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Cen’était pas en effet le moment de s’attarder engrands discours.

Certes,Jérôme Fandor se rendait bien compte qu’il venaitd’emprunter d’une façon un peu brusque uneautomobile qui ne lui appartenait pas, mais il n’en avait guèresouci. Il agissait évidemment dans l’intérêtpublic, et c’était sans doute le cas ou jamais de penserque la fin justifiait les moyens.

Parmalheur, si Jérôme Fandor ne pensait point renseignerautrement ses compagnons de route involontaires, ceux-ci nel’entendaient pas ainsi. À peine Fandor avait-il dit, eneffet, qu’il chassait Fantômas, que, faisant preuve d’unepusillanimité invraisemblable, ceux-ci se mettaient àhurler comme de véritables déments.

JérômeFandor, dans le vent de la course, n’y prêta pas grandeattention.

Ilétait sorti de la ville d’Anvers. Sa voiture, lancéeà plus de quatre-vingts kilomètres à l’heure,sautait sur une chaussée pavée, enduite d’uneboue gluante, et dérapait formidablement ; il avait bienassez à faire à s’occuper à piloter sonengin s’il ne voulait point provoquer un accident.

— Trèspeu d’entrer dans le décor !… se disaitFandor. Très peu pour moi, d’abîmer ma joliefigure !…

Maiss’il prononçait des paroles ainsi prudentes, ce n’étaitévidemment là que des paroles, car il accéléraittoujours de plus en plus la vitesse, et la course devenaitvertigineuse.

JérômeFandor estimait que les propriétaires de la voiture allaientle laisser en paix. Il se trompait évidemment, car iléprouvait brusquement une extraordinaire surprise.

L’undes deux hommes qui hurlaient dans son dos se taisait en effetsubitement, lui posait la main sur l’épaule, ets’écriait à son oreille, sur un ton d’indicibleétonnement :

— Ahbien, par exemple, ça c’est encore plus rigolo qu’unmariage de hannetons !… Comment, c’est vous,monsieur Fandor ?

Lavoix était familière, l’intonation étaitsympathique, Jérôme Fandor tourna la tête :

— Bouzille !…cria le journaliste.

Etc’était bien, en effet, l’inénarrableBouzille qui, maintenant, s’entretenait avec Fandor !

Bouzille,en effet, était loin de demeurer silencieux. Bouzille, ayantreconnu Fandor, se répandait tout au contraire en lamentationscontinuelles, faites sur un ton suraigu.

— Bouzillesoi-même, déclarait-il. Et mon copain, c’estBec-de-Gaz. Mais, monsieur Fandor, sûrement que vous allez nouscasser la figure… Pas si vite, nom de d’là !…Comme ça, qu’est-ce qui vous prend d’avoir chopécette guingue que nous avions en garde ?

Fandorne répondait pas, n’avait pas envie de répondre,car sa voiture valsait littéralement sur la route, et lesrisques de culbute se précisaient à chaque instant.

Bouzille,dans son dos, reprit :

— Sic’est pas malheureux, tout d’même. Bec et moi, onétait bien tranquilles, occupés à faire lesrentiers, à se dormir dans la voiture, on attendait Fantômas,quoi… et puis voilà que c’est vous quirappliquez… Ah ! non, très peu !…

Bouzilleinterrompait son récit pour supplier, blême d’effroi :

— Passi vite, m’sieur Fandor. Un coup de frein, nom de Dieu…Sûrement qu’on va faire peur aux oiseaux !

Bouzillepouvait avoir peur, car en réalité l’allure de lavoiture, engagée maintenant sur une grande descente, avaitquelque chose d’insensé.

Bouzillepouvait avoir peur, mais Fandor pouvait être content. Aulointain, en effet, on commençait à apercevoir, lorsquela route était droite, une tache blanche qui disparaissaitrapidement, et qui n’était autre que la carrosserie dutrain électrique à bord duquel Fantômas avaitpris place.

Fandor,à cette vue, naturellement, loin de ralentir, accéléraitencore. Il avait ouvert les gaz en grand, donné toutel’avance ; alors que le véhicule marchait àune vitesse folle, Fandor se désespérait qu’ilfut si lent, car sa pensée allait plus vite encore.

Bouzille,pourtant, s’affolait derrière lui :

— MonsieurFandor, c’est pas moelleux les pavés ni les arbres…sûrement qu’on finira en pâté de foie, si çacontinue… Doucement, que j’vous dis ! On a toute lavie pour arriver ! Et d’abord, bien sûr que siMme Hélène était là, saufvot’respect, elle vous engueulerait comme du poisson pourri,pour vous empêcher d’aller si vite !

