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Celui-ci, dont les poils nous ont servi d'échelle,

reste planté toujours comme il le fut d'abord.

C'est de ce côté-ci qu'il est tombé du Ciel:

la terre, qui d'abord s'étendait jusqu'ici,

recula d'épouvanté et se voila des mers.

Elle se retira dans notre autre hémisphère;

et c'est en le fuyant, à la place des terres

qui s'éloignaient d'ici, qu'elle a produit ce creux [332].

Et cet endroit se trouve à la même distance

des pieds de Belzébuth, que l'empire des morts:

aucun œil n'y parvient, mais on entend le bruit

produit par un ruisseau qui vers lui se dirige

par les concavités que la molle descente

de son cours sinueux creusa dans le rocher.»

Nous partîmes tous deux par ce sentier caché,

afin de retourner enfin au monde clair,

et sans nous soucier de prendre du repos;

et nous montâmes tant, lui devant, moi derrière,

que par un rond pertuis j'aperçus à la fin

tous les jolis objets que supporte le Ciel,

et nous pûmes sortir et revoir les étoiles. [333]

Notes de fin d’ouvrage

[1] Dante imagine la vie comme un arc qui monte, et puis descend: «Le sommet de notre arc est à trente-cinq ans» Convito, IV, 24). Cf. le psaume LXXXIX: «Dies annorum nostrorum septuaginta anni.» Cela place le voyage dans l'au-delà en l'an 1300, puisque Dante était né en 1265. Cette interprétation est unanimement acceptée par les commentateurs; seul Gelli cite une opinion selon laquelle «le milieu de la vie» signifierait «en dormant, pendant cette moitié de la vie que nous passons en dormant»; ce qui est à la fois juste quant au fond et inexact comme interprétation textuelle.

[2] La forêt de l'erreur. S'appliquant à Dante, cette image indique que le poète avait passé sa jeunesse au milieu des erreurs, s'était laissé séduire par les tentations, et venait de se rendre compte de sa déchéance. Du point de vue de l'humanité en général, cela signifie que l'homme qui a perdu le droit chemin peut se racheter, soit par la raison humaine, soit par l'intervention de la grâce.

[3] Ce bien est interprété (Scartazzini) comme une allusion à l'apparition de Virgile, dont il sera question plus loin; auquel cas l'expression serait pléonastique et ferait double emploi avec le vers suivant. Plus probablement, l'auteur signale ici la grande découverte, dont il ne parlera plus e des termes précis, de la voie de salut, c'est-à-dire la révélation de son état, qui l'oblige à se reprendre et, en le cherchant enfin, à retrouver le droit chemin.

[4] Le sommeil de l'âme, image biblique du péché.

[5] Interprété en général comme «le Mont du Seigneur» expression biblique et symbole de la vie vertueuse. Cependant, les commentateurs hésitent souvent, car Dante ne parle pas de mont, mais de colline; et, d'autre part, il est évidemment trop tôt pour parler de vie «intégralement vertueuse», au moment où le poète plonge encore dans les fautes anciennes, dont il ne fait que tenter de se dégager. Plus probablement, la colline symbolise simplement l'idée d'ascension, de remontée, qui s'impose naturellement à l'esprit comme l'image visible de l'idée de rachat.

[6] La nuit est ici symbole de l'état de péché.

[7] Ce passage, qui n'est que la forêt sombre, ne permet pas à l'homme d'y rester, c'est-à-dire de vivre dans la vie de perdition, et de se sauver en même temps, c'est-à-dire de vivre dans la vie éternelle. C'est là l'opinion la plus courante parmi les commentateurs. Une autre opinion résout de façon différente l'expression quelque peu ambiguë du poète, en interprétant: «Le sinistre passage que nul homme vivant ne saurait éviter»; le sens serait que tous les mortels sont soumis au péché, et que la vie passe par lui, inévitablement – mais l'interprétation semble forcée. Cf. Antonio Pagliari, Studi letterari, Miscellanea in onore ai Emilio Santini, Palerme 1956, pp. 101-111. Une troisième interprétation semble possible. Le poète vient de sortir de la forêt sombre, qui prend fin sur la «plage déserte», au pied de la colline. En se retournant pour regarder le chemin parcouru, il considère le passage, qui n'est peut-être pas la forêt elle-même, mais le sentier difficile qui lui a permis je sortir de cette forêt. Dans ce cas, il veut dire peut-être qu'il regarde le passage qu'il a franchi vivant, lui, mais que nul autre n'avait franchi auparavant: ce qui indiquerait déjà qu'il s'est engagé dans le chemin de l'au-delà, et qu'il voyage avec son corps dans un paysage qui n'est pas fait pour les hommes – idée que l'on retrouve souvent dans son poème.

