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Si je saute dans la chambre en ce moment, «il» s’enfuit ou par l’antichambre ou par la porte à droite qui donne sur le boudoir. Par là, traversant le salon, il arrive à la galerie et je le perds. Or, je le tiens; encore cinq minutes, et je le tiens, mieux que si je l’avais dans une cage… Qu’est-ce qu’il fait là, solitaire, dans la chambre de Mlle Stangerson? Qu’écrit-il? À qui écrit-il?… Descente. L’échelle par terre. Le père Jacques me suit. Rentrons au château. J’envoie le père Jacques éveiller M. Stangerson. Il doit m’attendre chez M. Stangerson, et ne lui rien dire de précis avant mon arrivée. Moi, je vais aller éveiller Frédéric Larsan. Gros ennui pour moi. J’aurais voulu travailler seul et avoir toute l’aubaine de l’affaire, au nez de Larsan endormi. Mais le père Jacques et M. Stangerson sont des vieillards et moi, je ne suis peut-être pas assez développé. Je manquerais peut-être de force… Larsan, lui, a l’habitude de l’homme que l’on terrasse, que l’on jette par terre, que l’on relève, menottes aux poignets. Larsan m’ouvre, ahuri, les yeux gonflés de sommeil, prêt à m’envoyer promener, ne croyant nullement à mes imaginations de petit reporter. Il faut que je lui affirme que «l’homme est là!»

«C’est bizarre, dit-il, je croyais l’avoir quitté cet après-midi, à Paris!»

Il se vêt hâtivement et s’arme d’un revolver. Nous nous glissons dans la galerie.

Larsan me demande:

«Où est-il?

– Dans la chambre de Mlle Stangerson.

– Et Mlle Stangerson?

– Elle n’est pas dans sa chambre!

– Allons-y!

– N’y allez pas! L’homme, à la première alerte, se sauvera… il a trois chemins pour cela… la porte, la fenêtre, le boudoir où se trouvent les femmes…

– Je tirerai dessus…

– Et si vous le manquez? Si vous ne faites que le blesser? Il s’échappera encore… Sans compter que, lui aussi, est certainement armé… Non, laissez-moi diriger l’expérience, et je réponds de tout…

– Comme vous voudrez», me dit-il avec assez de bonne grâce.

Alors, après m’être assuré que toutes les fenêtres des deux galeries sont hermétiquement closes, je place Frédéric Larsan à l’extrémité de la galerie tournante, devant cette fenêtre que j’ai trouvée ouverte et que j’ai refermée. Je dis à Fred:

«Pour rien au monde, vous ne devez quitter ce poste, jusqu’au moment où je vous appellerai… Il y a cent chances sur cent pour que l’homme revienne à cette fenêtre et essaye de se sauver par là, quand il sera poursuivi, car c’est par là qu’il est venu et par là qu’il a préparé sa fuite. Vous avez un poste dangereux…

– Quel sera le vôtre? demanda Fred.

– Moi, je sauterai dans la chambre, et je vous rabattrai l’homme!

– Prenez mon revolver, dit Fred, je prendrai votre bâton.

– Merci, fis-je, vous êtes un brave homme»

Et j’ai pris le revolver de Fred. J’allais être seul avec l’homme, là-bas, qui écrivait dans la chambre, et vraiment ce revolver me faisait plaisir.

Je quittai donc Fred, l’ayant posté à la fenêtre 5 sur le plan, et je me dirigeai, toujours avec la plus grande précaution, vers l’appartement de M. Stangerson, dans l’aile gauche du château. Je trouvai M. Stangerson avec le père Jacques, qui avait observé la consigne, se bornant à dire à son maître qu’il lui fallait s’habiller au plus vite. Je mis alors M. Stangerson, en quelques mots, au courant de ce qui se passait. Il s’arma, lui aussi, d’un revolver, me suivit et nous fûmes aussitôt dans la galerie tous trois. Tout ce qui vient de se passer, depuis que j’avais vu l’assassin assis devant le bureau, avait à peine duré dix minutes. M. Stangerson voulait se précipiter immédiatement sur l’assassin et le tuer: c’était bien simple. Je lui fis entendre qu’avant tout il ne fallait pas risquer, «en voulant le tuer, de le manquer vivant».

