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ChapitreXVII

Lebon locatair

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Cemême jour, dans la matinée, Mme Férot,la mère du petit Louis, qui avait été puni laveille à l’école de Grenoble, s’en allaitau marché de Domène.

Domèneest un village distant de quinze kilomètres environ deGrenoble. Il est coquettement situé au pied de la chaînede Beldone, presque sur les bords de l’Isère, qui couleà cet endroit en flots larges et tranquilles, et longe laroute qui conduit jusqu’à Chambéry.

Domène,comme tous les villages des environs de Grenoble, est un importantmarché de gants, et Mme Férot, quioccupait dans une des maisons de commerce de Grenoble une modestesituation, venait à Domène afin de s’yapprovisionner pour le compte de sa maison.

Lajeune femme, car c’était une femme de trente-cinq ansenviron, avait pris le tramway électrique pour arriverjusqu’au village, et descendait aux premières maisons.Elle ne se rendait pas en effet tout de suite sur la place, oùles ouvrières fabricantes de gants étaient réuniesce jour-là, mais prenant un petit sentier à gauche,dissimulé entre deux haies qui séparaient un champ detabac d’une verdoyante prairie, elle descendit presque jusqu’aubord de l’Isère, et s’arrêta à lagrille en bois d’un jardin aux allures coquettes, au parterrebien entretenu.

Cejardin entourait une maison de confortable apparence, construite enpierre de taille, comportant deux étages et coifféed’un toit rouge en briques ondulées.

C’étaitlà évidemment une propriété d’agrémentqui devait être charmante à habiter, car elle avait dansune région magnifique une vue enchanteresse ; du premierétage en effet, rien qu’en se penchant à lafenêtre, on embrassait d’un coup d’œil lapittoresque vallée de l’Isère au premier plan,tandis qu’en face s’élevaient les premierscontreforts du massif de la Chartreuse, l’horizon étaitlimité à gauche par le sommet du Casque-de-Néron,et à droite par les aiguilles pointues du Grand-Som.

Mme Férotvenait à peine de tirer le cordon correspondant à unecloche placée sur le mur de la maison que de gros aboiementsretentirent.

Unchien de berger, un superbe molosse, surgissait soudainement d’uneniche et se précipitait de l’intérieur du jardinvers la grille, de l’autre côté de laquelle setenait Mme Férot en attendant qu’onvienne lui ouvrir.

Lajeune femme, assurément, était une familière dela maison, car, loin de s’épouvanter de l’apparitionbrusque du gros chien et de son accueil peu hospitalier, elle lecalma du geste et de la voix, sans paraître nullement effrayée.

— Tais-toi,Dick ! tais-toi ! criait-elle.

Etle gros chien s’étant approché de la barrière,flaira la visiteuse par la claire-voie de la grille, puis se mit àremuer la queue tout en cessant d’aboyer.

Mme Férotn’attendait pas longtemps. Une porte de la maison s’étaitouverte dès le premier appel de la sonnette, et quelqu’unapparut sur le seuil qui descendit ensuite les marches du perron,puis s’en vint au-devant de la visiteuse.

C’étaitune femme âgée, d’une silhouette imposante etdistinguée, et dont la chevelure blanche faisait à sonvisage un cadre très doux et très séduisant.

Mme Férot,sitôt qu’elle aperçut la personne qui venaitau-devant d’elle, esquissa un sourire, et salua la vieille damed’un aimable bonjour.

Celle-cirépondait de la même façon, mais il semblaitqu’en dépit de son attention à paraîtreégalement aimable et joyeuse, elle devait avoir un perpétuelsouci dans l’existence, souci auquel elle devait cette granderide qui barrait son front d’un sillon profond comme uneblessure.

Lavieille dame ouvrit la grille et s’effaça pour laisserentrer dans le jardin Mme Férot.

— Quelbon vent vous amène ? interrogea-t-elle.

Etelle semblait assez surprise de recevoir cette visite à uneheure aussi matinale.

Soninterlocutrice, qui s’était inclinée devant elle,rétorqua aussitôt :

— Jeviens vous parler d’une affaire, madame Verdon, d’uneaffaire qui est susceptible de vous intéresser… Vousavez bien cinq minutes à me donner, je suppose ?

