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M. STANGERSON. – Tu aurais dû me parler de cela. Tu es impardonnable. Nous aurions évité un malheur!

D. – La porte de la «Chambre Jaune» fermée, mademoiselle, vous vous couchez?

R. – Oui, et, très fatiguée, je dors tout de suite.

D. – La veilleuse était restée allumée?

R. – Oui; mais elle répand une très faible clarté…

D. – Alors, mademoiselle, dites ce qui est arrivé?

R. – Je ne sais s’il y avait longtemps que je dormais, mais soudain je me réveille… Je poussai un grand cri…

M. STANGERSON. – Oui, un cri horrible… À l’assassin!… Je l’ai encore dans les oreilles…

D. – Vous poussez un grand cri?

R. – Un homme était dans ma chambre. Il se précipitait sur moi, me mettait la main à la gorge, essayait de m’étrangler. J’étouffais déjà; tout à coup, ma main, dans le tiroir entrouvert de ma table de nuit, parvint à saisir le revolver que j’y avais déposé et qui était prêt à tirer. À ce moment, l’homme me fit rouler à bas de mon lit et brandit sur ma tête une espèce de masse. Mais j’avais tiré. Aussitôt, je me sentis frappée par un grand coup, un coup terrible à la tête. Tout ceci, monsieur le juge, fut plus rapide que je ne le pourrais dire, et je ne sais plus rien.

D. – Plus rien!… Vous n’avez pas une idée de la façon dont l’assassin a pu s’échapper de votre chambre?

R. – Aucune idée… Je ne sais plus rien. On ne sait pas ce qui se passe autour de soi quand on est morte!

D. – Cet homme était-il grand ou petit?

R. – Je n’ai vu qu’une ombre qui m’a paru formidable…

D. – Vous ne pouvez nous donner aucune indication?

R. – Monsieur, je ne sais plus rien; un homme s’est rué sur moi, j’ai tiré sur lui… Je ne sais plus rien…

Ici se termine l’interrogatoire de Mlle Stangerson. Joseph Rouletabille attendit patiemment M. Robert Darzac. Celui-ci ne tarda pas à apparaître.

Dans une pièce voisine de la chambre de Mlle Stangerson, il avait écouté l’interrogatoire et venait le rapporter à notre ami avec une grande exactitude, une grande mémoire, et une docilité qui me surprit encore. Grâce aux notes hâtives qu’il avait prises au crayon, il put reproduire presque textuellement les demandes et les réponses.

En vérité, M. Darzac avait l’air d’être le secrétaire de mon jeune ami et agissait en tout comme quelqu’un qui n’a rien à lui refuser; mieux encore, quelqu’un «qui aurait travaillé pour lui».

Le fait de la «fenêtre fermée» frappa beaucoup le reporter comme il avait frappé le juge d’instruction. En outre, Rouletabille demanda à M. Darzac de lui répéter encore l’emploi du temps de M. et Mlle Stangerson le jour du drame, tel que Mlle Stangerson et M. Stangerson l’avaient établi devant le juge. La circonstance du dîner dans le laboratoire sembla l’intéresser au plus haut point et il se fit redire deux fois, pour en être plus sûr, que, seul, le garde savait que le professeur et sa fille dînaient dans le laboratoire, et de quelle sorte le garde l’avait su.

Quand M. Darzac se fut tu, je dis:

«Voilà un interrogatoire qui ne fait pas avancer beaucoup le problème.

– Il le recule, obtempéra M. Darzac.

– Il l’éclaire», fit, pensif, Rouletabille.

IX Reporter et policier

Nous retournâmes tous trois du côté du pavillon. À une centaine de mètres du bâtiment, le reporter nous arrêta, et, nous montrant un petit bosquet sur notre droite, il nous dit:

«Voilà d’où est parti l’assassin pour entrer dans le pavillon.»

Comme il y avait d’autres bosquets de cette sorte entre les grands chênes, je demandai pourquoi l’assassin avait choisi celui-ci plutôt que les autres; Rouletabille me répondit en me désignant le sentier qui passait tout près de ce bosquet et qui conduisait à la porte du pavillon.

«Ce sentier est garni de graviers, comme vous voyez, fit-il. Il faut que l’homme ait passé par là pour aller au pavillon, puisqu’on ne trouve pas la trace de ses pas du voyage aller, sur la terre molle. Cet homme n’a point d’ailes. Il a marché; mais il a marché sur le gravier qui a roulé sous sa chaussure sans en conserver l’empreinte: ce gravier, en effet, a été roulé par beaucoup d’autres pieds puisque le sentier est le plus direct qui aille du pavillon au château. Quant au bosquet, formé de ces sortes de plantes qui ne meurent point pendant la mauvaise saison – lauriers et fusains – il a fourni à l’assassin un abri suffisant en attendant que le moment fût venu, pour celui-ci, de se diriger vers le pavillon. C’est, caché dans ce bosquet, que l’homme a vu sortir M. et Mlle Stangerson, puis le père Jacques. On a répandu du gravier jusqu’à la fenêtre – presque – du vestibule. Une empreinte des pas de l’homme, parallèle au mur, empreinte que nous remarquions tout à l’heure, et que j’ai déjà vue, prouve qu’ «il» n’a eu à faire qu’une enjambée pour se trouver en face de la fenêtre du vestibule, laissée ouverte par le père Jacques. L’homme se hissa alors sur les poignets, et pénétra dans le vestibule.

– Après tout, c’est bien possible! fis-je…

– Après tout, quoi? après tout, quoi?… s’écria Rouletabille, soudain pris d’une colère que j’avais bien innocemment déchaînée… Pourquoi dites-vous: après tout, c’est bien possible!…»

Je le suppliai de ne point se fâcher, mais il l’était déjà beaucoup trop pour m’écouter, et il déclara qu’il admirait le doute prudent avec lequel certaines gens (moi) abordaient de loin les problèmes les plus simples, ne se risquant jamais à dire: «ceci est» ou «ceci n’est pas», de telle sorte que leur intelligence aboutissait tout juste au même résultat qui aurait été obtenu si la nature avait oublié de garnir leur boîte crânienne d’un peu de matière grise. Comme je paraissais vexé, mon jeune ami me prit par le bras et m’accorda «qu’il n’avait point dit cela pour moi, attendu qu’il m’avait en particulière estime».

«Mais enfin! reprit-il, il est quelquefois criminel de ne point, quand on le peut, raisonner à coup sûr!… Si je ne raisonne point, comme je le fais, avec ce gravier, il me faudra raisonner avec un ballon! Mon cher, la science de l’aérostation dirigeable n’est point encore assez développée pour que je puisse faire entrer, dans le jeu de mes cogitations, l’assassin qui tombe du ciel! Ne dites donc point qu’une chose est possible, quand il est impossible qu’elle soit autrement. Nous savons, maintenant, comment l’homme est entré par la fenêtre, et nous savons aussi à quel moment il est entré. Il y est entré pendant la promenade de cinq heures. Le fait de la présence de la femme de chambre qui vient de faire la Chambre Jaune, dans le laboratoire, au moment du retour du professeur et de sa fille, à une heure et demie, nous permet d’affirmer qu’à une heure et demie, l’assassin n’était pas dans la chambre, sous le lit, à moins qu’il n’y ait complicité de la femme de chambre. Qu’en dites-vous, Monsieur Robert Darzac?»