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– Excusez-moi, madame, balbutia Maurice; mais, à Chantilly, j’eus l’honneur de vous faire remettre ma carte, et, depuis deux jours, je me suis si fort reproché dans mon cœur de n’avoir pas insisté pour vous voir…

– Oh! monsieur, pas d’excuse, dit Fernande; je n’ai le droit ni de m’étonner, ni de m’offenser. Vous m’avez vue une seule fois, vous ne me connaissiez pas, et la réputation qu’on m’a faite, par ma faute sans doute, car, vous le savez, le monde est infaillible, a dû vous autoriser à cette démarche; soyez sincère, monsieur.

Et, en disant ces mots, la voix de Fernande retomba du diapason auquel elle s’était élevée d’abord à un accent doux et mélancolique. Maurice crut même voir une larme briller dans ses yeux.

– Madame, répondit Maurice non moins ému qu’elle, ma sincérité, je l’espère, aura son pardon, car elle a son excuse. L’impression que vous avez produite sur moi pendant la soirée que j’ai eu l’honneur de passer avec vous a été si profonde, que, depuis ce moment, je n’ai eu qu’un seul désir, celui de vous revoir. Si ce désir, mis à exécution aussitôt que je l’ai pu, est une inconvenance, accusez-en mon cœur, madame, et non mon esprit; mais ne me punissez pas trop rudement; les moindres blessures au cœur sont mortelles, vous le savez.

Fernande sourit, s’assit sur un large divan, et fit signe à Maurice de s’asseoir; Maurice porta la main à un fauteuil, mais Fernande lui désigna sa place auprès d’elle.

– Merci, monsieur, lui dit-elle: merci si vous dites vrai; car, moi, je serai franche avec vous; car, ajouta-t-elle en relevant la tête, et avec un accent de naïveté charmante, si jamais j’ai désiré plaire à quelqu’un, c’est à vous.

– Grand Dieu! madame, s’écria Maurice en pâlissant, dites-vous là ce que vous pensez?

– Écoutez-moi, monsieur, continua Fernande en imposant silence au jeune homme par un geste à la fois plein de grâce et d’expression, écoutez-moi.

Maurice joignit les deux mains avec une expression d’attente à la fois craintive et passionnée à laquelle il n’y avait point à se tromper.

– Si, au milieu des mille choses qu’on n’a pas manqué de vous dire de moi, reprit Fernande, on ne vous a pas dit que ma fortune m’assure aujourd’hui l’indépendance, je dois tout d’abord vous l’apprendre; puis, si l’on vous a dit que je n’étais pas entièrement maîtresse de mon cœur et de ma personne, on vous a fait un mensonge, et ce mensonge, je dois le rectifier: je suis indépendante de toute façon, monsieur; de l’homme que j’aimerai, je ne veux donc rien que son amour, si j’ai pu le faire naître; à cette condition et sur ce serment, je consens à tout. Bonheur pour bonheur. Le voulez-vous? Je vous aime.

En achevant ces mots, la voix de Fernande lui manqua, et la main qu’elle avançait toute tremblante vers Maurice ne put attendre l’adhésion du jeune homme, et retomba sur ses genoux.

Un autre se serait jeté aux pieds de Fernande, eût baisé mille fois cette main, eût tenté de la convaincre par des serments cent fois répétés; Maurice se leva.

– Écoutez-moi, madame, dit-il; sur l’honneur d’un gentilhomme, je vous aime comme jamais je n’ai aimé, et, il y a plus, je crois à cette heure que je n’ai jamais aimé que vous. Maintenant, oubliez mes cent mille livres de rente comme je les oublie, et traitez-moi comme si je n’avais que ma vie à vous offrir; seulement, disposez d’elle.

Puis, se mettant à deux genoux devant Fernande:

– Croyez-vous à ma parole? dit-il; croyez-vous à mon amour?

– Oh! oui, s’écria Fernande en lui faisant un collier de ses deux bras, oh! oui, vous n’êtes pas un Fabien, vous!

Et les lèvres des deux jeunes gens se rencontrèrent comme celles de Julie et de Saint-Preux dans un âcre et long baiser; puis, comme Maurice devenait plus pressant:

– Écoutez, Maurice, lui dit-elle; j’ai renversé toutes les convenances; je vous ai dit la première que je vous aimais, la première j’ai approché mes lèvres des vôtres. Laissez-moi l’initiative en toutes choses.

Maurice se releva, et regarda Fernande avec un regard d’indicible amour.

– Vous êtes ma reine, mon âme, ma vie! dit-il. Ordonnez, j’obéis.

– Venez, dit Fernande.

Et, mollement appuyée au bras de Maurice, elle entra avec lui dans son atelier, s’assit devant un chevalet sur lequel était un tableau commencé.

– Maintenant, dit Fernande en prenant ses pinceaux, causons; il faut avant tout se connaître. Moi, je suis Fernande, une pauvre fille enrichie, que les gens polis appellent madame pour eux-mêmes, mais exilée de la société sans retour, à qui le monde est interdit; je suis une courtisane enfin.

– Fernande, dit Maurice le cœur serré, ne parlez pas ainsi, je vous en supplie.

– Au contraire, mon ami, répondit la jeune femme d’une voix altérée, quoique sa main ajoutât au tableau commencé des touches d’une fermeté étonnante; au contraire, il faut que je vous aguerrisse à tout ce que l’on vous dira de moi. On ne me ménage pas, je le sais; mais pourquoi me plaindrais je? Je n’en ai pas le droit.

Maurice comprit que ce travail qu’exécutait Fernande à cette heure n’était qu’un moyen qu’elle avait trouvé pour que leurs yeux ne se rencontrassent point; il lui devenait, on le comprend, plus facile ainsi de parler, de faire des aveux que lui commandait sa loyauté. Une telle conduite prouvait au moins la bonne foi; jamais la coquetterie d’une femme perdue n’eût imaginé pareille ruse.

Le tableau que Fernande peignait, d’après un carton qu’on eût cru dessiné par Owerbeck, était un de ces chefs-d’œuvre d’expression dont les peintres idéalistes seuls nous ont laissé des modèles, et dont le sentiment a presque entièrement disparu de l’art, depuis le jour où Raphaël adopta sa troisième manière. Jésus se tenait debout au milieu de ses disciples, et à ses pieds pleurait une femme: cette femme, était-ce la femme adultère? était-ce la Madeleine repentante? Qu’importe! C’était une jeune et belle pécheresse à laquelle le fils de Dieu pardonnait.

Dans cette œuvre, presque achevée au reste, Fernande n’avait point encore touché à la tête divine; il y a plus, cette tête manquait au carton comme elle manquait au tableau; une idée pieuse avait-elle arrêté l’artiste dans le doute de son talent? C’était probable; mais, chose étrange, sous l’impression nouvelle et inconnue qu’elle ressentait en présence de Maurice, tout en lui parlant et en s’animant de sa parole, sans craindre les distractions que pouvait lui causer le jeune homme, dont le regard ardent suivait son pinceau, elle aborda cette tâche difficile devant laquelle Léonard, le grand et le doux Léonard, recula trois ans lui-même.

– Je ne vous dirai pas ce que j’ai été, continua-t-elle; seulement, je serais heureuse de savoir qu’il vous importe de connaître qui je suis. Je ne vous parlerai pas du passé, je n’y puis rien changer; mais je vous dirai qu’il n’existe pas dans le monde une femme citée pour la rigidité de ses mœurs qui puisse désavouer ma vie actuelle, ma position une fois comprise et acceptée. Ah! continua-t-elle, ce n’est point moi qui me suis faite ce que je suis, croyez-le bien.