— Maiscertainement, fit la vieille dame, donnez-vous donc la peine d’entrerdans la maison.

— Oh !c’est inutile, fit Mme Férot. Je suis unpeu pressée ; c’est aujourd’hui marchéde gants à Domène, et il faut que je fasse des achatspour mes patrons. Seulement, voilà, j’ai profitéde ce que je venais dans votre pays pour vous proposer quelque chose,et cela tombe bien, c’est hier soir qu’on m’a poséla question.

— Dequoi s’agit-il ? fit Mme Verdon.

— Voilà,madame, poursuivit Mme Férot. Vous cherchez,n’est-il pas vrai, des pensionnaires ?

Ilsembla que la vieille dame se rembrunit.

— C’est-à-direque je cherche sans chercher… fit-elle, avec une certaineméfiance. Évidemment, cette maison que je possèdeici est bien grande, et je m’y trouve parfois bien seule. Mais,d’un autre côté, les vieilles personnes comme moiont leurs manies, et ne supportent guère de changer leurshabitudes.

« Oui,je vous l’ai dit et je ne le retire pas, j’aimerais assezlouer mon second étage, mais je voudrais un locataire tout àfait pour moi… une véritable perle… quelqu’unqui ne serait ni gênant ni indiscret, qui sortirait tard etrentrerait de bonne heure, ne ferait pas de bruit, ne recevraitpersonne, et enfin serait tout à fait honorable. Vous savezque je suis peureuse à l’excès ?…

Mme Verdons’interrompait, car depuis quelques instants, soninterlocutrice signifiait par de grands gestes qu’elle voulaitlui dire quelque chose.

— Jevous écoute ! fit Mme Verdon.

— Jesais tout cela, s’écria la mère du petit Louis,et c’est pour cela précisément que je viens vousvoir. Figurez-vous, madame Verdon, que j’ai votre affaireabsolument… Le locataire rêvé, tranquille, pastrop riche pour faire du fla-fla ou exiger trop de choses, etcertainement assez bien renté pour que vous puissiez faire unjoli bénéfice sur la location… Enfin, c’estun homme qui certainement doit être bien agréable, et ildoit être instruit, c’est un savant…

— Vraiment ?fit Mme Verdon d’un air intéressé.Donnez-moi donc quelques détails…

Mme Férotreprit :

— Voilàl’histoire : vous savez que mon mari est inspecteur auPalace-Hôtel de Grenoble, et, naturellement, rapport àsa profession, il voit passer toutes sortes de gens, des Français,des Américains, des Italiens, des Anglais. Grenoble, hivercomme été, est un centre d’excursions et detourisme. Seulement, bien entendu la plupart du temps, les gens quidescendent au Palace-Hôtel sont des gens très riches, etqui ne font que passer. Arrivés le soir par le rapide de luxe,ou alors en automobile, les voilà décampés dèsle lendemain matin, soit qu’ils aillent à Nice, soitqu’ils passent au Piémont par le col du Lautaret, oualors qu’ils remontent vers la Suisse en longeant la valléede l’Isère.

— Eneffet, reconnut Mme Verdon, qui se rendait comptequ’il fallait à toute force écouter le verbiagede Mme Férot jusqu’au bout.

— Maisvoilà-t-il pas, poursuivit celle-ci, qu’hier soir, parle train omnibus arrivant de Lyon, descendait à l’hôteloù travaille mon mari un vieux bonhomme tout cassé.

» Ilavait une allure bien différente de celle des voyageurs quifréquentent habituellement l’hôtel, et lorsqu’onlui annonça qu’il n’y avait pas de chambresau-dessous de douze francs, on crut qu’il allait avoir unesyncope tant il parut stupéfait et ennuyé !

» Néanmoins,comme il était tard, le vieux bonhomme prit la chambre qu’onlui proposait, mais il déclara à mon mari :

» — Dèsdemain, je quitterai cet appartement dans lequel je ne puis rester,n’ayant pas les moyens de payer un loyer semblable.

» Defil en aiguille, il se mit à bavarder avec mon mari et il luiraconta :