— Non. C’est à ce moment-là qu’il est parti pour l’Argentine. À Nice il n’a pas réussi à se faire une place et on venait de lui offrir une situation intéressante dans une mine du Rio Negro. Malheureusement il ne pourrait pas me donner de nouvelles avant longtemps et dans l’immédiat il lui était impossible de me donner une adresse exacte. Il fallait que je sois patiente. Si tout marchait comme il l’espérait nous serions réunis plus vite que je ne le pensais…
— Et il vous a écrit souvent ?
— Deux fois ! La première c’était il y a quelques mois. Il était souffrant mais ses affaires avançaient. La seconde… c’est vous qui me l’avez apportée. Il disait qu’il rentrait et que nous allions nous marier… La suite, j’ai l’impression que vous la connaissez…
— J’en sais même plus que vous. L’épître en question est arrivée dans votre boîte aux lettres par porteur et elle n’avait jamais vu l’Argentine ! Les timbres étaient vrais mais pas les compostages. Votre Sylvain devait être déjà revenu à Versailles…
Caroline haussa des épaules, désabusée :
— Ce n’était guère qu’un mensonge de plus ! Je n’en souffre pas vraiment : Sylvain a perdu beaucoup de son importance… depuis… peu. À présent je sais ce qu’il est… ce qu’il vaut ! Au fond, mon Grand-Père avait raison.
— Mais, enfin, il vous a aimée et vous l’avez aimé…
Elle eut à nouveau son petit sourire triste :
— Je l’ai aimé, oui. Il réunissait en lui mes espoirs d’une vie meilleure parce que vécue auprès de lui. Différente surtout de celle qui était la mienne. Voilà pour moi ! Quant à lui…
Elle leva sa main blessée, infiniment plus éloquente qu’un discours.
— Évidemment ! soupira Aldo.
Il n’eut pas le temps d’en dire plus. Un bruit de moteur se fit entendre au-dehors signalant l’arrivée d’une voiture, qui parut soudain assez familier à Aldo : cela ressemblait à l’Amilcar d’Adalbert. Mais aussitôt, Caroline saisie de frayeur se leva :
— C’est lui qui revient ! Il faut que je vous quitte !…
La porte d’ailleurs s’ouvrait sous la main d’un des hommes masqués. Il fit signe à la jeune fille de se hâter et l’emmena sans lui laisser le temps d’ajouter quoi que ce soit. Pour Aldo il n’eut pas un regard. Seulement un geste impératif lui intimant l’ordre de se recoucher. Ce qu’il fit en adoptant la position du chien de fusil qui lui permettait de garder un œil entrouvert. Quelques secondes plus tard Delaunay entrait. Il fit le tour de la pièce, examina Aldo qui ne réagit pas quand il souleva l’une de ses mains. Persuadé que son prisonnier dormait profondément, il appela :
— François ! Viens lui faire sa piqûre !
— Déjà ? Mais il ne va plus se réveiller !
— Ce ne serait pas une grosse perte. Les choses bougent à Versailles et je me demande si j’aurai le temps de le réduire à l’état que je lui ai promis. Le mieux serait peut-être de l’envoyer dans le Trou, après lui avoir prélevé son alliance… avec le doigt bien sûr… ou alors la main entière. Si la situation se gâtait il faudrait en venir à notre position de repli.
— Et… elle ?
Sylvain eut un ricanement fort désagréable :
— Qu’est-ce que tu veux qu’on en fasse ? Elle est tombée amoureuse de ce type et je n’ai plus d’influence sur elle. On les ligotera ensemble pour faire le plongeon. Elle sera contente !… Ah, pendant que j’y pense, il faut que je dise à Nestor de repeindre la Renault ! Comme on partira avec, on n’a déjà que trop tardé à la débarrasser de son cannage ridicule…
— On ne tiendra jamais tous dedans !
— Aussi nous ne serons que quatre ! J’ai trouvé de l’occupation pour les autres : une bonne lettre anonyme à la police lancera cet âne de Lemercier sur ce vieux fou de Ponant-Saint-Germain et sa bande…
— Sous quel prétexte ?
— Trafic de drogue ! On veillera à ce que les flics en trouvent ! Mais assez parlé ! Il faut que je reparte : grouille-toi de lui faire sa piqûre ! Et mets-en une bonne dose !
