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Fandorrestait ainsi avec Bouzille près d’une heure dansl’humble logis, lorsqu’enfin la garde-barrièrefaisait son apparition et, naturellement, s’effarait.

Labrave femme, d’ailleurs, tout en s’empressant de semettre à la disposition du journaliste, lui donnait la clef del’énigme que constituait la fermeture du passage àniveau.

— Ça,c’est plutôt fort, déclarait-elle, entremêlant,en bonne Belge qu’elle était, ses paroles d’expressionsdes plus pittoresques. Ça vous met vraiment le parapluie detravers ! Pour une fois, savez-vous, la barrière n’auraitpas dû être close, et sûrement c’estquelqu’un qui l’a bouclée !

Quelqu’unavait fermé le passage à niveau…

Immédiatement,Bouzille devinait la véritable explication en ajoutant :

— Tiens,parbleu, je comprends, alors ; justement on devait prendreŒil-de-Bœuf sur la route. Sûrement, c’estŒil-de-Bœuf qui a fermé le passage. Il a vu venirle tram, a vu venir l’automobile, il a deviné que vousétiez au volant et que Fantômas était poursuivi,crac, il a tiré les barrières… Eh ! mais,c’est pas bête du tout !

Bouzilleétait évidemment sans rancune, car il apparaissait toutprêt à admirer la prouesse d’Œil-de-Bœufdont le plus clair résultat, pourtant, était qu’ilvenait lui-même de frôler la mort de bien près.

Fandor,à vrai dire, se montrait moins généreux que lui.

— Ah !ronchonnait le journaliste, c’est Œil-de-Bœuf qui afermé le passage à niveau, eh bien ! il aura demes nouvelles au jour de l’an, celui-là ! Que lediable l’emporte !…

Lagarde-barrière, cependant, ne restait pas inactive. Elledéchirait la bottine de Fandor, le délivrait de sachaussette, lui trempait de force le pied dans l’eau froide.

— Riende tel, voyez-vous, pour les enflures !

Etla brave femme citait à l’appui de ses dires toute unesérie d’histoires de vaches dans lesquelles elle mêlaitau petit bonheur la médecine vétérinaire auxnotions chirurgicales.

Femmede tête, d’ailleurs, l’excellente garde-barrièrese multipliait. Elle pensait à tout, préparait unsavoureux repas, téléphonait au pharmacien de la villepour qu’il envoyât une potion calmante, et, de force,persuadait Fandor qu’elle avait une chambre de vide, qu’ilne la gênerait en rien, qu’on devait s’entr’aideret qu’il fallait qu’il soit assez raisonnable pour resterquelques jours chez elle.

Or,Fandor, plus pressé que jamais de se jeter à lapoursuite de Fantômas, de rejoindre Juve au moins, auraitcertainement refusé de suivre ses excellents avis, si Bouzillen’avait accepté à sa place et surtout, si lafièvre ne l’avait pris au point qu’il n’étaitplus bien capable de comprendre exactement ce qui se passait et cequ’on lui disait.

Assissur un grand fauteuil d’osier, la jambe étendue sur untabouret de bois, souffrant le martyre, Fandor passait de longuesheures ce jour-là, sommeillant, accablé, et ne sachanttrop où il en était.

Versles cinq heures du soir cependant, le jeune homme commençaitun peu à se remettre. Précisément un individuarrivait en bicyclette, se présentait comme étant legarçon pharmacien, et avec des airs doctoraux, disposait enrangs de bataille, sur une table, une multitude de fioles.

— Voilà,voilà, déclarait-il, le patron m’a bienrecommandé de vous avertir qu’y fallait avaler tout ça.Le moyen de s’en servir, c’est écrit dessus.D’ailleurs, c’est simple, c’est des potions àboire…

Bouzilledéjà débouchait les flacons, et reniflait avecdes grimaces de déception leur parfum pharmaceutique.

— C’estdu doux, déclarait-il, c’est du doux, y a rien deregipant là-dedans !…

L’excellentBouzille eût évidemment préféré unemédication un peu plus alcoolique.

Iln’y avait pourtant pas à discuter, et force étaitbien à Fandor d’accepter que la garde-barrièrelui préparât immédiatement une premièrepotion. Bouzille, d’ailleurs, enchanté du rôlequ’il jouait, appuyait, lui aussi, la proposition :

— Biensûr, faisait-il, faut s’soigner, m’sieur Fandor…Tenez, justement, moi aussi, j’ai un peu la fièvre, etbeaucoup d’appétit, mais ça ne fait rien, j’m’envais aussi en prendre, de vot’potion, rapport àc’qu’elle est sucrée et qu’ça vousdonnera du courage !…

Bouzilleaurait immédiatement bu toute la bouteille par dévouementsi, très fier de son rôle, il n’avait tenu àmultiplier les marques de déférence à l’endroitdu garçon pharmacien.

