[10] On pensait au Moyen Age que le monde avait été créé par Dieu au printemps, sous la constellation du Bélier. On estime que le voyage de Dante commence le yendredi-Saint 25 mars 1300, qui est la date qu'il semble indiquer ici et plus loin, Enfer, XXI, note 211. Cf. G. Agnelli, Topo-cronagrafia del viaggio dantesco, Milan 1891.
[11] C'est l'ombre de Virgile qui apparaît ainsi au poète. L'air mal assuré que lui attribue celui-ci a été interprété diversement: symbole de l'obscurcissement de la réputation de Virgile durant le Moyen Age, qui l'avait presque oublié (Boccace; cf. R. Fitzgerald, The style that does honor, dans Kenyon Review, XIV, 1952, p. 278); façon d'indiquer les longs siècles écoulés depuis sa mort (Fanfani); prédominance du sens allégorique, qui veut montrer que le pécheur qui commence à s'éloigner du péché n'entend d'abord que faiblement la voix de la raison (Scartazzini-Vandelli). Cette dernière interprétation renforce l'hypothèse présentée dans la note 8. En général, on interprète l'expression italienne, fioco, par rauque; mais cette traduction ne nous semble pas la meilleure. Virgile ne pouvait être rauque avant de parler – et c'est ce qui embarrasse les commentateurs. D'autre part, fioco signifie aussi, parfois, «faible, inconsistant». Quant à la présence de Virgile, elle symbolise la raison humaine, qui montre au poète le chemin du devoir et du bien. Le choix du poète latin n'est pas difficile à expliquer. Il devait être païen, pour mieux le distinguer de la grâce. Il ne se confond pas avec la foi, mais conduit vers elle, tout comme Virgile, aux yeux du Moyen Age, était un précurseur du christianisme et une sorte de prophète païen. Il incarne la philosophie, la science et l'art, c'est-à-dire tout ce que l'esprit humain peut embrasser sans le secours de la foi – et cela n'est pas sans rapport avec l'opinion que le même Moyen Age s'était formée de Virgile, considéré comme un magicien.
Il guide Dante dans le monde souterrain, parce qu'il avait été le premier à le décrire, dans son poème. Mais la raison principale de ce choix de son guide doit être cherchée, sans doute, dans le fait que Virgile avait été le chantre de l'Empire et de la fondation de la gloire romaine – en sorte qu'il forme, avec Béatrice, le double symbole qui est la base de la pensée de Dante, la vie civile et la religion le sort de l'homme ici-bas et dans la vie éternelle.
[12] Il y a une certaine approximation dans cette indication. Virgile naquit l'an 70 avant J.-C, dix ans avant que César n'eût acquis à Rome une situation prépondérante; et César mourut en 44 avant J.-C, alors que Virgile avait vingt-six ans. Dante, qui ignorait peut-être la date de naissance de Virgile, veut dire que celui-ci vint au monde trop tard pour connaître César, qu'il n'avait peut-être jamais vu.
[13] Les commentateurs entendent que la bête dont il est question ici doit être identifiée avec la louve. Cette explication n'est pas la seule possible. Les trois animaux apparaissent aux yeux du poète dans une série de visions successives qui se superposent: ils ne se montrent peut-être pas en trois points différents de son itinéraire – car la louve qui apparaîtrait au-delà du guépard et du lion serait un danger moins imminent; et comme il n'est pas dit dans le poème que le poète avait réussi à se dégager des deux premières bêtes, si elles sont là toutes trois, il ne saurait se plaindre à Virgile de la troisième, qui est la plus éloignée. Il faut donc entendre que Dante voit les bêtes comme dans un film: c'est une véritable vision, où les images se succèdent et se remplacent. S'il en est ainsi, la bête qu'il montre à Virgile est, en quelque sorte, la troisième, et les trois à la fois. Ce qui suit ne permet pas de l'identifier exclusivement à la louve.
