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Leprofesseur, qui avait suivi tous les détails de cette petiteaventure, ne voulait rien voir de l’attitude de Michel.

C’étaitun maître au bon cœur, qui n’aimait point lesaventures ennuyeuses et qui répugnait aux punitions. Ilpréférait ignorer les facéties de ses élèvesplutôt que de sans cesse les réprimander.

Ilne disait rien à Michel, et continuait à raconter lesaventures de Philippe le Bel.

L’enfant,toutefois, au lieu de redescendre prendre sa place au milieu de sescamarades, demeurait quelques instants absolument abasourdi,regardant à travers la fenêtre, les yeux fixéssur l’horizon.

C’étaitl’heure à laquelle le soleil, contournant les montagnes,allait disparaître vers l’ouest et frappait de sesrayons, désormais presque horizontaux, le sommet du massif deBeldone, et plus particulièrement la cime neigeuse et glacéedu Casque-de-Néron.

Leprofesseur semblait avoir oublié que Michel étaitjuché, silencieux et attentif, sur le rebord de la fenêtre,et il continuait son cours sans se rendre compte que l’enfantparaissait prodigieusement intéressé et stupéfaitpar ce qu’il voyait.

Michelenfin descendit, mais, dès lors, son visage était toutbouleversé, et, à peine s’était-il remis àsa place, qu’il se penchait vers son voisin :

— Regarde,lui dit-il tout bas, regarde par la fenêtre ce qui se passe surle Casque-de-Néron.

Levoisin de Michel, un petit blondinet timide, qui s’appelaitLouis Férot, n’osait d’abord pas lever les yeuxpar peur d’une réprimande, mais Michel continuait àlui parler, et sans doute lui disait des choses si extraordinairesque l’enfant, ne pouvant résister à la curiosité,tourna la tête et regarda, comme l’avait dit soncompagnon, le sommet de la montagne.

Dèslors le petit Louis Férot, jusqu’alors si attentif,parut oublier complètement Philippe le Bel pour ne plus songerqu’à ce qu’il voyait.

Unvoisin le tirait par la manche.

— Àquoi penses-tu ? murmurait-il, es-tu donc dans la lune ?

Et,à mi-voix, sans souci de se faire remarquer, Louis Férotrétorquait :

— Regarde…regarde… là-haut ! vers le Casque-de-Néron !…

Aubout de quelques secondes la moitié de la classe avait lesyeux braqués dans la direction de la montagne, si bien quel’instituteur s’en aperçut et s’arrêtanet de parler.

Ausurplus, l’heure de la fin de la classe était proche.

Néanmoins,comme on devait encore quatre ou cinq minutes au travail, le maître,sévèrement, frappa de sa règle de bois sur sonbureau pour ramener à lui l’attention des élèves.

— Ehbien ! eh bien ! fit-il, qu’est-ce que c’estque ces dissipations ? Voulez-vous être attentifs !…

Puis,avec une nuance de reproche, s’adressant particulièrementà Louis Férot, il articula :

— Comment !c’est vous, Louis, qui dissipez vos camarades !

LouisFérot était un bon élève ; il rougitjusqu’aux oreilles, vexé par le reproche et redoutantune punition.

Toutefois,incapable de dissimuler, et pour justifier aussi son attitude, ilrépliqua en baissant les yeux :

— J’airegardé par la fenêtre parce que Michel me l’adit, monsieur ; ça n’est pas ordinaire ce que l’onvoit !

Lemaître interrogea :

— Quevoulez-vous dire ? Qu’avez-vous vu par la fenêtre ?

Àla question du professeur, les élèves comprenaient quecelui-ci était vaincu et que, désormais, jusqu’àce que la cloche libératrice sonne, il ne serait plus questionde Philippe le Bel.

Et,devinant qu’ils avaient la permission implicite de s’agiterdésormais et de bavarder, tous répondirent à lafois, bavardèrent en tumulte :

— C’estdans le Casque-de-Néron, avec le soleil sur la montagne…

— Ilparaît qu’il a vu tout à l’heure sa figure,moi je n’ai rien vu du tout…

— Parceque tu as regardé trop tard !…

— Micheldit toujours des blagues ! poursuivait un autre des élèvesen haussant les épaules.

Maistrois ou quatre de ses camarades protestaient :

— LouisFérot ne ment pas, et Louis Férot l’a vu…

Puis,c’était à nouveau une ruée en masse versla fenêtre et l’instituteur, ne comprenant rien àce qui se passait, s’en fut derrière eux pour regarder àson tour ce que l’on pouvait voir.

