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M. Darzac secoua la tête, déclara qu’il était sûr de la fidélité de la femme de chambre de Mlle Stangerson, et que c’était une fort honnête et fort dévouée domestique.

«Et puis, à cinq heures, M. Stangerson est entré dans la chambre pour chercher le chapeau de sa fille! ajouta-t-il…

– Il y a encore cela! fit Rouletabille.

– L’homme est donc entré, dans le moment que vous dites, par cette fenêtre, fis-je, je l’admets, mais pourquoi a-t-il refermé la fenêtre, ce qui devait, nécessairement, attirer l’attention de ceux qui l’avaient ouverte?

– il se peut que la fenêtre n’ait point été refermée «tout de suite», me répondit le jeune reporter. Mais, s’il a refermé la fenêtre, il l’a refermée à cause du coude que fait le sentier garni de gravier, à vingt-cinq mètres du pavillon, et à cause des trois chênes qui s’élèvent à cet endroit.

– Que voulez-vous dire?» demanda M. Robert Darzac qui nous avait suivis, et qui écoutait Rouletabille avec une attention presque haletante.

«Je vous l’expliquerai plus tard, monsieur, quand j’en jugerai le moment venu; mais je ne crois pas avoir prononcé de paroles plus importantes sur cette affaire, si mon hypothèse se justifie.

– Et quelle est votre hypothèse?

– Vous ne la saurez jamais si elle ne se révèle point être la vérité. C’est une hypothèse beaucoup trop grave, voyez-vous, pour que je la livre tant qu’elle ne sera qu’hypothèse.

– Avez-vous, au moins, quelque idée de l’assassin?

– Non, monsieur, je ne sais pas qui est l’assassin, mais ne craignez rien, monsieur Robert Darzac, je le saurai

Je dus constater que M. Robert Darzac était très ému; et je soupçonnai que l’affirmation de Rouletabille n’était point pour lui plaire. Alors, pourquoi, s’il craignait réellement qu’on découvrît l’assassin (je questionnais ici ma propre pensée), pourquoi aidait-il le reporter à le retrouver? Mon jeune ami sembla avoir reçu la même impression que moi, et il dit brutalement:

«Cela ne vous déplaît pas, monsieur Robert Darzac, que je découvre l’assassin?

– Ah! je voudrais le tuer de ma main! s’écria le fiancé de Mlle Stangerson, avec un élan qui me stupéfia.

– Je vous crois! fit gravement Rouletabille, mais vous n’avez pas répondu à ma question.»

Nous passions près du bosquet, dont le jeune reporter nous avait parlé à l’instant; j’y entrai et lui montrai les traces évidentes du passage d’un homme qui s’était caché là. Rouletabille, une fois de plus, avait raison.

«Mais oui! fit-il, mais oui!… Nous avons affaire à un individu en chair et en os, qui ne dispose pas d’autres moyens que les nôtres, et il faudra bien que tout s’arrange!»

Ce disant, il me demanda la semelle de papier qu’il m’avait confiée et l’appliqua sur une empreinte très nette, derrière le bosquet. Puis il se releva en disant: «Parbleu!»

Je croyais qu’il allait, maintenant, suivre à la piste «les pas de la fuite de l’assassin», depuis la fenêtre du vestibule, mais il nous entraîna assez loin vers la gauche, en nous déclarant que c’était inutile de se mettre le nez sur cette fange, et qu’il était sûr, maintenant, de tout le chemin de la fuite de l’assassin.

«Il est allé jusqu’au bout du mur, à cinquante mètres de là, et puis il a sauté la haie et le fossé; tenez, juste en face ce petit sentier qui conduit à l’étang. C’est le chemin le plus rapide pour sortir de la propriété et aller à l’étang.

– Comment savez-vous qu’il est allé à l’étang?

– Parce que Frédéric Larsan n’en a pas quitté les bords depuis ce matin. Il doit y avoir là de fort curieux indices.»

Quelques minutes plus tard, nous étions près de l’étang.

C’était une petite nappe d’eau marécageuse, entourée de roseaux, et sur laquelle flottaient encore quelques pauvres feuilles mortes de nénuphar. Le grand Fred nous vit peut-être venir, mais il est probable que nous l’intéressions peu, car il ne fit guère attention à nous et continua de remuer, du bout de sa canne, quelque chose que nous ne voyions pas…

«Tenez, fit Rouletabille, voilà à nouveau les pas de la fuite de l’homme; ils tournent l’étang ici, reviennent et disparaissent enfin, près de l’étang, juste devant ce sentier qui conduit à la grande route d’Épinay. L’homme a continué sa fuite vers Paris…

– Qui vous le fait croire, interrompis-je, puisqu’il n’y a plus les pas de l’homme sur le sentier?…

– Ce qui me le fait croire? Mais ces pas-là, ces pas que j’attendais! s’écria-t-il, en désignant l’empreinte très nette d’une «chaussure élégante»… Voyez!…»

Et il interpella Frédéric Larsan.

– Monsieur Fred, cria-t-il… «ces pas élégants» sur la route sont bien là depuis la découverte du crime?

– Oui, jeune homme; oui, ils ont été relevés soigneusement, répondit Fred sans lever la tête. Vous voyez, il y a les pas qui viennent, et les pas qui repartent…

– Et cet homme avait une bicyclette!» s’écria le reporter…

Ici, après avoir regardé les empreintes de la bicyclette qui suivaient, aller et retour, les pas élégants, je crus pouvoir intervenir.

«La bicyclette explique la disparition des pas grossiers de l’assassin, fis-je. L’assassin, aux pas grossiers, est monté à bicyclette… Son complice, «l’homme aux pas élégants», était venu l’attendre au bord de l’étang, avec la bicyclette. On peut supposer que l’assassin agissait pour le compte de l’homme aux pas élégants?

– Non! non! répliqua Rouletabille avec un étrange sourire… J’attendais ces pas-là depuis le commencement de l’affaire. Je les ai, je ne vous les abandonne pas. Ce sont les pas de l’assassin!

– Et les autres pas, les pas grossiers, qu’en faites-vous?

– Ce sont encore les pas de l’assassin.

– Alors, il y en a deux?

– Non! Il n’y en a qu’un, et il n’a pas eu de complice…

– Très fort! très fort! cria de sa place Frédéric Larsan.

– Tenez, continua le jeune reporter, en nous montrant la terre remuée par des talons grossiers; l’homme s’est assis là et a enlevé les godillots qu’il avait mis pour tromper la justice, et puis, les emportant sans doute avec lui, il s’est relevé avec ses pieds à lui et, tranquillement, a regagné, au pas, la grande route, en tenant sa bicyclette à la main. Il ne pouvait se risquer, sur ce très mauvais sentier, à courir à bicyclette. Du reste, ce qui le prouve, c’est la marque légère et hésitante de la bécane sur le sentier, malgré la mollesse du sol. S’il y avait eu un homme sur cette bicyclette, les roues fussent entrées profondément dans le sol… Non, non, il n’y avait là qu’un seul homme: L’assassin, à pied!