[14] Le Lévrier de qui Dante attend le salut de l'Italie a suscité un très grand nombre d'hypothèses et de discussions. On a pensé à quelque pape (Benoît XI?) ou empereur (Henri VII?), ce qui est très improbable, car il s'agirait, dans ce cas, d'une prophétie à court terme et pour le moins imprudente. On a proposé une allusion à Can Grande della Scala, à cause de ses relations avec le poète et de son nom (Can = Chien), cf. Vellutello en 1544; Giuseppe Todeschini, Del veltro allegorico della Divina Commedia, dans Scritti su Dante, Vicence 1872, vol. I, pp. 151-169; ou Ugoccione della Faggiuola, à cause d'une erreur (on le croyait né «tra Feltro e Feltro», comme le veut le poète, c'est-à-dire à Faggiuola, entre San Léo Feltrio et Macerata Feltria; mais on s'est aperçu qu'il était originaire d'une autre localité du même nom), cf. Carlo Troya, II Veltro allegorico di Dante. Pour d'autres encore, le Lévrier sera le khan des Tartares (Eug. Aroux), ou Jésus-Christ, ou Dante lui-même. D'une manière générale, il faut distinguer deux classes de commentateurs: ceux qui attribuent au poète un esprit prophétique et qui croient que ces formules peu claires cachent une signification transcendante; et ceux qui pensent que Dante affirme ici, plutôt que des faits futurs qu'il serait seul à connaître, un espoir assez indéterminé, auquel il serait inutile de vouloir donner un nom. Nous sommes de ce dernier avis; mais cf. la note suivante, et Purgatoire, note 209.
[15] En italien: «E sua nazion sará tra feltro e feltro.» Nazion doit s'entendre comme signifiant «naissance, lieu d'origine», et non pas comme «patrie», sens que préfèrent de nombreux traducteurs. Quant à feltro, ce mot peut s'entendre de deux façons différentes. On l'a considéré traditionnellement comme un nom propre (cf. l'hypothèse concernant Ugoccione della Faggiuola, dans la note précédente, et le cas de Can Grande, né entre Feltre (Trévise) et Monte-feltro, en Romagne). Dans une étude récente et fondamentale de L. Olschki, «Dante poeta veltro», Florence 1953 on a avancé l'hypothèse extrêmement ingénieuse que par feltro l'on doit entendre «feutre» dans le sens de «chapeau», signe distinctif des Dioscures, Castor et Pollux. Le sauveur qu'annonce le poète devra donc naître sous le signe des Gémeaux. Cette interprétation est très séduisante, et de loin la meilleure de tout ce qu'on a pu trouver jusqu'à présent. Il est cependant plus difficile de suivre son auteur dans le reste de ses conclusions: le sauveur promis serait Dante lui-même, né effectivement sous le signe des Gémeaux (cf. Paradis, XXII, 112). Mais comment serait-il le sauveur qu'il annonce, quand celui-ci n'est pas encore né? Et comment croire que Dante s'arroge une mission aussi importante, aussi extraordinaire, que celle qu'on lui attribue, et qu'il n'en parle qu'ici, et encore dans des termes couverts? Il semble plus logique de penser que Dante place la naissance de ce sauveur inconnu sous les Gémeaux, non pas parce que c'est sa propre constellation, mais parce que ceux-ci symbolisent, à ses yeux, l'heureuse harmonie et l'accord fraternel qui devront exister entre l'Empire et l'Église: aucune constellation ne semble plus apte que celle-ci, à prédestiner le Lévrier pour une mission qui, on le sait par ailleurs, est aux yeux de Dante le seul salut possible pour l'Italie entière.
[16] L'Enfer, qui est éternel (cf. Enfer, III, 8), comme le Paradis, tandis que l'existence du Purgatoire n'est que transitoire.
[17] La damnation, «haec est mors secunda» (Apocalypse XX: 14).