Ilaperçut comme ses élèves, à travers lesvitres, le magnifique panorama qui se déroulait.

Lesoleil s’était encore enfoncé au ras de l’horizonlointain et depuis quelques minutes ses rayons cessaient d’éclairerle sommet du Casque-de-Néron.

Lemaître eut beau regarder longtemps, rien d’anormal ne luiapparaissait au faite de la montagne. Celle-ci était, comme àson ordinaire, couverte de neige, ses pics abrupts se hérissaientde glaces miroitantes qui se détachaient en blanc sur un beauciel de printemps uniformément bleu.

— Ahça, voyons, mes enfants ! fit-il en grossissant sa voix.Je ne sais pas ce que vous avez aujourd’hui, vous êtesd’un dissipé ! Demain, il s’agira de se tenirplus tranquille…

Puis,attirant à lui le petit Louis Férot, l’instituteurl’interrogea :

— Qu’avez-vousdonc vu ? Que s’est-il passé ?

L’enfantétait tout pâle, l’instituteur le remarqua. Ausurplus, le petit Louis répondit :

— Ona vu quelque chose d’extraordinaire, monsieur ; il y avaitun bonhomme dans la montagne !

— Unbonhomme ? fit le maître qui ne comprenait pas.

Michelvenait à la rescousse de son camarade :

— Oui,m’sieu. C’est moi qui l’ai vu le premier, c’estun grand bonhomme… il était couché sur la neige…il était presque aussi grand qu’une statue…

Lemaître, de plus en plus sceptique, s’apprêtait àfaire des reproches à Michel.

Ilconnaissait le gamin pour être quelque peu hâbleur. Ill’admonestait fréquemment à ce sujet, mais ilrecommençait chaque fois que l’occasion se présentait.

— Michel,quand donc perdrez-vous l’habitude d’inventer deshistoires fausses pour dissiper la classe ? La prochaine foisque cela vous arrivera, je vous punirai sévèrement. Enattendant…

Ilallait proférer une punition, mais le petit Louis Férots’approcha de lui, et, le tirant par la manche, annonçatimidement, rougissant encore jusqu’aux oreilles :

— Micheln’a pas menti, m’sieu. Moi aussi j’ai vu le géantsur le Casque-de-Néron… Il était aussi haut quela maison d’école, et il avait des bras à n’enplus finir…

Unerumeur de surprise gronda dans l’assistance et les petitsélèves de la classe, après un instant desilence, délièrent leurs langues et commencèrentà se disputer sur le cas extraordinaire que signalaient lesdeux enfants.

— Moi,j’ai rien vu, proféra un gros gamin aux jouesboursouflées, qui s’appelait Dominique.

C’étaitun enfant de la montagne, précisément duCasque-de-Néron, où ses parents, pendant longtemps,avaient été employés dans une scierie mécanique.

Unautre, cependant, protestait :

— Moi,j’ai pas vu sa tête, mais j’ai vu ses pieds. Mêmequ’il n’avait qu’un soulier !…

Cettedéclaration déterminait des éclats de rire danstoute la classe.

C’étaitvraiment comique, cette idée d’un géant aperçudans la montagne et qui n’avait qu’un soulier !…

Lemaître fronça les sourcils, ordonna le silence.

Puisil questionna en fixant dans les yeux le petit Louis Férot etMichel. L’heure de la fin de la classe avait déjàsonné, mais aucun des enfants ne songeait à quitter lasalle, car désormais on s’y amusait.

Ilse passait quelque chose d’extraordinaire et chacun voulaitsavoir comment l’aventure se terminerait.

Ilsemblait que deux camps s’étaient formés et que,si certains des enfants n’avaient absolument rien vu d’anormalpar la fenêtre donnant sur le Casque-de-Néron, d’autresavaient été frappés par une vision inattendue etcertainement avaient aperçu quelque chose qu’on nevoyait point d’ordinaire.

Bienentendu, depuis de longues minutes déjà, l’instituteur,dont la curiosité était malgré lui surexcitée,regardait par la fenêtre et scrutait de son regard le sommet duCasque-de-Néron.

Maisc’était en vain qu’il observait les neiges et lesglaces, elles ne révélaient rien d’anormal, etplus il y réfléchissait, plus l’instituteuracquérait la conviction que les enfants s’étaientmoqués de lui en inventant l’histoire du géant.