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La portière en claquant donna la juste mesure de son ressentiment… et de sa pudeur : le policier ne vit pas qu’il avait les larmes aux yeux…

Vidal-Pellicorne était encore mal remis de son émotion quand, dans le hall de l’hôtel il aperçut la moitié inférieure de Michel Berthier – reconnaissable à ses « knickerbockers » en tweed gris et à ses chaussettes écossaises – surmontée d’un journal – L’Excelsior !– largement déployé. Aussi louvoya-t-il dans l’espoir de gagner les ascenseurs sans se faire remarquer. Peine perdue : le journaliste avait pratiqué un petit trou dans le papier afin d’observer à loisir le tambour vitré de la porte. Il laissa choir son quotidien et, en trois sauts, rejoignit Adalbert :

— Vous avez du nouveau ?

— Non !… Si ! Le commissaire principal Langlois est à l’hôpital de Saint-Cloud avec le bassin fracturé !

— M… ! fit sobrement Berthier. Qu’est-ce qu’il faisait dans le coin ? Il n’aurait pas eu l’intention de calmer le grotesque entêtement de son confrère de voir un coupable dans Morosini ?

— Tout juste ! Avouez que ce n’est pas de chance !

— En effet, mais on va peut-être le ramener à la raison ? On n’a pas idée de confondre Morosini avec Arsène Lupin ! D’autant que celui-ci n’aurait jamais pris la fuite avec la rançon de cette malheureuse ! Qu’est-ce que vous diriez de quelques lignes bien senties à la « Une » ?

Adalbert eut un geste découragé :

— Pourquoi pas ? Au point où l’on en est !… J’espère seulement que ça ne lui servira pas d’oraison funèbre !

— Ben, dites donc ! Vous êtes optimiste, vous !

— Pas très, non ! Étant donné que le ravisseur joue les indignés et que Morosini passe pour avoir pris la fuite, il n’a aucune raison de le garder en vie ! En revanche, il en a beaucoup de s’en débarrasser…

— Sa femme a été prévenue ?

— Pas encore et on ne le fera qu’en face d’une certitude. Inutile de lui infliger des angoisses supplémentaires : elle en a eu sa large part depuis qu’ils sont mariés… Pendant que j’y pense ! Vous êtes retourné chez Mlle Autié ?

— Une seule fois mais il n’y a rien de changé. La maison est dans l’état exact où nous l’avons laissée. Les tableaux sont en place et les meubles debout ! C’est bizarre, vous ne trouvez pas ?

— C’est à elle seule que la maison en veut ! Elle est adulte pourtant ! J’ai entendu parler assez souvent de phénomènes de ce genre dans des lieux où habitait un adolescent, garçon ou fille…

— Elle a quoi ? Vingt ans au plus ? C’est pas si loin l’adolescence… et si elle est vierge !

— Vous avez peut-être raison ? Ou alors elle est morte et l’esprit est satisfait !

— Qu’est-ce qui vous prend de voir des morts partout ? protesta le journaliste. Moi je suis comme saint Thomas : pour croire il faut que je voie.

— Alors, cherchez, bon Dieu !

— Et qu’est-ce que je fais d’autre ? J’ai obtenu de mon patron de rester ici tant que le mystère ne sera pas éclairci. Mais il faut que j’arrive à quelque chose !

Un instant, Adalbert considéra le journaliste. Celui-là avait incontestablement le feu sacré. Aussi n’hésita-t-il qu’à peine avant de dire :

— Écoutez ! Si vous me donnez votre parole d’homme de ne pas vous jeter sur votre stylo pour tartiner je ne sais quelle histoire mirifique et complètement fausse, je vous raconte ce qui vient de se passer chez les Crawford !

— Ce ne serait pas mon intérêt. Les lecteurs aiment qu’on leur livre une belle histoire bien ficelée et non des lambeaux plus ou moins informes. Je n’écrirai rien avant d’avoir tout compris. Je dis bien tout !… et vous avez ma parole.

Adalbert rapporta donc la scène qui s’était achevée dans l’appartement de Léonora. Pendant qu’il parlait le visage de Berthier s’éclairait :

— Je ne sais pas pourquoi votre Crawford ne m’a jamais inspiré une franche sympathie, fit-il quand Adalbert eut achevé son récit. C’est idiot parce que je n’ai absolument rien à lui reprocher mais j’ai envie d’aller traîner autour de sa maison avec Ledru…

— Faites-le, mais avec prudence !

