Il était, comme à son habitude, tout vêtu de noir, impassible et glacial mais somptueux grâce à une lourde chaîne de rubis passée autour de son cou et à l'énorme escarboucle sanglante qui rutilait à son chaperon. Un valet le suivait, porteur d'un coffret couvert d'une housse pourpre frangée d'or.

Lorsqu'elle eut vu la haute silhouette noire disparaître à l'intérieur de la maison, Catherine s'écarta de la fenêtre et alla s'asseoir sur son lit, attendant qu'on l'appelât. Il faisait chaud, malgré l'épaisseur des murs qui gardaient bien la fraîcheur. Et pourtant, la jeune fille frissonna dans sa robe argentée. Une angoisse insurmontable s'emparait d'elle à cette minute où il allait lui falloir affronter le regard de l'homme condamné à mort. Les mains glacées, elle se mit à trembler de tous ses membres, prise d'une folle panique. Dents claquantes mais la tête en feu, elle regarda autour d'elle, cherchant éperdument un trou, une issue par où s'enfuir car la seule idée de rencontrer Garin, de toucher sa main peut-être, la laissait sans forces et faible jusqu'à la nausée.

Les bruits de la maison lui parvenaient, étouffés mais menaçants. Au prix d'un effort, elle s'arracha de son lit, se traîna vers la porte en se retenant aux murs. Elle n'était plus capable de raisonner sainement.

Elle n'était plus qu'animale terreur. Sa main se crispa sur la serrure ciselée dont les volutes de fer blessèrent son index où perla une goutte de sang. Mais elle ne parvint pas à ouvrir tant elle tremblait. Pourtant, la porte s'ouvrit. Sara parut. Elle poussa un petit cri en découvrant Catherine, blême jusqu'aux lèvres, derrière le battant.

— Que fais-tu là ? Viens ! On te demande.

— Je... je ne peux pas ! balbutia la jeune fille. Je ne peux pas y aller !

Sara l'empoigna aux deux épaules et se mit à la secouer sans ménagements. Les traits de son visage brun s'étaient durcis jusqu'à lui faire une sorte de masque barbare, ciselé dans quelque bois exotique.

— Quand on a le courage de souhaiter certaines choses, on a aussi celui de les regarder en face, déclara-t-elle sans ambages. Messire Garin t'attend !

Elle se radoucit en voyant des larmes jaillir des prunelles violettes.

Lâchant Catherine, elle s'en alla, en haussant les épaules, mouiller un linge à l'aiguière d'argent de la toilette. Après quoi elle en aspergea vigoureusement le visage de la jeune fille. Les couleurs y reparurent aussitôt. Catherine respira profondément. Sara aussi.

— Voilà qui est mieux ! Viens à présent et tâche de faire bonne contenance, fit-elle en glissant son bras sous celui de Catherine pour l'entraîner vers l'escalier.

Incapable désormais de la moindre réaction, celle- ci se laissa emmener docilement.

Les tables du dîner avaient été dressées dans la grande salle du premier étage et adossées à la cheminée sans feu. En entrant, Catherine vit Marie de Champdivers assise dans son fauteuil habituel et, dans l'encoignure de la fenêtre, son époux qui s'entretenait à mi-voix avec Garin de Brazey.

C'était la seconde fois que, sous le toit des Champdivers, elle rencontrait le grand argentier mais le choc qu'elle ressentit en recevant sur elle le regard appréciateur de son œil unique, c'était bien la première fois qu'elle l'éprouvait. Quand il était venu à l'hôtel de la rue Tâtepoire, au soir de l'installation de Catherine, il ne s'était guère occupé d'elle. Quelques paroles indifférentes, si banales que la jeune fille n'en avait pas gardé le souvenir. Il avait passé presque toute la soirée à discuter avec Guillaume de Champdivers, abandonnant sa future épouse à elle-même et à la bonté de Marie. Attitude dont Catherine lui avait d'ailleurs été très reconnaissante, car elle lui enlevait des scrupules.

Pensant que les choses se passeraient encore de la même façon, elle se dirigea vers les deux hommes pour leur souhaiter le bonsoir. Mais, la voyant venir, ils avaient interrompu leur conversation et s'étaient levés. Les yeux baissés de Catherine ne lui permirent pas de voir l'expression de surprise émerveillée qui s'étendit sur leurs deux visages et que Garin traduisit poétiquement.

