et où tous les objets tournent autour de lui [386],
commence dans ce point, qu’on peut dire sa source.
Quant à ce ciel lui-même, il n’a pas d’autre lieu,
sinon l’esprit divin duquel prennent leur feu
la vertu qu’il répand et l’amour qui le tourne.
La lumière et l’amour font son cercle, qui ceint
les autres à son tour; et Celui seulement
qui le contient en lui, peut le comprendre aussi.
Son mouvement n’est pas mesuré par les autres;
les autres, au contraire, y prennent leur mesure,
comme dix est formé de deux moitiés de cinq.
Et de quelle façon le temps a ses racines
dans ce texte, et comment ses feuilles sont dans d’autres,
tu peux dorénavant le voir plus clairement.
Cupidité, qui mets les hommes sous tes pieds,
tellement qu’aucun d’eux ne peut plus, par la suite,
élever le regard au-dessus de tes flots!
La bonne volonté, certes, fleurit en nous;
mais la pluie incessante intervient pour changer
en simples avortons les prunes véritables.
L’innocence et la foi ne se rencontrent plus
que chez les tout petits: l’une et l’autre s’enfuient,
bien avant que la barbe apparaisse au menton.
Tel jeûnait autrefois, lorsqu’il les balbutiait,
qui dévore plus tard, la langue déliée,
n’importe quel manger, sans voir le calendrier:
tel apprit à parler, dans l’amour de sa mère
et lui obéissant, qui, lorsqu’il a grandi,
souhaiterait plutôt la voir ensevelie.
C’est ainsi que la peau devient de blanche noire,
aussitôt qu’apparaît la fille de celui
qui vous fait le matin et vous laisse le soir [387].
Pour toi, pour que cela ne te surprenne point,
songe que l’on n’a pas qui gouverne sur terre:
et c’est là ce qui perd la famille des hommes.
Mais avant que l’hiver n’ait perdu janvier
à force d’oublier les centièmes, là-bas [388],
les cercles d’ici-haut rugiront tellement,
qu’enfin cet ouragan longuement attendu
retournera la poupe où se trouvait la proue,
en sorte que la nef cinglera droit au port
et que les fruits tiendront la promesse des fleurs.»
CHANT XXVIII
Lorsque celle qui met mon âme au Paradis
m’eut de cette façon découvert toute nue
notre vie actuelle à nous, pauvres mortels,
comme au miroir paraît la lumière d’un cierge,
que l’on voit s’allumer soudain derrière vous,
sans qu’on ait vu le cierge et presque par surprise,
nous faisant retourner pour voir si le cristal
nous dit la vérité, et les trouvant d’accord
comme le sont la note et le rythme du chant,
ainsi je me souviens que j’avais fait moi-même,
lorsque enfin mon regard plongea dans les beaux yeux
dont l’amour fit les rets où je suis prisonnier.
Et m’étant retourné pour prendre connaissance
de tout ce qui paraît à travers ce volume,
si dans son mouvement on l’examine bien,
j’aperçus certain Point [389] d’où rayonnait si fort
un éclat fulgurant, que le regard qu’il touche
est aussitôt blessé par son scintillement;
mais l’astre qui paraît le plus petit chez nous
semblerait une lune, à le mettre à côté,
comme lorsqu’on compare entre elles les étoiles.
À la distance ou presque à laquelle apparaît
tout autour de l’éclat qui le forme, un halo,
à l’heure où s’épaissit la vapeur qui le porte,
tout autour de ce point un cercle incandescent
tournait si vivement, qu’il semblait dépasser
le mouvement qui ceint plus vite l’univers.
On le voyait lui-même enveloppé d’un autre,
qui l’était d’un troisième, ensuite d’un quatrième,
celui-ci d’un cinquième et d’un sixième aussi.
La septième suivait par-dessus, mais si vaste
dans ses dimensions que, pour le contenir,
l’envoyé de Junon serait insuffisant.
Les huitième et neuvième étaient pareils, chacun
tournait plus lentement, selon qu’il se trouvait
porter un numéro plus loin de l’unité [390].
Le cercle dont le feu resplendissait lé plus
était le moins distant de la pure étincelle,
comme touchant, je crois, sa vérité de près.
Ma dame, qui voyait que j’étais absorbé
dans mes réflexions, me dit: «C’est de ce point
que dépendent le ciel et tout ce qu’il contient.
Vois le cercle qui ceint de plus près sa nature,
et sache que, s’il tourne aussi rapidement,
c’est grâce à cet amour dont il se sent pressé.»
Moi, je dis: «Si le monde était organisé
selon les mêmes lois que je vois dans ces sphères,
ce que tu viens de dire épuiserait ma soif.
Dans le monde sensible on peut voir cependant
le mouvement du ciel devenir plus divin
à mesure qu’il est plus éloigné du centre [391].
Si ma soif de savoir doit avoir une fin
dans ce temple angélique et digne qu’on l’admire,
dont lumière et amour sont les seules frontières,
il faudrait m’expliquer la raison pour laquelle
le modèle n’est pas conforme à la copie;
car, pour moi, plus j’y pense et moins je le comprends.;
«Ce n’est pas étonnant, si de tes doigts tout seuls
tu ne réussis pas à défaire ce nœud
que le long abandon rend encor plus ardu.»
Ainsi parla ma dame, et puis elle ajouta:
«Prends ce que je dirai, si tu veux t’en nourrir;
concentre ton esprit autour de ce problème!
Les cercles corporels [392] sont étroits ou plus amples,
selon qu’est plus ou moins puissante la vertu
qui vient se diffuser dans toutes leurs parties.
La plus grande bonté fait la santé meilleure;
la plus grande santé réclame un corps plus grand,
s’il peut avoir aussi des membres accomplis.
Et d’autre part, ce ciel, entraînant avec lui
l’univers tout entier, représente le cercle
où l’amour est plus grand, le savoir plus profond.
Pourtant, si tu veux bien appliquer ta mesure
à la vertu qui tient dans toutes les substances
qui montrent leur rondeur, non à ce qu’on en voit,