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D’un autre côté, les fils d’Olivier, Sansonnet et le fils d’Othon, supplient l’irascible Marphise de mettre fin à ce cruel conflit. Marphise s’avance alors vers le roi d’un air altier, et dit: «Je ne sais pas, seigneur, pour quelle raison tu veux donner ces armes, qui ne t’appartiennent pas, au vainqueur de tes joutes.

» Ces armes sont à moi; je les laissai un jour au milieu de la route d’Arménie, pour suivre à pied un voleur qui m’avait fortement offensée. En voici pour preuve ma devise, qui peut s’y voir, si tu la connais.» Et elle montre gravée sur la cuirasse une couronne brisée en trois parties.

«Il est vrai – répond le roi – qu’elles m’ont été données, il y a peu de jours, par un marchand arménien. Si vous me les aviez demandées, je vous les aurais données, qu’elles soient ou non à vous. Je les avais déjà octroyées à Griffon, mais j’ai tant de confiance en lui, que, s’il m’avait fallu vous les remettre, je suis persuadé qu’il me les aurait rendues.

» Il n’est pas besoin, pour me convaincre qu’elles sont à vous, d’y voir gravée votre devise; il suffit que vous me le disiez; je crois à votre parole plus qu’à cet autre témoignage. Du reste, ces armes sont à vous comme juste récompense de la plus haute valeur. Gardez-les donc sans plus de contestation. Griffon recevra de moi un prix encore plus grand.»

Griffon qui tenait peu à ces armes, mais qui avait un grand désir de satisfaire le roi, lui dit: «Je serai assez récompensé si vous me dites que vous êtes content de moi.» Pendant ce temps, Marphise se disait à elle-même: «Il me semble que tout l’honneur est ici pour moi.» Et d’un air gracieux elle offrit les armes à Griffon, et finalement les reçut en don de sa main.

Puis ils retournèrent paisiblement et en bonne intelligence à la ville, où les fêtes recommencèrent. L’honneur et le prix de la joute furent décernés à Sansonnet, car Astolphe, les deux frères et celle qui valait mieux qu’eux tous, Marphise, ne voulurent pas lutter, désirant, en amis et en bons compagnons, que Sansonnet gagnât le prix.

Après être restés pendant huit ou dix jours auprès de Norandin, au sein des plaisirs et des fêtes, l’amour du beau pays de France les prit et ne leur laissa plus de repos. Ils prirent congé, et Marphise, qui désirait suivre la même route, leur tint compagnie. Depuis longtemps Marphise voulait se mesurer avec les paladins,

Et juger, par expérience, si leurs exploits étaient à la hauteur de leur renom. Sansonnet laissa un autre chevalier pour gouverner à sa place la régence de Jérusalem. Tous les cinq, réunis en une seule troupe dont on aurait difficilement trouvé la pareille au monde, prirent congé de Norandin, et arrivèrent à Tripoli et à la mer qui l’avoisine.

Là, ils trouvèrent une caraque qui chargeait des marchandises à destination du Ponant. Ils s’accordèrent, pour leur passage et celui de leurs chevaux, avec le vieux patron qui était de Luna. Le temps s’annonçait comme devant être très favorable. Ils quittèrent le rivage par une douce brise, et les voiles gonflées d’un vent propice.

Le premier port où ils s’arrêtèrent était situé sur le littoral de l’île consacrée à l’amoureuse Déesse. Il y règne un air qui non seulement abrège la vie humaine, mais qui ronge le fer. Cela est dû au voisinage d’un marais. Certes la nature ne devait pas faire à Famagosta un tel tort que de lui donner pour voisin le marais âcre et malsain de Costanza, alors qu’elle est si douce au reste de l’île de Chypre.

