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Àcet instant, Bouzille et Bec-de-Gaz redoublaient de hurlements,criant comme de pauvres bêtes qu’on égorge.

Fandor,lui, très pâle, sans mot dire, le bras toujours tendu,fixait dans les yeux Fantômas.

Àl’instant où il vit que le bandit allait tirer, JérômeFandor donna un violent coup de volant. La voiture fit une embardée,Fantômas avait perdu une balle !

— Encorequatre coups à tirer ! se dit Jérôme Fandor.

Uncoup de frein lui permit d’éviter une nouvelle balle.

Mais,à cet instant, Fantômas semblait éclater de rire,tirait trois coups en l’air, puis lâchait son revolver.

EtJérôme Fandor n’avait point le temps de sedemander quel était le motif de cette nouvelle attitude,qu’une effroyable catastrophe survenait.

Lejournaliste se sentait arraché de son siège, projetéen l’air ; il retombait lourdement sur le sol, cependantqu’un fracas formidable retentissait !…

Occupépar la lutte, Jérôme Fandor n’avait point vu qu’unpassage à niveau fermé barrait le chemin ; ilvenait jeter sa voiture dans cet obstacle, l’automobile faisaitpanache, et Jérôme Fandor, mort peut-être, gisaitparmi ses débris.

Aulointain, le car électrique continuait à s’enfuir…

ChapitreIX

Obstination tragique !

— Voyez-vous,mon bon monsieur, l’immobilité, il n’y a rien detel… l’eau froide aussi, ça fait du bien. Tenez,je me rappelle, il y a deux ans, quand mon homme courait aprèsla Rouge, la Rouge, sauf vot’respect, c’est not’vache,et qu’il dégringola dans le fossé qui borde lechamp au père Mathieu, eh bien, c’est tout juste ce quelui avait ordonné le médecin. Bougez pas, qu’illui disait, restez tranquille, tâchez de ne pas vous faire dessangs, et de temps à autre, mettez-vous le pied dans l’eaufroide… Dame, ça été une affaire dequinze jours, mais enfin…

— Quinzejours !…

Leblessé auquel s’adressait ces paroles avait sursautésur son siège, répétant : quinze jours !sur une intonation effarée qui eût suffi àprouver à elle seule qu’il lui semblait totalementimpossible de consacrer quinze jours à se soigner.

Maisquel était donc ce blessé ?

C’étaittout bonnement Jérôme Fandor. Une fois encore, en effet,le journaliste avait, par une chance inespérée, évitéle sort qui, logiquement, eût dû être le sien. Àl’instant où la voiture faisait panache, elle roulaitencore à une allure d’au moins quatre-vingts kilomètresà l’heure, et sa culbute avait été siviolente, si soudaine et si imprévue, qu’on n’eûtpas trouvé étonnant que Fandor eût étéécrasé sous ses débris, ou du moins eûtété gravement blessé.

Or,il n’en était rien. C’était mêmeprécisément l’excès du danger qui avaitsauvé Fandor d’une aventure cependant en tout pointredoutable.

Lavoiture roulait si vite, en effet, que le journaliste avait étélittéralement projeté au loin. Il s’étaitmeurtri les côtes en heurtant le volant ; mais, et celaétait de beaucoup préférable, il n’étaitpoint resté sous le véhicule à l’instantoù celui-ci s’écrasait sur la route.

Bec-de-Gazet Bouzille d’ailleurs avaient bénéficiéd’une chance semblable : ils avaient été,eux aussi, lancés en avant. Bec-de-Gaz étaitmoelleusement tombé dans une mare infecte, d’oùil s’était immédiatement relevé, et celaavec une précipitation d’autant plus grande qu’ilprenait la fuite à la seconde. Pour Bouzille, le choc l’avaitenvoyé la tête la première dans un énormetas de fumier d’où il était ressorti fort sale,mais indemne, à part une balafre qui le défigurait unpeu.

Fandorétait en réalité le plus gravement atteint destrois voyageurs de l’automobile. Le jeune homme s’étaitfoulé le pied, il en était immédiatement résultéune violente enflure et la fièvre occasionnée par ladouleur lui faisait claquer les dents moins de vingt minutes après.

Bouzilleavait alors donné des preuves de son ingéniositéet de sa tranquille candeur d’esprit.