CHAPITRE XIII
UN ALLER SIMPLE VERS L’ENFER…
À Versailles, l’inquiétude faisait place à l’angoisse depuis l’arrivée chez la présidente du Comité du lugubre trophée prélevé sur Caroline Autié. Ce qui était une cruauté inutile et tellement imméritée ! En ouvrant le paquet, la pauvre femme s’était écroulée avec un cri d’horreur sur le tapis de son boudoir. Aussi, son maître d’hôtel appela-t-il, dans l’ordre : son médecin habituel, le commissaire Lemercier et le général de Vernois, qui était un intime. Le premier prodigua les soins nécessaires et ordonna le transport immédiat dans une clinique privée afin de retrancher la malade de l’atmosphère délétère régnant alors autour d’elle. Le second, plus bourru que jamais, fourra le sinistre envoi – contenant et contenu – dans un sac en papier, expédia le tout au laboratoire de la Sûreté puis, avant de partir en claquant les portes, intima au général l’ordre de « fermer une fois pour toutes cette foutue exposition » qui était en train de tourner au cauchemar. Ajoutant que, faute d’exécution immédiate, il s’adresserait au préfet et même au ministre de l’Intérieur.
Rentré chez lui, Vernois réunit le Comité. Réduit, puisque à part lui-même il ne réussit qu’à trouver Malden, Elsie Mendl et une Plan-Crépin livide avec des besaces sous les yeux. Gilles Vauxbrun n’était pas revenu de Strasbourg, quant à Crawford, il était impossible à joindre : personne ne répondait au téléphone ou à l’entrée. Les volets étaient clos et la maison semblait inhabitée. Enfin, le professeur Ponant-Saint-Germain fit savoir qu’il avait la grippe. Une vraie rareté au mois de juin ! Restait Polignac à Paris ! Bien qu’on ne le vît jamais, il pouvait être utile. Hélas, il n’y était pas lui non plus, il prenait ses quartiers d’été dans l’un de ses châteaux. Le quorum n’étant pas atteint on décida de fermer momentanément Trianon pour « travaux d’urgence ».
— Ce qu’il faut, c’est gagner du temps ! conseilla Olivier de Malden. Quelques jours peuvent changer le cours des événements. Crawford vient d’avaler une amère pilule et il doit avoir besoin de souffler. Vauxbrun ne va pas passer sa vie à Strasbourg, Mme de La Begassière va se remettre et nous n’allons pas permettre à ce vieux timbré de Ponant de jouer les coquettes pendant une éternité. Si nécessaire on ira chez lui… Donnons-nous un délai avant d’en appeler au comité d’honneur.
— Qui serait capable de nous laisser tomber ! dit lady Mendl. Si le malheur voulait que l’on ne retrouve pas le prince Morosini…
— Ne dites pas ça ! s’écria Marie-Angéline. C’est… c’est une idée que je ne peux pas supporter ! D’ailleurs… tous tant que vous êtes n’y croyez même pas ! Vous attendez tranquillement que l’on retrouve son cadavre ?
— Je ne vois pas ce que nous pourrions faire ? soupira Vernois.
— Aller chez le professeur et le passer à la question. Je suis sûre qu’il en sait beaucoup plus long que nous tous réunis sur « le Vengeur de la Reine » ! Et puis essayer de voir ce qui se passe au juste chez les Crawford !
— Nous n’avons aucune raison de forcer sa porte, fit remarquer Malden. Encore moins de demander un mandat de perquisition… que l’on ne nous donnerait pas !
— Ce serait pourtant instructif, émit la voix railleuse de Vidal-Pellicorne qui entrait en coup de vent, dépassant le serviteur qui n’eut pas le temps de l’annoncer. Mes excuses, mon général, de forcer ainsi votre porte mais je cherchais Mlle du Plan-Crépin et l’on m’a dit qu’elle était chez vous.
— Ne vous excusez pas ! Si vous avez des informations importantes…
— Je vous laisse en juger : on a retrouvé l’imprimeur qui a tiré le supplément d’invitations pour le jour de l’inauguration.
— Et c’est ?
— Le même qui avait imprimé les autres. Il a cru de bonne foi que vous aviez besoin d’un supplément et n’avait aucune raison de suspecter celle qui les lui commandait.