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Dupremier coup, Mme Verdon reconnut le personnage quelui avait annoncé Mme Férot, rien qu’àla silhouette très particulière qu’il avait.

C’étaitabsolument le bonhomme Noël avec sa grande barbe blanchedescendant jusqu’à la ceinture et ses cheveux boucléstrès longs et très blancs aussi s’échappantd’une calotte de velours placée sur le sommet du crâne.

Lepersonnage avait le physique que l’on se complaît àaccorder par l’imagination aux gens qui exercent sa profession.

Ilétait drapé dans une sorte de grande houppelande,ressemblant aussi bien à une robe de chambre qu’àun pardessus, et que serrait à la taille une cordelièrecomme en ont les religieux des ordres mendiants.

Lepersonnage était chaussé de gros souliers ferrés,et sur son dos voûté il portait, suspendue par unecourroie, une grande besace de cuir, gonflée de linge et decailloux.

— Monsieurle professeur Marcus ? interrogea Mme Verdon quiréprimait un sourire en voyant l’accoutrement dubonhomme et qui malgré tout n’éprouvait pas unemauvaise impression, car dans le visage de ce vieillard, dont lestraits étaient dissimulés sous une épaissetouffe de poils hirsutes recouvrant presque entièrement laface, brillaient deux yeux étrangement intelligents etspirituels.

Commel’avait dit l’inspecteur du Palace-Hôtel, le maride Mme Férot, cet homme-là ne devaitpas être une bête, loin de là !

Levieillard, cependant, s’inclinait devant son interlocutrice.Et, en faisant ce mouvement, il lâcha son sac, qui s’éventrasur le sol, répandant autour de lui tout un attirail degéologue, comportant des petites pioches en acier, destruelles et des échantillons de pierres aux couleurséclatantes.

Cependantqu’il jetait un coup d’œil attristé sur sonbagage répandu dans le jardin, le vieillard, qui assurémentconnaissait les usages du monde, laissait ces objets dans leurdésordre pour s’approcher de Mme Verdonet se présenter à elle dans les règles.

— Jesuis, en effet, le professeur Marcus, déclara-t-il, Marcus deZurich, dont vous avez peut-être entendu parler. Mes travauxsont d’ailleurs connus de toutes les personnes intelligentes etinstruites qui s’intéressent à la géologie…

Mme Verdonl’interrompit :

— Monsieurle professeur, fit-elle, je ne suis qu’une pauvre femme, unehumble ménagère, et je n’entends rien àvotre science, mais votre nom m’est connu parce que la femme del’inspecteur du Palace-Hôtel, auquel vous vous êtesadressé hier au soir, sort d’ici et m’a faitconnaître votre intention de vous installer chez moi.

Unéclair de satisfaction brûla dans le regard duvieillard, qui, s’inclinant à nouveau jusqu’àterre, interrogea d’un air humble :

— Aurai-jel’honneur d’être agréé par vous,madame ?

Mme Verdon,bien qu’elle fût fort triste à son ordinaire, sepinça les lèvres pour ne point rire.

— Ilferait une demande en mariage, pensa-t-elle, que ce noble vieillardne serait pas plus solennel !

Ets’efforçant de se hausser au ton de son interlocuteur,elle répondit, esquissant une révérence :

— Jeserais très honorée, monsieur le professeur, de vousavoir pour locataire au second étage de ma maison, sitoutefois mes conditions vous conviennent et si vous n’êtespas trop difficile !

Pendantce temps, le professeur avait ramassé les cailloux, les outilset le linge qui s’étaient échappés de sonsac ; ayant remis le tout à l’intérieur dela besace il répliqua d’un ton pénétré :

— Mesconditions seront les vôtres, madame, et je me déclared’avance satisfait de votre installation, car je la trouveraicertainement confortable. J’ai l’habitude, en effet, depasser la moitié de mes nuits à la belle étoileet de gîter dans la montagne à la manière desbergers ou même des chamois.

— Voulez-vous,proposa Mme Verdon, que je vous fasse voir vos futursappartements ?

Dèslors, Mme Verdon guidait son hôte dans lademeure.

— Voici,lui désignait-elle, votre chambre à coucher. Àcôté se trouve le cabinet de toilette.