— L'aurore d'un jour d'été n'est pas plus belle. Vous êtes une merveilleuse apparition, ma chère !

Tout en parlant, il courbait sa haute taille en un salut profond, la main sur le cœur, en réponse à la révérence de la jeune fille.

Champdivers aussi s'inclina, un sourire satisfait sur son visage de furet. Une telle beauté avait des chances de retenir longtemps le cœur volage de Philippe le Bon et Champ- divers entrevoyait une longue suite de profits et d'honneurs en récompense du service rendu. Pour un peu il se fût frotté les mains...

Cependant, Garin avait appelé auprès de lui, d'un geste sec, le valet qui l'avait accompagné et qui attendait dans un coin, portant toujours la cassette de velours pourpre. L'argentier ouvrit le coffret. Son contenu concentra aussitôt toute la lumière des hautes torchères de fer. Ses longues mains habiles en tirèrent un lourd et magnifique collier d'or, aussi large et long qu'un ordre de chevalerie. Les entrelacs, formant des feuilles et des fleurs, étaient sertis d'énormes améthystes pourpres, d'un éclat et d'une pureté rares, ainsi que de belles perles à l'orient sans défaut. Un cri d'admiration générale salua l'apparition de cette merveille que Garin fit suivre aussitôt d'une paire de pendants d'oreilles assortis.

— J'aime infiniment la couleur violette qui est celle de vos yeux, Catherine, fit-il de sa voix lente et grave. Elle convient à vos cheveux d'or et à votre teint si pur. Aussi ai-je fait composer pour vous, à Anvers, cette parure. Les pierres en viennent d'une lointaine chaîne de montagnes, aux confins de l'Asie, les monts Oural. La réussite de ce collier représente une somme énorme de courage et de dévouement de la part d'hommes qui ne connaissent pas la peur. Et je voudrais vous le voir porter avec plaisir, car l'améthyste est la pierre de la sagesse...

et de la chasteté.

Tandis qu'il déposait le collier sur les mains tremblantes de Catherine, celle-ci rougit violemment :

— Je le porterai avec plaisir puisqu'il me vient de vous, messire, dit-elle d'une voix si éteinte que tout le monde ne l'entendit pas. Vous plairait-il de me le passer au cou ?

Le geste de refus horrifié du grand argentier eut quelque chose de comique.

— Avec cette robe rose ? Oh, ma chère, quelle hérésie ! Je veillerai à ce que l'on vous fasse une toilette assortie à cette parure afin de bien la mettre en valeur. Maintenant, donnez-moi votre main.

Du fond du coffret sur lequel il se penchait à nouveau, Garin tirait un simple anneau d'or torsadé qu'il glissa à l'annulaire de la jeune fille.

Ceci, dit-il gravement, est le gage de nos accordailles. Les ordres de Monseigneur le Duc sont que notre mariage soit célébré à la Noël, une fois le deuil de Cour terminé. Il souhaite, et c'est un grand honneur, assister personnellement à la cérémonie où, peut-être, il sera témoin. Maintenant, prenez ma main et passons à table.

Catherine se laissa conduire sans résistance. Elle se sentait déroutée mais le malaise de tout à l'heure se dissipait. Garin avait une manière à lui de mettre les choses au point et de régler les événements qui leur enlevait un peu de leur angoissant mystère. On sentait que, pour cet homme riche et puissant, tout était simple. D'autant plus simple qu'aucune sentimentalité ne trouvait place dans ses paroles ni dans ses actes. Qu'il offrît une fortune en joyaux ou qu'il passât au doigt d'une jeune fille un anneau le liant à elle pour la vie, ne créait aucune différence dans le son de sa voix. Sa main ne tremblait pas. Son œil demeurait froid, lucide. Un instant, alors qu'elle prenait place auprès de lui à la table où ils devaient partager le même plat d'argent1, Catherine se surprit à se demander ce que pourrait être sa vie dans l'ombre d'un tel homme.

Il était plutôt imposant mais son caractère paraissait égal et calme, sa générosité sans limite. La jeune fille pensait que, peut-être, un tel mariage eût présenté d'agréables aspects si, comme dans tout mariage justement, il n'y avait eu cette irritante, cette rebutante question de l'intimité conjugale. Et surtout, si elle n'avait traîné au fond d'elle-même le douloureux souvenir de l'auberge du Grand-Charlemagne, si cruel encore que la seule évocation d'Arnaud suffisait à lui mettre les larmes aux yeux.