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— Et pourquoi aurait-on fait ça ?

— Pour l’empêcher de parler. Il avait invité Mme de Sommières ici présente à prendre le thé afin de la convaincre de ne pas laisser Mlle du Plan-Crépin fréquenter la bande du professeur Ponant-Saint-Germain qu’il jugeait dangereuse…

— Il délirait. Ce sont de braves gens, âgés d’ailleurs, qui se réunissent dans un coin ou un autre du château ou du parc, pour célébrer le culte de Marie-Antoinette en se donnant des airs de conspirateurs !

— Il n’y a pas que des vieux ! Il y a aussi des jeunes singulièrement musclés et chargés de faire régner l’ordre. Demandez à Mlle du Plan-Crépin, elle a des lumières là-dessus ! Mais ce n’est pas tout : je désire poser devant vous une question à lord Crawford ?

— À moi ?… Ma conduite serait-elle sujette à caution ?

— C’est ce que nous allons voir ! L’autre soir, au Hameau et chez lady Mendl, votre épouse portait un admirable collier de diamants dont elle ne cachait pas qu’il avait appartenu à la Reine ?

— En effet, mais…

— Est-ce le seul joyau de cette provenance que vous possédiez ?

— Je ne vois pas pourquoi vous me posez cette question mais la réponse est oui. Pour le moment présent du moins…

— Ce qui veut dire que vous en possédiez un autre. Lequel ?

Le lourd visage de l’Écossais s’assombrit d’un seul coup :

— L’une des deux fameuses larmes de diamants…

— Tiens donc !…

— Elle m’a été volée il y a un peu plus d’un an en Écosse, dans mon château familial près d’Inverary. En même temps d’ailleurs qu’une miniature sur ivoire sur laquelle la Reine, en grand habit, porte les deux boucles d’oreilles. Une miniature à laquelle je tenais énormément ! ajouta-t-il d’une voix émue. Qui n’attendrit pas Adalbert.

— De là à penser que vous avez fait copier la larme pour la présenter à l’exposition sous le nom de Mlle Autié…

— Moi ? Pendant que vous y êtes, accusez-moi d’avoir fait massacrer tous ces pauvres gens ? Vous m’insultez, monsieur, et je n’ai jamais permis à quiconque…

— Vous voulez qu’on se batte en duel ? Vous ne trouvez pas qu’il a déjà coulé assez de sang ? D’autant que vous ignorez peut-être que le joyau… et un autre un nœud de corsage en diamants et émeraudes…

Les yeux de l’Écossais s’ouvrirent démesurément :

— Jamais acheté !… Jamais vu non plus ! Il appartenait à la Reine ?

— Si vous ne le savez pas ce n’est pas moi qui pourrai vous le dire. En revanche, j’affirme que ces bijoux sont chez vous…

— Vous en avez menti ! Je sais ce que je possède ! Nom de Dieu !

— Si on se calmait ? trancha la voix sèche de Lemercier. Vous maintenez votre accusation ? fit-il à l’adresse d’Adalbert.

— Plutôt trois fois qu’une !

— C’est insensé ! écuma l’Écossais.

— J’ai dit : du calme ! Il y a un moyen fort simple de savoir qui dit la vérité et qui ment. Avec votre permission, lord Crawford, nous allons nous rendre chez vous sur l’heure. Avec, comme il se doit, votre accusateur qui devra nous montrer ce qu’il avance. Mesdames, messieurs, vous aurez l’obligeance de m’excuser mais je n’ai plus de temps à vous accorder. J’ai, ainsi que vous pouvez le constater, plus urgent à faire !

Olivier de Malden qui avait amené les deux dames, les ramena cependant que Lemercier, Crawford et Vidal-Pellicorne s’embarquaient dans la voiture de police. Le chauffeur de l’Écossais les suivit avec la Rolls…

Arrivés à destination, Crawford demanda que l’on avertisse sa femme mais le maître d’hôtel répondit que « Milady » était partie pour Paris avec la « petite voiture » qu’elle aimait conduire elle-même.

— Ce n’est pas plus mal, commenta Adalbert puisque le trésor – on peut l’appeler ainsi – est chez elle.

— Chez ma femme ? Mais c’est insensé ! protesta Crawford qui avait peine à se contenir.

— C’est ce que nous verrons, dit le commissaire. Si vous vouliez nous montrer le chemin ?