Levieillard ne regardait point l’ameublement, ne tenait pointcompte de l’odeur de moisi.

Ilavait couru droit à la fenêtre et, après l’avoirouverte, se penchait par-dessus la balustrade du balcon pour regarderau-dehors.

— Quelsuperbe panorama ! dit-il. C’est un pays d’enchantementet de rêve que ce Dauphiné. Je vous félicite,madame, de vous y être installée. Vivez-vous làdepuis longtemps ?

— Dixans, monsieur, et un peu plus encore peut-être, mais comme vousle dites, c’est un pays délicieux, parfois sévèreet mélancolique, toujours beau !

— Ona l’impression, poursuivit le professeur, que ces grandesmontagnes qui se dressent en face de vous sont des êtres quipensent et que les nuages qui se meuvent au-dessus de leurs cimessont des êtres vivants. Souvent, madame, il m’est arrivé,lorsqu’au cours de mes pérégrinations je heurtaisde mon maillet le flanc de quelque roche, d’avoir l’impressiontrès nette que je commettais une sorte de sacrilège, etque je faisais souffrir quelque géant de pierre immobilisésous la forme d’une montagne par la volonté d’unêtre tout-puissant !

Mme Verdonhochait la tête, séduite par le langage et laconversation de son interlocuteur.

Assurément,c’était non seulement un homme instruit ayant de belleset grandes pensées, mais encore un esprit distingué etdélicat.

Iln’avait aucun accent bien qu’il fût de Zurich ;incontestablement, son érudition devait être profonde.

Mme Verdon,cependant, reprenait :

— Voulez-vousque nous passions maintenant dans la salle à manger ?

Maisà ces mots, le professeur Marcus eut un sursaut de surprise.

— Dansla salle à manger ?… fit-il, aurai-je donc unepièce semblable à ma disposition ?…

— Sansdoute, fit Mme Verdon.

Puis,voyant l’air ennuyé du savant, elle interrogea :

— Est-ceque cela vous déplairait par hasard ?

— Mafoi oui, articula nettement le professeur Marcus. Je vous avoue,madame, que le fait d’avoir une salle à mangercomportera nécessité de posséder égalementune cuisine.

— Maiscertainement, fit Mme Verdon.

Etelle se dirigeait vers l’extrémité d’uncouloir dans l’intention de montrer à son futurlocataire que l’indispensable cuisine existait. Celui-cil’arrêta :

— N’enfaites rien, madame, je vous en prie, demanda-t-il ; je suisconvaincu que votre maison est fort bien agencée, mais il mevient encore une idée pénible à l’esprit.L’existence d’une cuisine présuppose la nécessitéd’avoir une cuisinière, et je vous assure que je me voisbien mal discutant avec une personne remplissant cet emploi, le coursactuel, passé ou futur des denrées alimentaires !

— Cependant,fit Mme Verdon, cela est une nécessitéde l’existence !

Etelle pensait à part soi :

— Queldiable d’original que ce vieux savant !

Toutefois,le professeur Marcus avait une façon d’être et dedire les choses qui inspiraient la sympathie.

Ilse rendait compte que son attitude ne déplaisait point àMme Verdon, et dès lors le vieux géologueconsidérant son interlocutrice bien en face, lui suggéra :

— J’imaginais,madame, qu’en venant m’installer chez vous, je pourraisespérer être débarrassé de tous ces petitssoucis de la vie matérielle qui nuisent au calme de moncerveau, qui m’est nécessaire pour poursuivre mestravaux. Oh ! je ne suis pas difficile, et la moindre chose meconvient. Deux œufs sur le plat, une côtelette, voilàmon déjeuner ! Quant au dîner, quelques légumeset un verre d’eau, cela suffit largement à mes besoins !

— Jevous vois venir ! fit en souriant Mme Verdon.Vous voudriez que je m’occupe de vos repas !

— Vousseriez, rétorqua le professeur, la plus aimable des femmes, sivous acceptiez !

— MonDieu ! fit Mme Verdon après un silence,je n’y vois guère d’inconvénient ; mafemme de ménage est fort capable de préparer nos repasà tous deux, et si cela vous rend service, j’en seraisfort heureuse…