L’insupportable odeur qui s’exhale du marais, ne permet pas aux navires d’y faire un long séjour. De là, livrant toutes les voiles au vent d’Est, le pilote contourna Chypre à main droite, et cingla vers Paphos, où l’on fit escale. Les passagers descendirent sur ce charmant rivage, les uns pour s’y livrer à leur commerce, les autres pour admirer cette terre de l’amour et du plaisir.

Pendant six ou sept milles, à partir du littoral, d’agréables coteaux vont s’élevant peu à peu. Ils sont couverts de cèdres, d’orangers, de lauriers et de mille autres arbres aux suaves émanations. Le serpolet, la marjolaine, les roses, les lys, le safran y répandent un parfum si suave, qu’à chaque bouffée de vent qui vient de terre, on le sent au loin en mer.

Un ruisseau fécond, formé par une fontaine limpide, arrose toute cette plage. On peut bien dire que c’est là le séjour heureux et riant de Vénus la belle, car les dames et les damoiselles y sont plus attrayantes qu’en aucun autre lieu du monde, et toutes, jeunes et vieilles, brûlent d’amour jusqu’à leur heure dernière, grâce au pouvoir de la Déesse.

Là, nos voyageurs entendent raconter la même histoire qu’ils ont apprise en Syrie, au sujet de Lucine et de l’Ogre, et comment elle était à Nicosie d’où elle s’apprêtait à rejoindre son mari. Puis, ayant terminé ses affaires, et un bon vent soufflant dans la direction qu’il suivait, le patron du navire lève l’ancre, fait gouverner vers le Ponant, et déploie toutes les voiles.

Au vent du Sud, le navire dresse toutes ses voiles et gagne la haute mer. Soudain s’élève une brise du Sud-Ouest, qui reste tout d’abord assez douce tant que le soleil se maintient sur l’horizon, mais qui, vers le soir, se change en ouragan, et livre aux vagues un rude assaut, accompagné de tant d’éclairs et de coups de tonnerre, qu’il semble que le ciel s’entr’ouvre et s’embrase tout entier.

Les nuées étendent un voile ténébreux qui ne laisse apercevoir ni le soleil ni les étoiles. La mer mugit sous le navire; le ciel rugit sur sa tête. Le vent souffle de toutes parts, et une horrible tempête de pluie, mêlée de grêle, fouette les malheureux navigateurs. La nuit vient et s’étend sur une mer formidable et de plus en plus irritée.

Les navigateurs déploient toutes les ressources de l’art où ils sont passés maîtres. L’un court en soufflant dans un sifflet, et indique à l’équipage les manœuvres à exécuter; l’autre prépare l’ancre de salut; d’autres amènent les câbles ou veillent aux écoutes; celui-ci tient la barre, celui-là assure le mât; cet autre se hâte de débarrasser le pont.

L’ouragan s’accroît encore durant la nuit plus noire et plus obscure que l’enfer. Le patron maintient le gouvernail droit en pleine mer, où il pense que les vagues sont moins fortes. Il tourne sans cesse sa proue à l’encontre des lames et du vent furieux, dans l’espoir qu’avec le jour la fortune finira par s’apaiser ou deviendra plus clémente.

Mais, loin de s’apaiser, elle montre, le jour venu, plus de fureur encore, si toutefois on peut appeler cela le jour, car ce n’est qu’en regardant l’heure qu’on peut reconnaître qu’il est arrivé, et non à la lumière qu’il répand. Le patron découragé s’abandonne au vent, avec plus de crainte que d’espoir. Il tourne l’arrière aux vagues, déploie les voiles basses, et se laisse emporter par la mer cruelle.

Pendant que la fortune éprouve ceux qui sont en mer, elle ne laisse pas davantage en repos ceux qui sont sur la terre ferme, je veux parler de ceux qui sont en France, où le peuple d’Angleterre s’entre-déchire avec les Sarrasins. Là Renaud attaque, entr’ouvre et disperse les bataillons ennemis, et renverse les bannières. J’ai déjà dit qu’il avait poussé son destrier Bayard contre le vaillant Dardinel.