Sortide son tas de fumier, encore un peu stupéfait et étourdide leur aventure, Bouzille, loin de s’enfuir comme Bec-de-Gaz,s’était précipité au secours de JérômeFandor qui gisait à cet instant sur le sol de la route, àune dizaine de mètres de l’automobile renversée.

— Alorsquoi ? demandait Bouzille. C’est fini, la promenade ?On ne continue pas ?… Sauf vot’respect, m’sieurFandor, vous avez tout de même une drôle de façond’arrêter !… Moi, dans le temps, quand jefaisais de l’automobile, quand j’avais mon train spécial…

QuandBouzille évoquait des souvenirs, c’étaitévidemment terrible, car l’ancien chemineau, bavardcomme pas un, ne tarissait plus d’anecdotes.

Lacrainte de ce bavardage fut sans doute le stimulant qui réveillaFandor. Le jeune homme, en effet, qui, jusque-là, n’avaitpoint bougé, aux trois quarts évanoui, s’asseyaitsur son séant.

— Zut,Bouzille, déclarait Fandor. Vous avez tort de vous plaindre.On arrête comme on peut, l’essentiel est d’arrêter.D’ailleurs, mon bon, tous les gens compétents affirmentqu’il ne faut jamais freiner. Un coup de frein, c’est lamort des pneus. Vous voyez que j’ai été logique,économe et prudent, en arrêtant d’autre façon ?…

Touten plaisantant, car Fandor plaisantait toujours, même auxheures les plus graves, le journaliste essayait de se lever.

Parmalheur, à cet instant, il devait s’apercevoir de sonentorse et comprendre qu’il lui était impossible demarcher plus d’une dizaine de mètres.

— Bigre,je suis frais… pensa Fandor.

Bouzille,de son côté, grognait :

— Àcette heure, remarquait le chemineau, va falloir que je me fassebrancardier et infirmier pour vous guider, monsieur Fandor. C’estbien le quatre-vingt-dix-neuvième métier quej’essaierai. Mais, ma foi, je ne désespère pastoutefois de faire fortune !

Bouzilleaidait Fandor à se mettre debout, il grommelait encore :

— D’ailleurs,c’est rudement dommage que j’sois pas une artiste àl’Opéra. Rapport à ce que j’suis égratignéet que ma beauté en souffrira, je vous attaquerais devant lapolice !

Bouzillepouvait bien grommeler, Fandor ne l’écoutait déjàplus.

Remisde la secousse brusque qu’il avait éprouvée lorsde l’accident, Jérôme Fandor, en effet, étaitdéjà repris par les graves préoccupations qui,quelques instants avant encore, lui faisaient de sang-froid affronterla plus dangereuse des luttes.

Fandorétait furieux.

— Avectout cela, pensait-il, j’ai laissé Fantômass’enfuir, et il y a désormais bien des chances pour queje ne puisse jamais le rattraper !

Appuyésur l’épaule de Bouzille, Fandor essayait en effet defaire quelques pas, mais le moindre mouvement lui causait uneintolérable douleur ; et, malgré son énergiquevaillance, il devait se rendre compte qu’il allait lui falloirà toute force prendre du repos, se soigner, attendre.

Précisément,Bouzille demandait :

— Etalors, m’sieur Fandor, qu’est-ce qu’on fait ?Vous n’avez pas l’intention de continuer àcloche-pied… C’est-il qu’on va demanderl’hospitalité à la ferme qu’il y a là-bas ?

Bouzilleexagérait un peu en parlant de ferme, car on apercevait toutjuste, à quelque distance du passage à niveau fermé,une petite maisonnette des plus modestes, qui devait êtreévidemment l’habitation du garde-barrière. Despoules couraient dans la cour, un chien dormait sur le seuil, un peude fumée bleuâtre empanachait le haut des cheminées,mais nul habitant ne se montrait.

JérômeFandor, d’un coup d’œil, embrassa l’aspectrustique et paisible de cette maisonnette tranquille, puis accepta :

— Soit,allons là-bas. Tout de même, je me demande comment il sefait que le garde-barrière ne soit pas accouru au bruit del’accident ?

S’appuyanttoujours sur Bouzille qui déclarait en aparté qu’àeux deux ils devaient faire un tableau charmant, Fandor se dirigeaitvers la maisonnette et bientôt avait le mot de l’énigmeen s’apercevant qu’à part un enfant de trois ansqui jouait dans une cour, elle était entièrement vide.