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— On va descendre un escalier. Attention, c’est glissant !

Aldo comprit vite que sans la poigne vigoureuse de son guide, ses élégants vernis noirs lui eussent valu une chute sans doute spectaculaire. En arrivant, en effet, il avait compté vingt-cinq marches avant d’atteindre le sol que l’on aurait pu attendre en terre battue comme en haut. Or il était dallé et glissant lui aussi à cause de l’humidité ambiante qui charriait une désagréable odeur de moisi. Encore quelques pas et l’on s’arrêta. Le bandeau s’envola… et le Moyen Âge refit surface : devant Aldo il y avait une table couverte d’un tapis vert foncé derrière laquelle trois hommes étaient assis.

Trois copies de son guide, leur costume étant exactement le même. Des bougies de deux chandeliers en fer forgé éclairaient le spectacle devant lequel Aldo s’offrit le luxe d’un sourire ironique :

— Eh bien ! Quelle mise en scène ! Vous êtes quoi ? L’Inquisition ? La Sainte-Vehme ? Les Compagnons de Jéhu ? Une maigre survivance du Conseil des Dix réduits à trois ? La confrérie des Pénitents noirs ou…

— Les Vengeurs de la Reine !

— Tiens donc ! Moi qui croyais qu’il n’y en avait qu’un ? Aurait-il fait des petits ?

— Pensez-vous que le sarcasme soit à l’ordre du jour ?

L’inconnu avait une voix sourde, basse, presque feutrée et cependant précise. Aldo haussa les épaules :

— L’ordre du jour ? Il me semble qu’il devrait être limpide aussi bien pour vous que pour moi. Un marché a été passé. J’ai accompli ma part en suivant scrupuleusement vos instructions. J’attends à présent que vous fassiez la vôtre. Autrement dit : vous avez les bijoux, rendez-moi Mlle Autié et les moyens de rentrer à Versailles. En conclusion je ne vois pas ce que je fais ici.

— Je pourrais vous dire que ces joyaux ne sont à mes yeux qu’une faible contrepartie au fait que je n’ai jamais reçu la larme de diamant que je réclamais…

— Et dont vous continuez à payer en vies humaines l’absence. Vous êtes un étrange négociateur, monsieur Sylvain Delaunay !

— Ah ! Vous connaissez mon nom ?… C’est surprenant mais à la limite cela ne me déplaît pas. Les choses n’en seront que plus claires !

— Moi, je les trouve franchement boueuses et j’attends que vous me remettiez Mlle Autié, votre cousine !

— Et aussi ma fiancée, ne l’oubliez pas ! Nous devrions nous marier…

— En prison alors ? C’est le seul endroit qui me paraisse en adéquation avec vos actes. À ce propos une question s’impose : si elle est votre fiancée, pourquoi la faites-vous souffrir ? Je viens de l’entendre crier et même vous supplier de l’épargner ? Je veux la voir !

— Ce serait difficile : elle dort ! Cessez, je vous prie, de vous occuper d’elle et revenons à vous ou plutôt à votre situation actuelle. Je ne vous cache pas que votre présence à Versailles n’était pas prévue au programme et qu’elle m’a gêné…

— Qu’est-ce à dire : pas prévue au programme ?

— Eh non ! Quand nous avons monté l’opération « Magie d’une reine » vous deviez nous envoyer vos girandoles, comme l’ont fait la comtesse de Huntington et M. Kledermann. Et voilà que vous arrivez en personne ! Mieux encore vous vous permettez de vous introduire chez Caroline dont vous vous constituez le défenseur avec un tel art qu’elle a fini par tomber amoureuse de vous. Du moins elle le croit ! En conséquence, ne vous en prenez qu’à vous de ce qui vous arrive. Vous n’aviez qu’à rester chez vous !

— Autrement dit : vous avez décidé de me tuer ?

— Peut-être mais pas dans l’immédiat ! J’ai encore besoin de vous. Lorsque j’ai arrangé la remise des joyaux de la Reine, il m’est apparu que je serais stupide de ne pas profiter de la situation. Vous êtes une véritable aubaine, mon cher prince, et je tiens, avec vous, la clef d’une fortune d’autant plus séduisante que je n’y songeais pas a priori.

— Je ne possède pas d’autres bijoux ayant appartenu à Marie-Antoinette.