Bouzilleinvoquait Hélène pour calmer les ardeurs de Fandor,mais il choisissait mal son moyen. Plus qu’aucune autre eneffet, la pensée d’Hélène devaitsurexciter Fandor. Et, brusquement, le journaliste voulut imposersilence à Bouzille :

— Tais-toi,lui dit-il. Si tu n’es pas content, descends…

Bouzille,du coup, roula des yeux effarés.

Descendred’un véhicule marchant à cent kilomètres àl’heure, c’était évidemment risqué.Bouzille le comprit, et se tut.

Or,Fandor, tout en conduisant sa voiture, ne perdait point de vue le butde sa poursuite.

Ilcomprenait maintenant merveilleusement pourquoi Fantômas avaitvoulu se faire reconnaître tout d’abord, et sortir de lagare ensuite.

Fantômasavait certainement désiré le séparer de Juve,c’était pourquoi Fantômas l’avait abordédans la gare. Il avait, en outre, pensé rejoindre sa voiturequi l’attendait au rendez-vous fixé, dans la gared’Anvers, où sans doute, il escomptait laisser Fandor enarrière bien empêché de le rejoindre, et toutaussi empêché de rattraper Juve parti avec le train.

Fantômas,toutefois, s’était trompé ; les événementstournaient au mieux, le car électrique perdait d’instanten instant du terrain, bientôt Fandor l’aurait rejoint.

— Nomde Dieu, je le rattraperai ! jura tout haut Fandor.

Bouzille,qui s’était rejeté en arrière, qui seheurtait à Bec-de-Gaz aplati sur le plancher de la voiture etclaquant des dents de frayeur, Bouzille riposta :

— Sûrement,ça va mal finir !

Laroute, à cette minute, descendait brusquement. Elle semblaitplonger dans une vallée profonde et s’étendaitdroite, à perte de vue.

— Bravo !dit Fandor.

Unevie nouvelle semblait s’emparer du mécanisme de lavoiture. La vitesse augmentait encore, les organes ronflaient, lespièces métalliques tintaient follement.

Iln’était plus question de parler ; l’allureétait telle que l’air étouffait, et qu’ilfallait baisser la tête pour pouvoir respirer un peu.

— Vite,plus vite ! râla Fandor.

Letram était à cent mètres, mais la voiture legagnait facilement.

Cinquantemètres les séparèrent, puis trente, puis vingt…puis dix…

DéjàJérôme Fandor entendait les hurlements d’effroides malheureux voyageurs qui, terrifiés par cette course àla mort, se demandaient évidemment, eux aussi, comment ceteffroyable événement allait se terminer.

Àcet instant, toutefois, il fallait jouer le tout pour le tout. JérômeFandor s’en rendit nettement compte. Suivre le tram électrique,et attendre que Fantômas en descendît tranquillement,c’était enfantin ; essayer, d’autre part, demonter la voiture sur la voie et de faire dérailler le tram,c’était risquer un abominable accident dont Fantômasn’aurait pas été la seule victime.

Quefaire alors ?

JérômeFandor, d’une main, se cramponna à son volant.

Sila voiture versait, tant pis ! S’il se tuait, tant pisencore ! Ce qu’il fallait, c’était obligerFantômas à se rendre, à se livrer lui-même !

EtJérôme Fandor, de sa main libre, prit son revolver, etle braqua sur le misérable.

Fantômas,de son côté, tendait son arme aussi. Les deux voitures,automobile et tramway, roulaient toujours à une allure folle,ne se dépassant ni l’une ni l’autre, roulant dansun bruit de tonnerre.

Fantômasajusta Fandor.

Certes,à cet instant, le journaliste fut tenté, lui aussi, defaire feu.

Maisà l’instant où il allait presser la détente,Jérôme Fandor songea :

— Avecles cahots de la route, je vais le manquer. Or, il me reste cinqcoups à tirer. Dans cinq coups je serai donc désarmé !

Etse maîtrisant, Jérôme Fandor ne tira pas.

Fantômas,de son côté, ne songeait pas évidemment au risqued’être désarmé. Moins secoué sur sontramway que ne l’était Jérôme Fandor, libred’abandonner son mécanisme, puisque les rails sechargeaient de diriger la voiture, il ajustait longuement Fandor…