[8] C'est ici l'un des vers les plus discutés du poème. Pour Boccace, il s'agit de «la manière accoutumée de ceux qui montent, qui s'arrêtent souvent davantage sur le pied qui reste plus bas». Il existe une sorte de petite guerre entre les commentateurs qui pensent que le poète était en train de monter (Scartazzini, D'Ovidio) et ceux qui croient que cette image traduit les mouvements de celui qui avance sur un plan horizontal (Giovanni Agnelli, Giornale dantesco, 1926); sans parler de Luigi Valli, pour qui «le pied ferme» signifie «le bon pied». Ce qui fait l'embarras des critiques dans l'explication de ce détail, qui n'est pas sans avoir une certaine transcendance, c'est que l'on y cherche une image réaliste de la marche; mais c'est une chose connue, que les écrivains anciens se font du mouvement des images le plus souvent fausses, et qu'il serait vain de traduire en attitudes réelles: le commentaire de Boccace en est un témoignage. D'autre part, en s'acharnant sur l'interprétation photographique de ce mouvement, les commentateurs ont perdu de vue son sens allégorique, dont personne ne parle. Sans trop insister sur l'arbitraire de cette image interprétée au pied de la lettre, il convient de signaler qu'elle a sans doute un sens allégorique: le poète s'engage dans la voie du salut, mais d'un pas mal assuré, et son pied qui avance tâte le terrain, tandis que le pied ferme le retient en arrière: il y a dans sa démarche une double tendance, celle de se dégager des tentations qu'il laisse derrière lui, et qu'il abandonne difficilement, et celle qui le retient et le rappelle – le pied ferme qui alourdit sa démarche, cependant que le pied mal assuré voudrait fuir. Dante aspire donc à fuir le péché, mais il ne le fuit pas de toutes ses forces: la preuve en est dans les trois bêtes qui surgiront tout de suite, et dont la présence prouve qu'il n'est pas encore en état de marcher et de s'éloigner du sinistre vallon par ses seuls moyens de pécheur.

[9] Les trois bêtes qui sortent au-devant du poète, pour lui couper la route du salut, représentent les trois vices qu'il craint le plus: la luxure (le guépard), l'orgueil (le lion) et la soif d'argent (la louve). Ce symbolisme, très généralement adopté par les commentateurs, est probablement emprunté à Hugues de Saint-Cher; cf. G. Busnelli, Il simbolo delle tre fiere dantesche, Rome 1909. Il est à supposer que l'allégorie a une signification personnelle: le poète reconnaît que ce sont là des vices dont il se sait contaminé, indépendamment de l'application universelle qu'il convient d'en faire. Selon d'autres commentateurs (Flamini), les trois bêtes représenteraient, plus généralement, la méchanceté, la violence et l'incontinence. Il nous semble cependant qu'il ne serait pas sans intérêt de revenir à l'ancien parallélisme, déjà signalé par Boccace, et selon lequel les trois bêtes seraient les trois ennemis universellement reconnus au Moyen Age, Caro, Mundus et Demonius, la Chair, le Monde et le Diable. S'il en est ainsi, il ne s'agit plus de trois vices seulement, mais des trois sources des vices. D'autre part, l'allégorie personnelle apparaît ainsi comme plus plausible: Dante peut s'accuser lui-même d'être sujet aux trois tentations de tous les hommes; mais on s'explique moins qu'accusé à Florence de concussion et de prévarication, Dante admette lui-même qu'il s'est laissé dominer par la soif de l'argent.