Bouzillefaisait des grâces comiques :

— Nevous donnez donc pas la peine, faisait-il. Passez le premier, tenez,j’vas vous conduire à votre bicyclette !

Bouzillequittait Fandor, sortait, restait cinq minutes absent, et Fandorallait justement boire sa potion lorsque le chemineau faisaitirruption dans la salle, levant les bras, hurlant, sur un ton dedésespoir :

— Arrêtez,m’sieur Fandor, arrêtez !…

L’attitudede Bouzille était si extraordinaire que Fandor, en effet,suspendit son geste.

— Qu’est-cequi te prend, Bouzille ? demanda-t-il.

Bouzille,qui était très pâle, expliqua tout d’unehaleine :

— Cequi m’prend, faisait-il, ah bien, c’est pas ordinaire !Y m’prend que sans moi vous alliez passer de la réservedans la territoriale… Autrement dit, que vous descendiez ausous-sol, que vous claquiez, quoi, ni plus ni moins !…Ah ! cochonnerie de bon sort… quand je pense qu’aprèstout, moi aussi, j’allais trinquer avec vous…

Etcomme, devant l’énervement de Bouzille, Fandor,impatienté, allait boire, le chemineau se précipitaiten avant :

— Maislâchez donc vot’verre, faisait-il, c’est de lapoison !

Larévélation était pour le moins inattendue,Jérôme Fandor sursauta :

— Dupoison ! disait-il, tu es fou ?

Maiscette supposition mettait Bouzille hors de lui :

— C’estcela, ripostait-il, prenant un air tragique et offensé. C’estcela… insultez-moi maintenant… Mettez-moi plus bas quetout ! Ah ! la voilà bien la reconnaissance :je vous empêche de trépasser, et vous déclarezque je suis saoul ! Traitez-moi d’ivrogne, pendant quevous y êtes !…

Bouzillese formalisait, se vexait ; il fallait assurément aviser,sous peine de ne point obtenir de renseignement. Fandor posa sonverre et questionna :

— Voyons,mon bon vieux Bouzille, dites-moi plutôt ce qui arrive.Qu’est-ce que tu as après cette potion ?

Bouzille,déjà se rassérénait. Il montrait labouteille du doigt, il ripostait :

— Ceque j’ai, m’sieur Fandor, eh bien, c’est que cejus-là, paraît que c’est Fantômas qui vousl’envoie, et c’est de la poison… Tenez, vous avezcru que c’était le garçon pharmacien qu’étaitlà, moi aussi… Ah bien zut, alors ! c’est uncopain à Fantômas, un poteau que j’n’avaismême pas reconnu, tant il était grimé, c’estGueule-de-Bois, et Gueule-de-Bois m’a dit comme ça :

— Bouzille,bois donc pas dans l’verre à Fandor, rapport àc’que c’est Fantômas qu’a fabriqué lesdrogues, et qu’il paraît que l’pante va trèsproprement en claquer.

Bouzilleajoutait :

— Toutde même, après ça, j’suppose que vous m’laferez avoir, ma médaille de sauveteur, puisque j’ai paspu avoir celle de sauvé lorsque je trafiquais à lapêche miraculeuse ?

Bouzilleallait parler encore, lorsque, brusquement, d’un geste, Fandorlui imposait silence :

— Tais-toi !écoute. Ah ! nom de Dieu !…

Fandorjurait, se levant d’un brusque mouvement, ne sentant mêmepoint la douleur que lui causait sa cheville enflée, setraînant jusqu’à la fenêtre.

D’unrapide coup d’œil, Fandor regardait, de l’autrecôté de la voie du chemin de fer, la route poussiéreuseoù devait se trouver l’automobile renversée.

Maisquel était donc le nouvel incident qui tirait ainsi Fandor deson apathie et le bouleversait ?

Lejournaliste, tout bonnement, en causant avec Bouzille, en apprenantqu’il venait d’échapper à une tentatived’empoisonnement imaginée par Fantômas, venait desurprendre le ronflement caractéristique d’un moteurd’automobile.

Or,à peine arrivé à la fenêtre, JérômeFandor comprenait ce qui se passait :

Ilvoyait des hommes vêtus en chauffeurs, des touristes, s’effarerautour de la voiture culbutée qu’ils avaient remise surses roues. L’un d’eux avait donné un coup demanivelle, le moteur tournait ; la voiture, par extraordinaire,n’était point trop abîmée, déjàils prenaient place, déjà les inconnus se préparaientà partir…