— Non, mais vous en avez de provenances différentes et aussi illustres. Sans oublier un compte en banque certainement confortable…

— Encore ?

Le mot était parti tout seul. C’était la seconde fois qu’on lui jouait le tour : l’escamoter afin de le mettre à rançon ! Sans d’ailleurs la moindre intention de le libérer et, à cette époque, il avait échappé d’un cheveu à une mort affreuse !

— Que signifie cet encore ?

— Que vous n’êtes pas le premier truand qui ait eu l’idée de faire argent de moi. Seulement vous oubliez une chose : en ne nous voyant pas revenir, Mlle Autié et moi, on nous cherchera…

Sylvain Delaunay eut un rire aussi déplaisant que possible :

— Sans aucun doute mais pas pour ce que vous pensez : à l’heure qu’il est ce brave commissaire Lemercier qui s’est toujours méfié de vous est persuadé que vous avez pris la fuite avec les bijoux de la rançon…

— Des bijoux qui m’appartiennent en partie ? Ça ne tient pas debout !

— Pour le commun des mortels, sans doute, mais pas pour ce type. Il vous a détesté d’emblée et il doit être ravi de penser qu’il avait raison. Il tient maintenant une bonne excuse pour lancer ses sbires à vos trousses ! Remarquez : vous n’avez rien à craindre. Ils sont à son image. Aussi bêtes !

Aldo serra les poings et ferma un instant les yeux, méditant ses chances de sauter à la gorge de ce sinistre individu et de l’étrangler. Il n’avait que trop raison : Lemercier allait envoyer toutes les polices de France sur une trace inexistante au lieu de fouiller méthodiquement les environs de Versailles. Il pensa, naturellement, que les siens ne croiraient pas un mot d’une pareille ânerie mais ils seraient les seuls. Avec son ami Langlois… Celui-ci le connaissait assez pour ne pas avaler une couleuvre de cette taille. En attendant… mais en attendant quoi ? Là était la question.

Après avoir pris une profonde inspiration pour se calmer, il laissa tomber, méprisant :

— Quel est mon prix sur le marché d’aujourd’hui ?

— Il faut que j’y réfléchisse mais je pense que… la totalité de ce que vous possédez devrait me convenir. Évidemment, il faudra du temps pour réaliser mais nous procéderons par degrés…

— En me découpant en morceaux comme vous aviez menacé de le faire pour votre « fiancée » ? Alors, sachez-le vous pourrez me torturer si ça vous fait plaisir, vous n’aurez rien…

— La torture ? Vous retardez ! Il existe des moyens plus efficaces pour obtenir satisfaction. Tenez, voulez-vous parier qu’un moment viendra où vous me supplierez de prendre votre collection et votre fortune… Savez-vous ce qu’est ceci ?

Une seringue hypodermique apparut soudain dans la main gantée de Sylvain :

— Naturellement je le sais… Tout dépend de ce que vous comptez mettre dedans ?

— De quoi faire de vous un homme heureux ! Du moins dans les débuts. Vous allez énormément apprécier ma petite drogue à base d’héroïne – quel joli mot pour un poison ! – et vous trouverez votre captivité de plus en plus agréable jusqu’à ce que l’on vous en prive brusquement ! Alors, je vous prédis que vous vous traînerez à mes pieds, que vous m’offrirez ce que je voudrai pour que je vous en donne. Une loque ! Voilà ce que vous deviendrez… Un débris que je n’aurai plus qu’à jeter à la poubelle…

— Joyeux programme. Vous êtes fou, ma parole !

— Je ne crois pas. C’est vous qui allez le devenir… et plus vite que vous ne le pensez ! Les choses seront minutieusement ajustées. D’ailleurs nous allons commencer sur-le-champ !

— C’est faux ! Vous m’aviez déjà drogué !

Un geste fit sortir de l’ombre deux autres cagoules visiblement musclées qui s’emparèrent d’Aldo, le couchèrent sur la table avec l’aide de ceux qui assistaient Sylvain afin de l’immobiliser complètement. Ce qui ne fut pas facile parce qu’il fournit une défense vigoureuse en dépit de ses menottes. Ensuite on releva la manche de sa chemise, un garrot fut posé et enfin Sylvain lui-même enfonça l’aiguille dans la veine… Après quoi on le laissa se relever.