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C’est la première fois que Frédéric Larsan se trouve, comme moi, en face de Mlle Stangerson, depuis l’attentat de la «Chambre Jaune». Comme moi, il avait insisté pour pouvoir interroger la malheureuse; mais, pas plus que moi, il n’avait été reçu. À lui comme à moi, on avait toujours fait la même réponse: Mlle Stangerson était trop faible pour nous recevoir, les interrogatoires du juge d’instruction la fatiguaient suffisamment, etc… Il y avait là une mauvaise volonté évidente à nous aider dans nos recherches qui, «moi», ne me surprenait pas, mais qui étonnait toujours Frédéric Larsan. Il est vrai que Frédéric Larsan et moi avons une conception du crime tout à fait différente…

… Ils pleurent… Et je me surprends encore à répéter au fond de moi: La sauver!… la sauver malgré elle! la sauver sans la compromettre! La sauver sans qu’ «il» parle! Qui: «il?» – «Il», l’assassin… Le prendre et lui fermer la bouche!… Mais M. Darzac l’a fait entendre: «pour lui fermer la bouche, il faut le tuer!» Conclusion logique des phrases échappées à M. Darzac. Ai-je le droit de tuer l’assassin de Mlle Stangerson? Non!… Mais qu’il m’en donne seulement l’occasion. Histoire de voir s’il est bien, réellement, en chair et en os! Histoire de voir son cadavre, puisqu’on ne peut saisir son corps vivant!

Ah! comment faire comprendre à cette femme, qui ne nous regarde même pas, qui est toute à son effroi et à la douleur de son père, que je suis capable de tout pour la sauver… Oui… oui… je recommencerai à prendre ma raison par le bon bout et j’accomplirai des prodiges…

Je m’avance vers elle… je veux parler, je veux la supplier d’avoir confiance en moi… je voudrais lui faire entendre par quelques mots, compris d’elle seule et de moi, que je sais comment son assassin est sorti de la «Chambre Jaune», que j’ai deviné la moitié de son secret… et que je la plains, elle, de tout mon cœur… Mais déjà son geste nous prie de la laisser seule, exprime la lassitude, le besoin de repos immédiat… M. Stangerson nous demande de regagner nos chambres, nous remercie, nous renvoie… Frédéric Larsan et moi saluons, et, suivis du père Jacques, nous regagnons la galerie. J’entends Frédéric Larsan qui murmure: «Bizarre! bizarre!…» Il me fait signe d’entrer dans sa chambre. Sur le seuil, il se retourne vers le père Jacques. Il lui demande:

«Vous l’avez bien vu, vous?

– Qui?

– L’homme!

– Si je l’ai vu!… Il avait une large barbe rousse, des cheveux roux…

– C’est ainsi qu’il m’est apparu, à moi, fis-je.

– Et à moi aussi», dit Frédéric Larsan.

Le grand Fred et moi nous sommes seuls, maintenant, à parler de la chose, dans sa chambre. Nous en parlons une heure, retournant l’affaire dans tous les sens. Il est clair que Fred, aux questions qu’il me pose, aux explications qu’il me donne, est persuadé – malgré ses yeux, malgré mes yeux, malgré tous les yeux – que l’homme a disparu par quelque passage secret de ce château qu’il connaissait.

«Car il connaît le château, me dit-il; il le connaît bien…

– C’est un homme de taille plutôt grande, bien découplé…

– Il a la taille qu’il faut… murmure Fred…

– Je vous comprends, dis-je… mais comment expliquez-vous la barbe rousse, les cheveux roux?

– Trop de barbe, trop de cheveux… Des postiches, indique Frédéric Larsan.

– C’est bientôt dit… Vous êtes toujours occupé par la pensée de Robert Darzac… Vous ne pourrez donc vous en débarrasser jamais?… Je suis sûr, moi, qu’il est innocent…

– Tant mieux! Je le souhaite… mais vraiment tout le condamne… Vous avez remarqué les pas sur le tapis?… Venez les voir…

– Je les ai vus… Ce sont «les pas élégants» du bord de l’étang.

– Ce sont les pas de Robert Darzac; le nierez-vous?

– Évidemment, on peut s’y méprendre…

– Avez-vous remarqué que la trace de ces pas «ne revient pas»? Quand l’homme est sorti de la chambre, poursuivi par nous tous, ses pas n’ont point laissé de traces…

– L’homme était peut-être dans la chambre «depuis des heures». La boue de ses bottines a séché et il glissait avec une telle rapidité sur la pointe de ses bottines… On le voyait fuir, l’homme… on ne l’entendait pas…»

Soudain, j’interromps ces propos sans suite, sans logique, indignes de nous. Je fais signe à Larsan d’écouter:

«Là, en bas… on ferme une porte…»

Je me lève; Larsan me suit; nous descendons au rez-de-chaussée du château; nous sortons du château. Je conduis Larsan à la petite pièce en encorbellement dont la terrasse donne sous la fenêtre de la galerie tournante. Mon doigt désigne cette porte fermée maintenant, ouverte tout à l’heure, sous laquelle filtre de la lumière.

«Le garde! dit Fred.

– Allons-y!» lui soufflai-je…

Et, décidé, mais décidé à quoi, le savais-je? décidé à croire que le garde est le coupable? l’affirmerais-je? je m’avance contre la porte, et je frappe un coup brusque.

Certains penseront que ce retour à la porte du garde est bien tardif… et que notre premier devoir à tous, après avoir constaté que l’assassin nous avait échappé dans la galerie, était de le rechercher partout ailleurs, autour du château, dans le parc… Partout…

Si l’on nous fait une telle objection, nous n’avons pour y répondre que ceci: c’est que l’assassin était disparu de telle sorte de la galerie «que nous avons réellement pensé qu’il n’était plus nulle part»! Il nous avait échappé quand nous avions tous la main dessus, quand nous le touchions presque… nous n’avions plus aucun ressort pour nous imaginer que nous pourrions maintenant le découvrir dans le mystère de la nuit et du parc. Enfin, je vous ai dit de quel coup cette disparition m’avait choqué le crâne!

… Aussitôt que j’eus frappé, la porte s’ouvrit; le garde nous demanda d’une voix calme ce que nous voulions. Il était en chemise «et il allait se mettre au lit»; le lit n’était pas encore défait…

Nous entrâmes; je m’étonnai.

«Tiens! vous n’êtes pas encore couché?…

– Non! répondit-il d’une voix rude… J’ai été faire une tournée dans le parc et dans les bois… J’en reviens… Maintenant, j’ai sommeil… bonsoir!…

– Écoutez, fis-je… Il y avait tout à l’heure, auprès de votre fenêtre, une échelle…

– Quelle échelle? Je n’ai pas vu d’échelle!… Bonsoir!»

Et il nous mit à la porte tout simplement.

Dehors, je regardai Larsan. Il était impénétrable.

«Eh bien? fis-je…

– Eh bien? répéta Larsan…

– Cela ne vous ouvre-t-il point des horizons?»

Sa mauvaise humeur était certaine. En rentrant au château, je l’entendis qui bougonnait: