez vu un géant dans la montagne ?

— Oui,m’sieu.

— Etvous affirmez maintenant que ce géant en est parti ? Vousreconnaissez que vous ne le voyez plus ?

— Oui,m’sieu.

— Ehbien, conclut l’instituteur, vous serez tous les deux enretenue dimanche, pour avoir inventé cette histoire qui atroublé la classe et nous a empêchés de finird’étudier le règne de Philippe le Bel !

Auxbavardages qui régnaient jusqu’alors dans la sallesuccédait un silence profond.

Michelricanait, haussant les épaules, indifférent auchâtiment qui venait d’être prononcé contrelui.

Quantà Louis Férot, de grosses larmes montaient à sesyeux, tant il était au regret d’avoir étépuni. Cela ne lui arrivait jamais, et il rougissait encore àl’idée qu’on le punissait pour avoir dit unmensonge, alors qu’en réalité il avait bien ditla vérité.

LouisFérot, dans son fort intérieur, se répétait :

— Michelne s’est pas trompé, ni moi non plus. Nous avons bien vutout à l’heure un géant dans la montagne…

L’instituteur,cependant, vers six heures du soir, s’en allait, fumant unecigarette, le long de l’avenue de la gare, vers le petitrestaurant où il prenait pension ainsi que quelquescélibataires employés à Grenoble.

C’étaitun modeste établissement où les habituéspouvaient avoir une nourriture aussi saine qu’abondante, pourun forfait de deux francs par jour.

L’instituteurretrouvait là un employé du chemin de fer, deux commisd’un grand magasin de nouveautés, et un employéde la préfecture. À eux quatre, ils constituaient unepetite équipe de bons camarades, qui, fréquemment aprèsle dîner, prenaient un vif plaisir à jouer à lamanille.

L’instituteurétait à peine arrivé au restaurant, qu’aprèsavoir échangé quelques paroles banales, ses amisl’interrogeaient.

— Ettoi, Marcelin, lui demanda-t-on, l’as-tu vu cet après-midi ?

— Quoidonc ? demanda l’instituteur.

L’employédu chemin de fer lui expliqua :

— Paraîtqu’on a vu quelque chose de surprenant dans la montagne, ausommet du Casque-de-Néron. Un homme extraordinaire, immense,un vrai géant couché dans la neige !

L’instituteursursauta :

— Ah,par exemple ! fit-il, c’est donc vrai cette histoire-là ?

L’undes deux commis de nouveautés intervenait :

— Çam’a tout l’air d’être une plaisanterie,fit-il. Il y a des gens qui prétendent avoir vu un hommegigantesque couché dans la neige, mais quand ils ont voulu lemontrer à d’autres, ils ont été incapablesde le faire. Je n’y crois guère à leur géant !Et toi ?

L’instituteurdemeurait perplexe, et désormais sa conscience d’honnêtehomme lui reprochait d’avoir puni deux de ses élèves,Michel et le petit Louis Férot, en les accusant d’avoirmenti.

Certainementil avait dû se passer quelque chose ; sans aucun doute,les enfants avaient vu, comme les gens de Grenoble, un phénomèneanormal se produire dans la montagne.

— Mais,interrogea l’instituteur, qu’est-ce qu’on en ditdans la ville ?

Etdès lors commençait entre les quatre amis unediscussion confuse et imprécise sur les propos qui avaient ététenus par les uns et par les autres.

Pluson discutait, et moins on avait de certitude.

Aucours du dîner, les quatre jeunes gens finissaient par oublierle sujet primitif de leur conversation, et dès lors celle-cidégénérait. On en venait à raconter leshistoires les plus invraisemblables et les plus diverses également.Cependant que les uns développaient des récitsd’escalades extraordinaires dans les Alpes, d’autres,plus imaginatifs, et moins intéressés par la questionsportive, narraient, avec force détails inquiétants,les légendes de la région relatives aux apparitionssingulières et terrifiantes survenues dans toutes sortes decirconstances au cours des siècles passés et mêmeà nos époques contemporaines.

Lasoirée se prolongeait fort tard, et assurément,lorsqu’ils achevaient leur manille, les quatre jeunes gens quis’étaient retrouvés pour dîner, nesongeaient plus à l’incident primitif qui avait orientéleur conversation du début de la soirée, d’unepart vers l’alpinisme et ses dangers, et d’autre part,vers les légendes montagnardes populaires dans le Dauphiné.

Lelendemain matin, rien d’anormal ne se passait àGrenoble, et l’instituteur, qui était arrivé dansla cour de l’école pour y retrouver ses élèves,réussissait sans peine à leur apprendre pendant toutela matinée, l’histoire de la fin du règne dePhilippe-le-Bel, sans que le moindre désordre résultâtdes incidents de la veille.

Àdeux ou trois reprises seulement, quelques élèvesavaient jeté les yeux furtivement dans la direction de lafenêtre, par laquelle on apercevait la silhouette pittoresquedu Casque-de-Néron, mais à cette heure de la journée,la montagne était plongée dans l’ombre etsemblait une vraie tache noire se détachant sur le fond trèspur du ciel.

L’instituteurn’avait pas soulevé à nouveau le problème,se réservant d’attendre les événementspour décider s’il devrait ou non lever la punition qu’ilavait donnée pour le dimanche suivant à Michel et aupetit Louis Férot.

Ilavait, avant de venir à l’école, interrogéquelques personnes à propos de la soi-disant apparition, et ilavait recueilli les avis les plus divers.

Certainesgens avaient haussé les épaules, lui demandant s’ilétait fou. Un tonnelier, devant lequel il passait tous lesjours, avait déclaré que la chose étaitimpossible, qu’il connaissait la montagne comme sa poche,qu’aucun géant ne l’avait jamais habitée,et qu’il n’y en aurait jamais !

Cependant,un des contrôleurs des tramways électriques qui vont deGrenoble au pont de Chaix, avait, par contre, assuré de lafaçon la plus affirmative, que la veille, en effet, quelquesinstants avant quatre heures, il avait aperçu quelque chosecomme une forme humaine gigantesque qui se profilait au sommet duCasque-de-Néron…

Laclasse terminée, l’instituteur s’en fut déjeuner,mais lorsqu’il vint retrouver ses élèves, àl’heure où il devait les prendre, c’est-à-direà trois heures de l’après-midi, M. Marcelinconstata que sa classe était en pleine effervescence.