En pénétrant dans la chambre de Léonora, Adalbert ne put se défendre d’un sentiment de gêne, celui d’être en train de violer l’intimité d’une jolie femme mais reculer n’était plus possible : trop d’intérêts étaient en jeu. Surtout peut-être la vie d’Aldo ! Il désigna ensuite la salle de bains en marbre rose, y chercha des yeux l’armoire à pharmacie mais laissa Lemercier fouiller lui-même. Ce fut vite fait. Quelques secondes et la boîte à pansements livrait son précieux contenu. Les jambes fauchées, le mari de Léonora se laissa tomber sur un tabouret. Force fut à Adalbert d’admettre que son émotion n’était pas feinte. Il était livide…

— Je… je ne comprends pas pourquoi elle a fait cela. Je ne lui ai jamais rien refusé. Je lui avais même dit que je lui donnerais ce bijou si j’arrivais à retrouver l’autre. Sans doute n’a-t-elle pas pu attendre…

— N’importe comment, dit Lemercier, je n’ai aucun droit de l’emporter puisque c’est votre propriété. Mais ceci ? ajouta-t-il en présentant le nœud sur le plat de sa main.

Il le prit dans ses doigts et le caressa :

— Quelle merveille !… Il a effectivement orné le corsage de Marie-Antoinette mais il ne m’a jamais appartenu et j’ignore d’où il vient !

— C’est là que Morosini pourrait nous être utile ! soupira Adalbert. Il n’existe pas au monde un joyau royal dont il ne connaisse la provenance et souvent l’itinéraire. Il est vrai que ce n’est qu’un escroc de bas étage en fuite à présent ! fit-il amèrement.

— On en reparlera plus tard ! grogna le commissaire.

— Quand on aura retrouvé son cadavre ? Il a déjà failli mourir, non loin d’ici…

— Assez ! Je vous répète de me laisser faire mon travail comme je l’entends ! Quant à vous, lord Crawford, voulez-vous porter plainte ?

— Non. Je partage l’avis de M. Vidal-Pellicorne : j’aime à régler mes affaires moi-même.

— En cas, je vous rends cet objet ! fit Lemercier en refermant la boîte qu’il remit à Crawford. L’un des bijoux est à vous et il n’y a aucune plainte concernant l’autre. En échange… je vous demande de faire comme si rien ne s’était passé. Il me serait utile que lady Léonora ignore notre visite. Au moins pour un temps.

Crawford se releva et redressa la tête :

— Je vous remercie, monsieur le commissaire ! Cela me permettra de mener ma propre enquête mais si vous avez besoin de moi, n’hésitez pas !

— C’est possible… En attendant, donnez des ordres à vos serviteurs afin que votre épouse n’apprenne rien. Où est votre secrétaire ?

— En ville ! Je l’ai envoyé faire quelques courses !

— C’est parfait !

Dans la voiture les deux hommes roulèrent un moment en silence. La façon dont Lemercier venait de mener cette affaire surprenait Adalbert. Elle révélait en lui une facette inattendue. Depuis le premier contact, il le prenait pour le plus buté des imbéciles. Or, il découvrait en lui une certaine finesse. Se pouvait-il que Langlois ait eu un peu raison ?

Quand on fut en vue du Trianon Palace, Lemercier déclara :

— Nous avons retrouvé le taxi de votre ami Karloff.

— Où ?

— Dans la Seine, près de la machine de Marly où il s’est coincé. Malheureusement dans un triste état. Il n’est guère réparable…

— Qu’il le soit ou pas n’a guère d’importance. Le pauvre homme ne pourra sans doute plus jamais reprendre son métier…

— Sans doute, en effet ! On peut se demander de quoi il vivra. Ces réfugiés russes sont généralement ruinés…

Cette question, Adalbert l’avait déjà évoquée avec Aldo. Il ne put s’empêcher de lâcher :

— C’est bien la première fois que vous donnez l’impression d’être sensible à la misère des autres ! Surtout celle de Karloff ! Il était pour vous un danger public…

— Je n’ai pas changé d’avis mais de là à ignorer ce qui pourrait devenir, à brève échéance, la détresse d’une famille…

La voiture s’arrêta devant la grille d’entrée de l’hôtel. Adalbert ouvrit la portière pour descendre, puis se tournant vers Lemercier :

— Ne vous tourmentez donc pas pour lui, commissaire ! Morosini y a pensé avant vous. Et il a fait ce qu’il fallait. Parce qu’il n’est pas seulement très riche. Il est aussi très généreux… votre voleur !