Quand je lui eus juré que sa fille n’était pas dans la chambre et qu’elle ne courait aucun danger, il voulut bien calmer son impatience et me laisser la direction de l’événement. Je dis encore au père Jacques et à M. Stangerson qu’ils ne devaient venir à moi que lorsque je les appellerais ou lorsque je tirerais un coup de revolver «et j’envoyai le père Jacques se placer» devant la fenêtre située à l’extrémité de la galerie droite. (La fenêtre est marquée du chiffre 2 sur mon plan.) J’avais choisi ce poste pour le père Jacques parce que j’imaginais que l’assassin, traqué à sa sortie de la chambre, se sauvant à travers la galerie pour rejoindre la fenêtre qu’il avait laissée ouverte, et voyant, tout à coup, en arrivant au carrefour des galeries, devant cette dernière fenêtre, Larsan gardant la galerie tournante, continuerait son chemin dans la galerie droite. Là, il rencontrerait le père Jacques, qui l’empêcherait de sauter dans le parc par la fenêtre qui ouvrait à l’extrémité de la galerie droite. C’est ainsi, certainement, qu’en une telle occurrence devait agir l’assassin s’il connaissait les lieux (et cette hypothèse ne faisait point de doute pour moi). Sous cette fenêtre, en effet, se trouvait extérieurement une sorte de contrefort. Toutes les autres fenêtres des galeries donnaient à une telle hauteur sur des fossés qu’il était à peu près impossible de sauter par là sans se rompre le cou. Portes et fenêtres étaient bien et solidement fermées, y compris la porte de la chambre de débarras, à l’extrémité de la galerie droite: Je m’en étais rapidement assuré.

Donc, après avoir indiqué comme je l’ai dit, son poste au père Jacques «et l’y avoir vu», je plaçai M. Stangerson devant le palier de l’escalier, non loin de la porte de l’antichambre de sa fille. Tout faisait prévoir que, dès lors que je traquais l’assassin dans la chambre, celui-ci se sauverait par l’antichambre plutôt que par le boudoir où se trouvaient les femmes et dont la porte avait dû être fermée par Mlle Stangerson elle-même, si, comme je le pensais, elle s’était réfugiée dans ce boudoir «pour ne pas voir l’assassin qui allait venir chez elle!» Quoi qu’il en fût, il retombait toujours dans la galerie «Où mon monde l’attendait à toutes les issues possibles».

Arrivé là, il voit à sa gauche, presque sur lui, M. Stangerson; il se sauve alors à droite, vers la galerie tournante, «ce qui est le chemin, du reste, de sa fuite préparée». À l’intersection des deux galeries il aperçoit à la fois, comme je l’explique plus haut, à sa gauche, Frédéric Larsan au bout de la galerie tournante, et en face le père Jacques, au bout de la galerie droite. M. Stangerson et moi, nous arrivons par derrière. Il est à nous! Il ne peut plus nous échapper!… Ce plan me paraissait le plus sage, le plus sûr «et le plus simple». Si nous avions pu directement placer quelqu’un de nous derrière la porte du boudoir de Mlle Stangerson qui ouvrait sur la chambre à coucher, peut-être eût-il paru plus simple «à certains qui ne réfléchissent pas» d’assiéger directement les deux portes de la pièce où se trouvait l’homme, celle du boudoir et celle de l’antichambre; mais nous ne pouvions pénétrer dans le boudoir que par le salon, dont la porte avait été fermée à l’intérieur par les soins inquiets de Mlle Stangerson. Et ainsi, ce plan, qui serait venu à l’intellect d’un sergent de ville quelconque, se trouvait impraticable. Mais moi, qui suis obligé de réfléchir, je dirai que, même si j’avais eu la libre disposition du boudoir, j’aurais maintenu mon plan tel que je viens de l’exposer; car tout autre plan d’attaque direct par chacune des portes de la chambre «nous séparait les uns des autres au moment de la lutte avec l’homme», tandis que mon plan «réunissait tout le monde pour l’attaque», à un endroit que j’avais déterminé avec une précision quasi mathématique. Cet endroit était l’intersection des deux galeries.