— Vous pourriez venir avec nous ? À trois on est plus fort qu’à deux.

— J’en sors et je suis plus facile à repérer que vous qui êtes inconnus là-bas… Et si vous réussissiez à avoir accès au garage ? La voiture noire aux portières cannées qui a jeté en pleine nuit le corps du colonel Karloff aurait été volée à Crawford il y a déjà un moment. Si par hasard elle était rentrée au bercail elle aurait peut-être des choses à nous apprendre. Sans parler de la voiture rouge qui ressemble si fort à la mienne… Nous aurions un début de preuve.

— Et vous ? Que faites-vous ?

— Dans l’immédiat, je vais rendre compte de ce que je sais à Mme de Sommières. Elle a grand besoin de réconfort…

— Ça ne va pas s’arranger ! Bonne chance, quand même !

Mais il était écrit qu’Adalbert n’en avait pas fini, ce soir-là, avec les mauvaises surprises. En rentrant chez la marquise, il se retrouva en plein drame. À peine la porte franchie, Marie-Angéline rouge de colère lui sauta littéralement à la figure :

— Ah, vous voilà ! Dites-moi donc ce qui vous a pris de nous ramener votre Américaine ? Croyez-vous que cette étrangère nous soit nécessaire ?

Suffoqué par la violence du ton, il chercha l’appui de Mme de Sommières mais, debout devant l’une des fenêtres, elle donnait son attention à une jardinière contenant des plantes vertes dont elle ôtait soigneusement les feuilles mortes. Et ne se détourna pas pour préciser :

— Cela fait vingt bonnes minutes qu’elle est dans cet état ! En rentrant du salut, Plan-Crépin nous a trouvées, Mrs Belmont et moi, en train de causer le plus calmement du monde et elle a pris feu. C’est votre tour, à présent !

— Ne me dites pas qu’elle a jeté Pauline à la porte ? s’écria Adalbert affolé.

— Elle n’a pas été jusque-là mais…

— J’ai été extrêmement polie ! clama Plan-Crépin. Je lui ai seulement fait entendre… avec… calme !… que nous n’avions pas besoin de quiconque pour supporter l’épreuve que nous endurons. Ce n’est malheureusement pas la première et je…

— Doux Jésus ! gémit Adalbert. Si ce n’est pas une mise à la porte ça y ressemble bigrement ! Qu’est-ce qui vous a pris ? ajouta-t-il. Mrs Belmont est fort inquiète de Morosini qu’elle aime beaucoup…

— Trop ! Qu’elle aime beaucoup trop ! Nous n’allons pas oser prétendre qu’elle n’est pas amoureuse ?

Elle revenait vers Tante Amélie qui, avec un soupir excédé, opérait un demi-tour pour lui faire face :

— Non, je ne le dirai pas, admit-elle. Il est plus qu’évident qu’elle l’aime. Les larmes lui montent aux yeux quand elle en parle. Elle a peur autant que nous !

— Mais elle n’a pas à venir nous le dire sous le fumeux prétexte de nous soutenir ! Elle n’a pas le droit de se prendre pour Lisa !…

Éclatant soudain en sanglots, Marie-Angéline se rua hors du salon. Restés seuls, Tante Amélie et Adalbert échangèrent un regard, un soupir…

— Je vais offrir mes excuses à Pauline, fit celui-ci.

— Rassurez-vous, c’est fait. Et devant Plan-Crépin en plus, mais j’irai la voir tout à l’heure et j’obligerai ma folle à faire la paix…

— Elle est peut-être déjà repartie ?

— Je lui ai demandé de rester. Si nous ne devons jamais revoir Aldo, des larmes de plus n’auront aucune importance. Le pire sera quand il faudra prévenir sa femme. Pourquoi… mais pourquoi ne vient-elle pas ? Elle ne donne même pas de ses nouvelles !

— Aldo ne doit pas écrire beaucoup non plus. Il lui en veut de ne plus s’occuper de lui à cause de ce petit bonhomme qu’elle vient de mettre au monde.

— Je peux la comprendre, dit Tante Amélie, quoique je trouve exagéré cette espèce d’exclusive. Fasse au ciel qu’Aldo nous soit rendu et qu’elle n’ait pas à se faire des reproches trop cruels ! Quant à Plan-Crépin, je ne l’aurais pas crue touchée à ce point !

— Connaît-on à fond ceux qui nous entourent ?… Même les plus proches ! Avec Marie-Angéline on a un peu tendance à oublier qu’elle est une femme.